Tiré du blogue de l’autrice.
Depuis presque un mois les manifestations se poursuivent en Iran suite au meurtre de Mahsa Amini (Jina Amina), tabassée à mort par la police des mœurs. Ces contestations en cours portent sur les droits des femmes, contre la violence de la police des mœurs et de l’obligation de l’hidjab, mais elles sont indissociables du rejet du régime politique lui-même, celui de la République Islamique, qui fait l’objet d’une contestation d’une ampleur et d’une radicalité inédites.
Il existe en Iran plusieurs catégories de mouvements depuis longtemps. Même si certains étaient assez souvent marginalisés ou négligés, comme le mouvement féministe ou mouvement ethnique, ils jouent un rôle considérable dans les événements actuels. C’est donc de nombreux sentiments de mécontentement, de colère et des frustrations, au sujet des enjeux ethniques et identitaires, économiques, environnementaux, qui sont à l’origine de cette révolte qui se range derrière la cause de femmes. En effet, la cause des femmes et l’enjeu d’ethnicité sont des éléments déclencheurs qui sont à l’origine de révolte actuelle, et ont conduit à la propagation des soulèvements dans les petites comme les grandes villes du pays.
La cause des femmes comme premier élément déclencheur des soulèvements
Lors de la cérémonie de funérailles de Mahsa Amini, plusieurs femmes auraient ôté leur voile scandant le slogan « Jin Jiyan Azadi » (Femme Vie Liberté) afin de protester. Très vite ce slogan a traversé les universités du pays particulièrement à l’université de Téhéran, Tabriz, Elmo-Sanat, Sharif, Amirkabir, ets.
Pourquoi un tel embrasement ? Le mouvement féministe iranien actuel ne date pas du 16 septembre mais trouve ses origines dès le XIXème siècle, suite à des actes courageux de femmes comme Tahere Goratolein (1817–1852), Zeynab Pasha et ses révolutionnaires lors du mouvement de tabac (1890) contre le voile, ou la lutte de la militante des droits des femmes Hamida Javanshir (1873- 1955).
Après la révolution de 1979 et avec l’obligation du hijab à partir de 1983, et particulièrement avec la transformation des Comités de la révolution islamique (l’organisation des forces de maintien de l’ordre chargée de faire respecter les règlements islamiques et les normes morales en matière de comportement social, née en 1980) en police des mœurs en 2005, sous le régime d’Ahmadinejad, les femmes, les intellectuelles, des universitaires, des journalistes et des avocates, et particulièrement les militantes féministes se sont opposées à ces mesures et ont manifesté publiquement leur désobéissance, malgré une féroce répression.
L’obligation du hijab peut être considéré comme le symbole d’une politique répressive et inégalitaire en Iran, où dès le lendemain de la révolution de 1979 de nombreuses mesures répressives et discriminatoires (des discriminations politiques, juridiques et sociales), notamment au niveau du statut personnel, ont été mises en place. Des lois et des mesures politiques qui sanctionnent les femmes et leurs droits fondamentaux tels que : le droit de choisir leurs propres vêtements, le droit égal au divorce et à la garde des enfants, le droit de voyager à l’étranger, le droit d’être présentes dans certains espaces publics (tels les stades de football ou d’autres types de stades sportifs), le droit d’exercer certains métiers ou les postes clé comme président de la République, juge, ou plusieurs autres postes militaires et religieux. C’est pourquoi plusieurs militantes féministes parlent d’un apartheid de genre ou d’une ségrégation sexuelle systématique en Iran.
À partir de 2017, on assiste à l’émergence de nouvelles formes de protestation (des protestations individuelles), avec de nouvelles générations d’activistes féministes et même à la mobilisation des groupes marginalisés et des hommes pour la cause des femmes. Le 27 décembre 2017, Vida Movahed, brandit un hijab blanc, attaché au bout d’un bâton. Son geste a eu un grand impact en Iran et d’autres femmes ont suivi son exemple dans d’autres villes jusqu’à aujourd’hui. En tant qu’une question religieuse, politique et idéologique, l’obligation du hijab peut donc être considéré comme le symbole d’une politique répressive et inégalitaire et comme un élément fondateur du régime iranien.
La cause ethnique comme deuxième axe d’analyse de ces soulèvements
Nous ne pouvons pas analyser l’insurrection actuelle uniquement par le biais de la cause des femmes, même si cette problématique et les revendications féministes restent un élément central d’analyse. La cause ethnique est un autre axe d’analyse important. En effet, suite à la publicisation du décès de Mahsa Amini, femme de 22 ans et d’origine kurde, les partis opposants kurdes ont appelé les villes du Kurdistan iranien à participer à la grève générale. Ce qui a été suivi le 17 septembre par les commerçants et les habitants de Saqqez, ville natale de Mehsa Amini et qui a été poursuivi dans certaines petites et grandes villes de la région. Des centaines de personnes ont assisté à l’enterrement de la jeune femme et un acte protestataire s’est levé lors de la cérémonie de funérailles.
À partir du deuxième jour des protestations, les Azerbaidjanais (la minorité turque) ont rejoint la manifestation et ont soutenu les Kurdes avec le slogan d’« Azerbaïdjan s’est réveillé et soutient le Kurdistan ». Ce message de solidarité, encourageant et renforçant les protestations, s’est propagé à d’autres régions et a mobilisé d’autres groupes ethnique-religieux comme les Arabes et les Baloutches. Une manifestation pacifique a eu lieu vendredi 30 septembre, organisée par les minorités baloutches à Zahedan en soutien aux Kurdes, mais aussi en protestation contre le viol d’une jeune fille baloutche de 15 ans par un chef de police. Elle a été confrontée à une répression très sévère de la part des forces de sécurité et avec la mort de plus de 90 personnes : c’est la plus importante « répression sanglante » du mouvement actuel. Un massacre que le régime justifie par la lutte contre le séparatisme.
En fait, après une longue période, nous avons assisté à la mobilisation unifiée et à la solidarité des différents groupes ethniques en Iran autour de la cause des femmes. La genèse de la cause ethnique pour sa part remonte au début du XXe siècle, à la suite de la mise en place d’une politique assimilationniste, et de la répression envers des minorités ethniques en Azerbaïdjan (iranien), au Kurdistan (iranien), au Khûzistân, à Baloutchistan, à Turkmène-Sahra par Reza shah Pahlavie, et une deuxième fois en décembre 1946 par le fils, c’est-à-dire Mohamad Reza Pahlavi, qui a écrasé et réprimé la République autonome d’Azerbaïdjan (juillet 1945- décembre 1946) et la république de Mahabad (janvier 1946-décembre 1946) au Kurdistan. Ces mouvements ont été gravement réprimés par le Shah d’Iran en 1946. Depuis, et surtout après la révolution de 1979 en raison de l’ampleur des discriminations et la répression envers des minorités ethniques et du racisme, on observe une augmentation des tensions et des conflits au sein de la société.
« Femme, Vie, Liberté » : vers l’émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles revendications et de nouvelles formes de protestation
La révolte actuelle s’inscrit dans les résistances individuelles et collectives des Iraniens de plusieurs décennies. Au centre de cette révolte, le slogan « Femme Vie Liberté » symbolise la lutte contre l’apartheid de genre, une discrimination systémique et institutionalisé imposé depuis 40 ans par le régime aux Iraniennes. Ce slogan condense les aspirations de l’ensemble des Iraniens à la liberté et le rejet du régime dictatorial.
L’insurrection en cours peut déboucher sur une situation révolutionnaire. La contestation s’est étendue à plusieurs régions et villes du pays. Des grèves ont lieu dans différents secteurs. De nombreuses et nombreux étudiant.es, enseignant.es, artistes, avocat.es, journalistes, mais aussi lycéens et collégiens sont dressé.es contre le régime. Mais de nouveaux acteurs apparaissent à travers cette insurrection, comme une nouvelle génération de militantes féministes avec un nouveau répertoire d’action et un nouveau discours et également une nouvelle génération appelé la « génération Z », comme des jeunes lycéens ou collégiens.
Ces nouveaux acteurs marquent leur différence avec les acteurs classiques des mouvements sociaux en Iran, mettant en question d’une manière radicale, non seulement les politiques et les lois imposées par un régime théocratique (que je préfère appeler plutôt régime néosultanique), mais aussi les normes et les valeurs culturelles, traditionnelles et religieuses instaurées dans la société iranienne. La lutte, l’objectif, les ressources, les stratégies et la culture de leur d’action (en ce qui concerne les slogans, les symboles et les actes protestataires, l’utilisation des réseaux sociaux) portent visiblement la contestation de plusieurs systèmes ou régimes oppressifs, comme le régime de la république Islamique, le système patriarcal et même le système capitaliste. Ces acteurs cherchent non seulement un changement fondamental, renversement du régime mais aussi ils et elle se battent contre d’autre types de systèmes oppressifs qui existent parallèlement dans la société iranienne.
Le meurtre de Mahsa Amini n’est pas le premier exemple de la violence de la police contre les femmes. Nous pouvons citer par exemple le meurtre de Zahra Kazemi, Zahra Bani Yagoub, Elnaz Sanee, Elnaz Babazadeh, Zahra Navidpour, Khadijeh Dehqani, ou les tortures et l’arrestation subies par Sepideh Reshno, Vida Movahed, Leyla Hosseinzadeh, Sepideh Golyan, des femmes victimes soit des polices des mœurs soit des gardiens de la Révolution (appelés aussi Sepahi) ou la violence envers de la communauté LGBTQIA.
Ces colères ont explosé tout particulièrement à travers des réseaux sociaux, et à partir du 16 septembre de nombreuses femmes ont protesté symboliquement contre le meurtre de Mahsa Amini et l’hidjab obligatoire en se coupant les cheveux ou en brûlant, brandissant dans un geste de joie, leur voile. Ce qui a été aussi suivi en tant qu’un message de solidarité par de nombreuses femmes en Turquie, au Liban, en Syrie et récemment en France. De nombreuses femmes écrivains ont également annoncé qu’elles ne publieraient plus de livres sous la tutelle et l’audit du ministère de la Culture et de l’orientation Islamique, chargé d’autoriser ou non les productions culturelles dans le pays. Dans une vidéo publiée le 4 octobre, Mahdieh Ahani la directrice du magazine de "Ban", publié dans la ville de Tabriz (en Azerbaïdjan iranien), se filmant tête nue, a brûlé courageusement son permis de travail devant la caméra tout en mettant en question l’obligation du hijab et les mesures répressives envers les femmes, la censure et la liberté d’expression.
À partir de la deuxième semaine, des étudiants et ensuite les lycéennes ont commencé à manifester dans les universités, les lycées et collèges en scandant des slogans. Leurs manifestations se sont déroulées également dans les rues ou dans les écoles tête sans voile dans plusieurs villes du pays. Les étudiants protestataires ont appelé à la grève dans les universités de Tabriz, Sharif, Téhéran, Elmo-Sanat, Ispahan, Karadj, Zanjdjan, Gilan, Kermanshah. Les étudiants protestataires lançant des slogans contre les hauts dirigeants du pays et chantant « les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation » et « Femme, vie, liberté », ils protestaient contre le meurtre de Mahsa Amini et l’arrestation d’étudiants interpellés lors des récentes manifestations.
Samedi 1er octobre, la police anti-émeute est intervenue avec violence à l’université de Tabriz tout en bloquant toutes les sorties et de violents affrontements ont éclaté entre étudiants et forces de sécurité. Des violents incidents similaires se sont produits dans la nuit de dimanche à lundi dans l’Université de technologie Sharif à Téhéran et aussi à l’université d’Ispahan. On recense au moins 200 personnes assassinées, parmi lesquelles 25 enfants et adolescents, des milliers de personnes arrêtées, de nombreuses et nombreux protestataires torturé.es. Pour isoler les contestataires et empêcher la diffusion des informations, le régime coupe les réseaux internet, même s’il n’y parvient que partiellement. La poursuite et l’amplification des mobilisations montrent la détermination des Iraniens à en finir avec le régime dictatorial.
Après quatre semaines, les revendications ont évolué, on ne revendique pas seulement l’abolition du hijab obligatoire et de la police des mœurs mais de toutes les violences faites aux femmes et des lois contre elles. Au-delà de la cause des femmes, les manifestants demandent le renversement du régime et ils ciblent aussi le guide suprême, plusieurs photos du guide suprême accrochées dans les espaces publics ou dans les salles de cours, des écoles et des lycées ont été brulées, déchirées, à l’école par les élèves. Les slogans ne restent pas toujours féministes mais la priorité reste pour l’instant la cause des femmes.
De ce fait, en ce moment nous sommes face à une situation révolutionnaire et donc pour la première fois la cause des femmes n’est pas minimisée au profit des autres luttes et revendications, mais elle s’articule aux luttes des minorités nationales, des groupes marginalisés, la classe moyenne et populaire contre la situation politique et économique. C’est ainsi qu’elle conduit à un soulèvement exceptionnel à travers tout le pays.
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