Dans le contexte d’un réchauffement climatique planétaire qui menace l’existence même de nombreuses espèces sur Terre, incluant la nôtre, le gouvernement québécois adopte une bien étrange posture. Il défend systématiquement les industries minière, pétrolière, gazière et aussi bancaire ; il se prive volontairement de milliards de dollars, le tout en imposant une saignée à l’ensemble de la sphère publique et communautaire, tout en prônant le développement durable et une transition vers une économie dite verte.
La valse des sophismes et des contradictions entre le discours et la pratique gouvernementale a de quoi donner le tournis, mais elle ne doit pas nous distraire du véritable projet poursuivi, inhérent au capitalisme néolibéral : celui d’élargir continuellement le pouvoir du marché et du secteur privé dans nos sociétés. Disqualifier le pouvoir public et étatique, qui peut pourtant être un puissant acteur, avec les collectivités, pour stimuler et encadrer une transition écologique qu’on souhaiterait vraiment au service du bien commun. Ses ressources, tout comme sa capacité d’imposer des règles contraignantes, doivent être réduites au minimum et, surtout, servir essentiellement l’intérêt privé.
Les mesures d’austérité servent ce projet néolibéral, de même que ce qu’on appelle « l’économie verte », dans la mesure où cette dernière s’inscrit dans une dynamique favorable au marché et au secteur privé, vus comme les moteurs de la transition écologique. Telle que conceptualisée au sein des institutions internationales et gouvernementales, cette économie vise l’amélioration des conditions de vie et l’équité sociale, tout en cherchant à réduire les risques environnementaux et la pénurie des ressources. On ne peut certes pas être contre ses vertus, sa volonté de rupture avec les énergies fossiles en particulier – un objectif qui fait converger de nombreuses luttes cruciales en ce moment au Québec. Mais le hic, c’est que l’économie verte préconise, pour y arriver, l’expansion d’un capitalisme financiarisé selon lequel, pour sauver la nature, il faut en faire un capital – une idée qui fait magnifiquement l’impasse sur le fait que ce sont précisément le capitalisme et le productivisme qui sont les racines de la crise climatique et écologique mondiale. Selon cette vision, le problème fait donc partie de la solution et le salut environnemental planétaire nécessite d’attribuer enfin une valeur monétaire aux services gratuits que les écosystèmes, les forêts, ou encore les insectes pollinisateurs, par exemple, offrent à l’humanité. Après avoir marchandisé la biodiversité comme « ressource », il s’agit désormais de la marchandiser aussi comme « service ».
Cette conception marchande et technocratique de la nature est bien présente dans le discours de plusieurs groupes environnementalistes et dans la Stratégie gouvernementale de développement durable révisée 2015-2020, qui faisait l’objet de consultations en février dernier. Déployant des trésors de novlangue managériale, le Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques du gouvernement du Québec affirme aussi, par exemple, que : « Le bien-être de la population québécoise et la prospérité économique du Québec dépendent d’une foule de bénéfices offerts par les écosystèmes. Les milieux naturels nous procurent une vaste gamme de services, qui se déclinent en plusieurs types : les services d’approvisionnement (eau, produits pharmaceutiques, nourriture, matériaux, etc.), les services de régulation (contrôle du climat ou de l’érosion des berges, etc.), les services culturels (récréation, tourisme, bienfaits psychologiques associés aux espaces verts, etc.) et enfin les services de soutien (formation des sols, production d’oxygène, etc.). »
L’absurdité de cet étrange anthropomorphisme « corpocratique », qui assimile la nature à une entreprise fournisseuse de services ayant une valeur monétaire, est somme toute peu relevée au Québec. Plusieurs y adhèrent même, convaincus que cela peut être positif, tandis que d’autres s’y résignent en se disant « mieux vaut cela que ne rien faire ». Ainsi, cette tendance se développe et on se refuse de penser véritablement la transition écologique hors du cadre des solutions de marché. On s’enferme de plus en plus dans l’oubli du passé, dans l’oubli des sociétés qui, avant le capitalisme, ont réussi à gérer, partager et renouveler de manière commune les ressources nécessaires à la vie ; on cède aux pressions visant à nous faire oublier, également, tout le potentiel de la réglementation étatique contraignante, qui a pourtant prouvé son efficacité supérieure à celle du marché, par exemple dans la lutte pour enrayer les pluies acides.
Ce capitalisme vert, qui carbure à l’innovation technologique, à la financiarisation et à la spéculation, suscite résistances et questionnements à travers le monde. Nous partageons l’inquiétude de ceux et celles qui y voient une importante dérive, pour les pays du Sud en particulier, et nous avons aussi la conviction que les crises – climatique, écologique, mais aussi sociale, économique et démocratique – exigent une tout autre approche. Ce dossier, après plusieurs autres dans la même lignée, ouvre différentes portes pour continuer d’y réfléchir.
Il s’agit bien de comprendre, et de toute urgence, que la nature ne nous appartient pas : c’est nous qui appartenons à la Terre. La perte de cette compréhension est en train de perturber non seulement le climat, mais notre capacité même de penser en d’autres termes que ceux de la valeur économique, de penser notre rapport au monde dans la conscience du fait que la nature est bel et bien une richesse, mais une richesse irremplaçable et inestimable, à protéger du grand casino du monde.
Journée d’étude du centre Justice et foi et d’ATTAC-Québec - Économie verte : pièges et alternatives
Samedi 18 avril 2015 à Montréal
Programme complet de la journée : http://www.cjf.qc.ca/userfiles/file/Activités-Publiques/2014-2015/Programme%20de%20la%20journée.pdf
Renseignements : Agustí Nicolau, 514-387-2541, poste 241 / anicolau@cjf.qc.ca