À cet égard, le rempart qui protège en grande partie de la concurrence étrangère nos producteurs de lait, de volaille et d’œufs – ce qu’on appelle le système de gestion de l’offre – est menacé par un accord de libre-échange présentement négocié par le Canada : le Partenariat transpacifique (PTP)[1]. Dans un monde globalisé, ce système protectionniste est mal vu et il ne faut pas compter sur le gouvernement Harper pour le défendre, malgré de beaux discours à cet effet. Isolé sur cette question parmi les 12 pays qui négocient le PTP, il est peu probable qu’il résiste aux pressions. Les États-Unis veulent nous vendre davantage de leurs produits et signer cette entente afin d’imposer leurs règles dans la zone Asie-Pacifique, avant la Chine et l’Inde. Le président Obama est déterminé à en forcer l’adoption d’ici la fin de l’année. Toutefois, il fait face à une forte opposition, qui considère à juste titre le PTP – documents officiels révélés par WikiLeaks à l’appui – comme un énième coup de force des multinationales contre les intérêts des travailleurs et des populations.
Notre système de gestion de l’offre pourrait donc être affaibli, voire disparaître, mais faut-il le sauver ? La question se pose. En principe, celui-ci visait à ce qu’on produise ce qu’il nous faut de volailles, d’œufs et de lait par l’attribution de quotas, en assurant des revenus stables et équitables aux producteurs ainsi que de bons produits et de bons prix aux consommateurs. Dans les faits, depuis plusieurs années, l’Union paysanne et ses alliés dénoncent la cartellisation du système. Les quotas ont pris trop de valeur et sont devenus le monopole de quelques gros producteurs et intégrateurs, devenant inaccessibles aux petits producteurs, à la relève et à ceux qui veulent produire autre chose que des produits de masse uniformisés. Bon dans ses principes initiaux, cet outil qui se voulait collectif est donc à réinventer aux yeux de plusieurs, qui s’appliquent à construire des alternatives au modèle dominant.
À trop vouloir le beurre et l’argent du beurre, les gros joueurs de l’agro-industrie québécoise nuisent à la diversité de la production, sans souci d’équité. Il est désolant d’entendre l’Union des producteurs agricoles (UPA) affirmer : « Nous ne sommes pas contre le PTP. Nous sommes pour un PTP avec la gestion de l’offre intégralement préservée et sans concessions d’accès au marché. » C’est insuffisant et symptomatique d’une position contradictoire où l’UPA et consorts veulent protéger ce qui les arrange d’un côté et conquérir des marchés de l’autre.
Or, lorsqu’on a vraiment à cœur la souveraineté alimentaire du Québec, lorsqu’on veut que nos institutions publiques puissent favoriser la production alimentaire locale et lorsqu’on veut protéger nos politiques publiques des attaques des multinationales, la seule position cohérente est de s’opposer fermement aux accords de libre-échange et de promouvoir un modèle plus juste et solidaire.
En 2007, c’est le message qu’envoyaient 42 organisations, incluant des joueurs de l’agro-industrie (UPA, Coop fédérée, Agropur), en signant la déclaration « Pour un nouveau contrat social fondé sur la souveraineté alimentaire ». Ils revendiquaient que l’agriculture soit protégée, voire affranchie des règles du commerce international, comme le font encore aujourd’hui des centaines de mouvements paysans. L’ont-ils oublié ?
La Via Campesina d’Amérique du Nord (dont fait partie l’Union paysanne) et celle d’Europe, dans une déclaration commune du 17 avril dernier, elles, persistent : « Nous maintenons que les accords que sont l’AÉCG, le PTCI, le PTP et les accords leur étant reliés ne sont pas nécessaires au commerce entre les pays, et que ces traités vont limiter la capacité des gouvernements élus de créer des lois, règlements, politiques et programmes visant les intérêts du public, des agriculteurs et agricultrices et de notre environnement. » Ces organismes montrent la voie à suivre.
Note
[1] Lire Stuart Trew, « Le Partenariat transpacifique : un chèque en blanc ? », Relations, no 760, novembre 2012.
Dans le numéro juillet-août 2015 de Relations
DOSSIER : Fragments d’éphémère
Note : la majorité des textes de ce numéro seront mis en ligne
3-4 mois après leur publication.
Fragments d’éphémère , Jean-Claude Ravet
S’enfermer dans l’immédiateté , Marc Chabot
La petite fleur espérance , Raymond Lemieux
Mouches à feu , Hélène Monette
La fragilité des moments politiques , Diane Lamoureux
Infinitions , José Acquelin
L’état de grâce , Catherine Caron
L’instant et l’infini , Jean-Claude Ravet
Filiation , Emiliano Arpin-Simonetti
Artiste invité
Jacques Goldstyn
Éditorial
Souveraineté alimentaire : plus de cohérence svp ! , Catherine Caron
Actualités
Une région, c’est plus que de la ressource ! , Danik Laporte
Répression et profilage politique , Céline Bellot
L’art d’utiliser la guerre , Martin Forgues
Cuba–États-Unis : vers une normalisation ? , Claude Morin
Horizons
Menace sur l’eau au Brésil , Bernard Lestienne
Le Carnet
Éloge de la vraie librairie , Marie-Andrée Lamontagne
Chronique littéraire
Une prose pour la route , texte : Paul Chamberland, illustration : Christine Palmieri
Ailleurs
Burkina Faso : en finir avec l’ère Compaoré , Amzat Boukari-Yabara
Regard
Israël-Palestine : au-delà de la solution à deux États. Entrevue avec Jeff Halper , Michaël Séguin
Débat - Quelle place pour la radicalité dans notre société ?
La vraie radicalité n’existe plus dans notre société du consensus néolibéral où règne l’austérité de la pensée , Benoît Coutu
La radicalisation du capitalisme produit un contexte favorable aux courants politiques radicaux , Emiliano Arpin-Simonetti
Multimédias
Le prix à payer. Réalisation : Harold Crooks , Catherine Caron
Livres
L’âge citoyen - Jean Carette , Julien Simard
Impératif transition. Construire une économie solidaire - Michael Lewis et Pat Conaty , Benoit Rose
La double impasse. L’universel à l’épreuve des fondamentalismes religieux et marchand - Sophie Bessis , Claire Doran
Au péril des idées. Les grandes questions de notre temps - Edgar Morin et Tariq Ramadan , Gregory Baum