Tiré du site de la revue Contretemps |http://www.contretemps.eu | 29 avril
Farouchement opposé-e-s au néofascisme de Le Pen, mais combattant également le néolibéralisme effréné dont Macron était déjà l’un des accélérateurs dans le gouvernement sortant, comment pouvons-nous intervenir dans cette situation ?
L’ « extrême-centre » néolibéral : un triomphe fragile
Qui aurait pu le prédire il y a quelques mois ? Emmanuel Macron, l’ancien banquier, le politicien néolibéral par excellence des cinq dernières années, semble avoir réussi le hold-up parfait, passant du statut de ministre des finances du plus impopulaire gouvernement de la Ve république, à celui d’homme “nouveau”, hors et au-dessus des partis, susceptible de rafler la mise du ras-le-bol qui cherchait à s’exprimer contre un gouvernement austéritaire et autoritaire. Et dans un second tour qui n’est pas sans rappeler le face-à-face Clinton-Trump, Macron doit peut-être sa place à certains de ses points communs avec Trump : il a pu faire passer au second plan son passage par le gouvernement pour se présenter comme un outsider politique et un expert financier.
Ce dernier point nuance l’apparent triomphe électoral d’un représentant de la continuité. Or, cette victoire d’Emmanuel Macron au premier tour a pour revers la défaite des deux grands partis néolibéraux. On le sait, la victoire promise aux Républicains (LR) du fait de l’impopularité du gouvernement sortant, leur a échappé notamment sous l’effet de l’accumulation des scandales autour de la campagne Fillon. Et le candidat officiel du Parti Socialiste a quant à lui remporté un score historiquement bas, après le blocage de la campagne de continuité souhaitée par les cadres du PS par un vote anti-Valls à la primaire, entraînant le départ d’une partie de ces cadres vers la campagne Macron. Les deux piliers du « bipartisme à la française » n’ont recueilli que 26% des suffrages au premier tour.
Certes, les dirigeants historiques du PS remportent une sorte de victoire avec Macron, alors que tout indiquait que cette élection était perdue pour eux. Mais c’est une victoire de justesse, car même avec les voix de Macron, les candidats néolibéraux issus du gouvernement et de l’opposition LR ne totalisent pas plus de la moitié des suffrages exprimés du premier tour. Et le soutien obtenu par Macron au premier tour est extrêmement fragile. Quoi que l’intéressé en dise, le vote Macron impliquait encore moins d’adhésion que le vote Hollande en 2012 par exemple. La plupart de ses électrices/teurs n’ont pas cru une seconde qu’il était porteur d’une profonde transformation politique. Une partie d’entre elles/eux auraient voté pour LR sans les scandales Fillon. Une autre, plus grande encore, s’est laissée convaincre de ne pas voter Hamon ou même Mélenchon, parce que Macron a été présenté comme le moyen le plus sûr d’éviter un second tour Fillon-Le Pen.
De plus, la réussite de la « manœuvre Macron » à la présidentielle ne simplifierait pas les choses pour la majorité sortante aux législatives. Les sortants auront toutes les peines du monde à transformer leur image comme Macron a pu le faire. Ce dernier devrait pourtant composer avec eux dans ces élections, et son statut d’outsider en connaîtrait une érosion irréversible – processus déjà engagé par ailleurs dans cet entre-deux-tours. Les candidats LR bénéficiant du rejet de la majorité sortante, et libérés des scandales financiers ayant sans doute coûté la victoire à Fillon, reviendront alors en force. Sans parler du rôle important que des candidat-e-s de gauche indépendants du PS pourraient jouer dans cette campagne, étant donné le bon score de la campagne Mélenchon, arrivée en tête dans un certain nombre de circonscriptions.
Autrement dit, du point de vue des grands partis, une présidence Macron serait au mieux une solution fragile et temporaire à la crise de la représentation politique qui frappe la France et bien d’autres pays européens notamment. Cette crise à plusieurs niveaux s’est approfondie depuis des années de crise économique et sociale, et fait de l’Union Européenne ce que Stathis Kouvélakis appelle le “maillon faible” du capitalisme global. Voilà maintenant quelques temps que l’Union Européenne, et plusieurs des pays qui la composent, sont bien difficiles à gouverner autrement que par des coalitions regroupant les néolibéraux « de gauche » et « de droite », autrement dit, « l’extrême centre ». Mais il peut même devenir difficile de les gouverner avec une alliance de l’extrême-centre, comme on pourrait le voir sous une présidence Macron et une majorité LR ou LR-Macron-PS à l’Assemblée. Ce type de scénario pourrait poursuivre le processus de rétrécissement de la base électorale et politique du PS et de LR.
Pour l’extrême-centre néolibéral, la « victoire à la Macron » pourrait bientôt signifier un triomphe sans lendemain – si tant est que cette victoire se concrétise au second tour de la présidentielle.
Le danger néofasciste (ou : trois pièges tendus aux antifascistes)
Arrivée en deuxième position au premier tour, Marine Le Pen, la candidate du Front National (FN), a remporté près de 7,7 millions de voix, soit presque un million de voix supplémentaires par rapport au total (déjà élevé) des listes FN au second tour des élections régionales de 2015. Et contrairement à ce qui s’était produit en 2002 lors de l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, la présence de sa fille au second tour cette année ne fait pas l’effet d’une surprise, voire d’un « séisme politique », mais plutôt d’un événement prévisible.
Beaucoup semblent s’être résigné-e-s à la montée du FN. Les mobilisations contre le FN sont très limitées jusqu’ici, et les principaux candidats susceptibles de les encourager, comme Jean-Luc Mélenchon, ne le font que très peu pour le moment. Même la réussite du 1er mai est loin d’être une certitude. C’est dire tout le danger porté par la crise politique rampante, car avec le FN au second tour, nous avons affaire à la montée d’un parti très populaire dirigé par des fascistes (comme le confirme notamment le profil de Jean-François Jalkh, nommé président par intérim du FN et forcé d’y renoncer du fait de propos négationnistes).
Cet événement confirme une nouvelle fois l’efficacité de la stratégie de « dédiabolisation » et de « normalisation » du FN. Il s’agit d’une réelle transformation du FN, qui maintient cependant sa capacité à utiliser toute position institutionnelle pour conduire une politique d’extrême-droite, raciste, ultra-autoritaire, et ouvrant même la voie à un réel danger fasciste. En retrouvant le chemin du second tour de la présidentielle, face à un candidat néolibéral aussi radical et emblématique que Macron, le FN apparaît une nouvelle fois comme en tête de la course pour incarner la principale force d’opposition aux représentants politiques du capitalisme.
Premier piège dans la lutte contre la résistible ascension d’une force d’opposition néofasciste : celui des concessions, et de l’imitation du FN. La montée du FN a des retombées considérables sur le reste du champ politique, puisque la campagne Fillon a été caractérisée par une véritable surenchère raciste, xénophobe et islamophobe, et Nicolas Dupont-Aignan a également recueilli un meilleur score que prévu, élevant à près de 50 % des voix le total de ces trois candidats. Il est d’autant plus inquiétant de voir certains secteurs d’une gauche déjà en difficulté sur les questions de racisme, de violences policières ou de libertés démocratiques, a fortiori sous l’état d’urgence, se lancer à l’assaut du FN à grand renfort de drapeaux français, de patriotisme et de petites phrases contre l’immigration.
Deuxième piège : la stratégie du « front républicain », et du « tout sauf Le Pen ». Il s’agit de la même impasse que celle du « tout sauf Berlusconi », ou du « tout sauf Trump ». Dans un contexte de crise sociale et politique, et de rejet croissant des politiques néolibérales de ces dernières décennies, il est de plus en plus évident que le soutien aux grands partis « républicains » responsables de ces politiques n’est pas un barrage efficace contre le FN.
Depuis longtemps, la gauche radicale affirme que l’une des principales causes de la montée du FN est le désastre social et politique représenté par la domination du néolibéralisme et l’absence d’alternative. « 20 ans de politiques antisociales, c’est 20% pour le Front National », criaient des masses de manifestant-e-s anti-FN en 2002. Nous en sommes aujourd’hui à 30 ou 40 ans, et l’un des premiers slogans à émerger après l’annonce des résultats du premier tour est : « Macron 2017 = Le Pen 2022 ». On ne saurait trop insister sur l’impossibilité de lutter efficacement contre le FN aujourd’hui en donnant l’impression d’un compromis ou d’une trêve avec le gouvernement sortant et toutes les forces du néolibéralisme. Le coup médiatique réussi de Marine Le Pen contre Macron à Whirlpool en est l’illustration éclatante.
Troisième piège : la sous-estimation de la menace. L’exemple de Whirlpool nous montre également tout l’enjeu d’une lutte déterminée contre la menace spécifique du FN, sur ces bases d’indépendance de classe. L’indistinction entre ce que représentent les deux candidats, entraînée par des mots d’ordre de type « ni Macron, ni Le Pen », est dangereuse. On rencontre parfois l’idée qu’une courte victoire de Macron serait la meilleure manière de faire pression sur lui. Il s’agit d’une position intenable et irresponsable, parce qu’elle prend le risque d’une victoire de Le Pen, et parce qu’elle nie le danger spécifique représenté par la popularité croissante d’un parti dirigé par des fascistes.
Pour se convaincre, il suffit de penser aux pouvoirs présidentiels de la Ve république qui seraient ainsi placés entre les mains d’une dirigeante fasciste aguerrie. Si elle venait à l’emporter, Marine Le Pen provoquerait une aggravation sans précédent de la situation des non-blanc-he-s, des musulman-e-s, des immigré-e-s, mais aussi des juif-ve-s, des femmes, des LGBTI, des salarié-e-s, et des mouvements sociaux et politiques qui sont les nôtres. Il est indispensable que notre camp social et politique en soit très largement convaincu. Et même en cas de victoire de Macron, l’influence accrue qu’apporterait au FN un score élevé le 7 mai, ne serait pas sans graves conséquences sur les années à venir, aussi bien en termes d’influence dans la sphère politique et médiatique que de violences racistes et anti-ouvrières par exemple (individuelles mais aussi organisées ou encore policières). Tout cela, bien avant que le danger fasciste devienne immédiat – et bien avant 2022 !
Et le ralliement de certaines figures de la droite traditionnelle ou des franges intermédiaires (y compris récemment, de Nicolas Dupont-Aignan) à Le Pen n’a rien de rassurant sur ce point, il est même doublement inquiétant : il renforce la normalisation de long terme du FN, et même ses chances immédiates de victoire. Dans ces conditions, une telle victoire serait infléchie dans un sens différent du « fascisme », et vers un autoritarisme nationaliste et raciste, qui constituerait pourtant une aggravation de la situation, voire même une solution inattendue pour une « bourgeoisie sans solutions ».
Il nous faut éviter les pièges mortels qui consistent à lutter contre le FN soit en lui faisant des concessions, soit en s’alliant avec les néolibéraux, et prendre au sérieux la spécificité du danger néofasciste, notre pire ennemi.
Combattre le FN dans la rue et dans les urnes
La voie à suivre, dans les jours à venir et au-delà, est donc celle d’une lutte sans concession contre le FN, qui maintienne en même temps son indépendance vis-à-vis des partis néolibéraux, de LR au PS en passant par Macron.
Dans l’immédiat, une telle lutte doit se traduire par des mobilisations les plus larges possibles sur ces bases claires. Le 1er mai est une occasion à saisir pour rapprocher les revendications sociales traditionnelles de ces perspectives politiques, à travers des prises de position démocratiques, antifascistes et antiracistes, exprimées en même temps sur une base de classe, contre la politique conduite hier encore par Macron.
S’agissant d’un rendez-vous traditionnel du mouvement syndical, il ne faut pas sous-estimer l’importance de faire avancer des positions clairement antiracistes et anti-FN, dans un contexte bien différent de celui de 2002, où les mobilisations s’étaient déclenchées rapidement, et largement, contre le FN, et où l’enjeu consistait surtout à montrer les limites du « front républicain ». Aujourd’hui, le refus du front républicain a plus de chances d’être fort dans la rue, et la bataille consiste plutôt à remettre au centre des débats le fait que le FN est bien notre pire ennemi.
Ensuite, il serait naïf de penser que les perspectives politiques mises en avant sur la question électorale du second tour n’auront aucun effet sur la mobilisation de rue. Cette question difficile mérite donc que l’on s’y arrête.
Parmi les participant-e-s à ce front social et politique à construire dès maintenant dans la rue, certain-e-s refuseront d’utiliser le bulletin de vote Macron pour battre le FN le plus largement possible, parce que Macron représente une version extrême des politiques antisociales que nous subissons depuis des décennies. Macron lui-même n’y sera pas pour rien, lui qui prétend que voter pour lui le 7 mai, c’est adhérer à son programme, et dont la campagne fait jusqu’ici le jeu de son adversaire. A tel point que les premières mobilisations qui ont déjà eu lieu, notamment dans la jeunesse, ont le plus souvent pris pour mot d’ordre des formules du type « Ni Le Pen, Ni Macron ».
Il est nécessaire de combattre la tendance à mettre sur le même plan les deux figures, mais de le faire au sein d’un front uni de mobilisation, incluant celles et ceux qui envisagent de s’abstenir. Ce la signifie peut-être que ce front ne pourra s’unir que sur un mot d’ordre comme « Pas une voix pour le FN ! », déjà mis en avant par plusieurs forces syndicales et politiques. Ce slogan a le mérite de maintenir une claire indépendance vis-à-vis de tout ce que Macron représente dans ce second tour, sans oublier que le danger porté par le FN est pire encore.
Mais dans ce cas, ce front devra au moins laisser s’exprimer en son sein tou-te-s celles et ceux qui pensent que décourager le plus possibles d’électrices/teurs tenté-e-s par le FN ne suffit pas, et qu’il faut également voter le 7 mai pour réduire le pourcentage de voix allant au FN (avec le seul bulletin qui le permette : celui de Macron). Car Macron mène une campagne si repoussante pour notre camp social qu’il prend le risque de perdre face au FN.
La lutte contre le vote FN issu des classes populaires est certes une priorité. Il faut convaincre largement que toute voix d’un-e salarié-e, d’un-e privé-e d’emploi, etc., qui va au FN, en plus de renforcer toutes sortes de discriminations et de violences, affaiblira tou-te-s les salarié-e-s et le mouvement ouvrier. 20, 15, ou même 10 % d’électeurs de Mélenchon ou Poutou qui iraient au FN, c’est 20, 15, ou 10 % de trop. Une mobilisation sociale antiraciste et antifasciste large dans les jours qui viennent serait la meilleure façon de lutter contre ce phénomène. Et dans ces conditions, pour prendre des voix à Le Pen, appeler à voter le 7 mai pour battre le FN peut s’avérer contre-productif vis-à-vis d’une partie de l’électorat.
Mais tout ce qui peut apparaître comme un appel explicite ou implicite à l’abstention peut également être contre-productif, dans les urnes et dans la rue. Car une autre partie des masses populaires que nous espérons rassembler le 1er mai et au-delà, considère ne pas avoir d’autre choix que d’utiliser le bulletin de vote Macron comme instrument anti-FN le 7 mai.
C’est un phénomène important et cohérent, notamment parmi les non-blanc-he-s, et plus généralement celles et ceux qui feraient le plus immédiatement les frais d’une victoire ou d’une influence encore accrue du FN. Et si les mobilisations de rue des prochains jours apparaissent comme purement abstentionnistes, elles seront difficiles à élargir, et vulnérables à des mots d’ordre irresponsables du type « Macron = Le Pen ». C’est le risque encouru par exemple lorsque l’on affirme que « le FN ne peut pas être combattu par les urnes », alors que la stratégie du FN passe notamment par là (cette expression est d’ailleurs contradictoire avec « Pas une voix pour le FN »).
Pour battre Le Pen, il faut aussi s’opposer à Macron… mais pour battre Macron demain, il faut bien commencer par battre Le Pen aujourd’hui. Entre la guerre civile et la guerre sociale, il faut choisir la guerre sociale.
Briser l’étau : construire une nouvelle gauche indépendante et radicale
Si le slogan « Macron 2017 = Le Pen 2022 » est aussi marquant, c’est qu’il sonne comme le compte à rebours d’une bombe à retardement, prête à nous faire basculer de la guerre sociale à la guerre civile. Cependant il ne pointe pas seulement les responsabilités des néolibéraux dans la montée du FN, mais aussi les nôtres : nos échecs lui ont ouvert la voie, et nous devons construire une nouvelle force politique capable de rompre avec les politiques néolibérales et leur monde. Nous ne pourrons écarter éternellement le danger du FN sans cela. Car bien au-delà du vote du 7 mai, la guerre sociale sans merci des politiques d’austérité, et la menace d’une guerre civile agitée notamment par le racisme d’État, sont bien les deux pans d’une stratégie des classes dirigeantes qui nous prend en étau.
Ce projet implique de prendre en compte les rares bonnes nouvelles de ce scrutin. Les candidatures de gauche indépendantes du PS ont recueilli presque autant de voix que Le Pen cette année, ce qui est historique. La plupart de ces voix sont allées à Jean-Luc Mélenchon, malgré des interventions remarquées dans la campagne par le candidat du NPA Philippe Poutou, pour le désarmement de la police, ou encore contre Fillon et Le Pen (la fameuse formule sur « l’immunité ouvrière »).
Mélenchon a su attirer des voix bien plus nombreuses, tout d’abord parce qu’il ne traitait pas les élections comme une simple tribune, mais comme une arène politique dans laquelle se joue une partie de la transformation de la société que nous voulons. Ce type de campagne, lorsqu’elle obtient un bon score (et a fortiori en cas de victoire) peut devenir un encouragement vital aux luttes sociales, qui sont indispensables à cette transformation sociale radicale, en redonnant confiance aux exploité-e-s et aux opprimé-e-s. C’est le cas même lorsque le candidat en question semble sous-estimer l’ampleur des confrontations sociales nécessaires à sa politique, et se fond dans la posture de « sauveur suprême » attachée à la fonction présidentielle sous la Ve république.
La capacité de Mélenchon a s’approcher aussi près du second tour, dans une campagne indépendante et très critique du PS, et portée par un vote de rejet des politiques d’austérité (au-delà du contenu de son programme détaillé), est un point d’appui considérable pour les rudes épreuves qui nous attendent. Elle peut également donner confiance à un grand nombre de luttes locales, notamment dans les villes, quartiers populaires ou zones rurales, où Mélenchon est arrivé en tête.
La campagne Mélenchon a contribué à faire avancer certains débats cruciaux au sein de la gauche anti-austérité, concernant l’Union Européenne. La proposition d’un plan A de réforme antilibérale radicale de l’UE et d’un plan B de sortie de l’UE en cas d’échec du plan A, est une approche didactique et unifiante d’une question très importante, à laquelle la gauche radicale a trop souvent répondu par « plan A ou rien », ou simplement en esquivant le débat (considéré comme une « diversion »), même après l’échec retentissant essuyé par Syriza en Grèce, notamment pour avoir refusé de préparer un plan B.
Mais le projet de construire une nouvelle gauche, indépendante et radicale, implique également de pouvoir faire entendre des critiques et des débats sur la manière dont cette campagne a été menée, et certaines des positions et déclarations de Mélenchon. Ainsi, tout en défendant un programme intéressant pour les libertés démocratiques, la France Insoumise n’a pas brillé par ses pratiques démocratiques internes. La FI facilitera-t-elle la construction d’une nouvelle force pleinement démocratique, ou y fera-t-elle obstacle ?
Un autre faisceau de critiques concerne les conséquences de sa volonté de remplacer les symboles de la gauche par ceux de la République, et d’adopter une posture (voire un programme) nationaliste sur certaines questions. Ainsi, les classes dirigeantes françaises se trouvaient implicitement exonérées de leurs responsabilités dans une Union Européenne jugée « allemande » par Mélenchon.
Plus grave encore, la campagne Mélenchon a plutôt fait reculer que progresser la gauche sur la question du racisme : solidarité conditionnelle avec les migrant-e-s, accusations contre les travailleurs détachés plutôt que contre leurs employeurs et les politiques de casse sociale comme… la loi Macron, déni de l’islamophobie (qui lui ouvre grand la voie). S’y ajoutent des positions nationalistes en matière de politique étrangère, minimisant aussi bien le néocolonialisme de la France que les crimes de Poutine et d’Assad en Syrie. Mélenchon alla même jusqu’à flirter avec certains mots d’ordre traditionnels… du Front National, comme « la France aux Français ».
Dans le monde de l’après-11 septembre, et plus que jamais dans la France de l’après-2015, toutes ces prises de position empêchent d’organiser la lutte contre les discriminations et les oppressions, et de rassembler tou-te-s celles et ceux que nous devons rassembler contre la stratégie de tension des classes dirigeantes sous l’état d’urgence. On le voit, le piège du combat contre le FN au moyen de concessions au FN est loin d’être évité d’avance.
Tous les problèmes soulevés ici concernant la campagne Mélenchon ne doivent pourtant pas masquer la bonne nouvelle de son score, qui ouvre des perspectives pour la lutte contre les politiques néolibérales. Pour commencer, dans les jours qui viennent, il serait contre-productif de balayer d’un revers de main une telle campagne ayant réuni 19,6 % des suffrages, et d’appeler en même temps à des mobilisations de rue, comme si ce score ne faisait pas partie des points d’appui à des mobilisations, face à un deuxième tour par ailleurs démoralisant.
Ensuite, on peut avoir de sérieux doutes sur la possibilité de construire la nouvelle force politique dont nous avons besoin en passant par les fourches caudines d’une structure comme la France Insoumise. Mais comment ne pas voir comme une chance que la campagne Mélenchon, en tête à gauche, ait tiré son succès de son indépendance et de sa critique du PS et de Macron ? Sa campagne maintient d’ailleurs cette critique, fort heureusement, tout en appelant à ne pas donner une voix à Le Pen.
Si nous mettons pour le moment nos divergences au second plan pour nous consacrer à la construction d’un front social et politique contre le FN, le racisme et les politiques d’austérité, le front que nous construisons aujourd’hui pourra devenir le creuset de notre nouvelle force politique.
Nous voulons repousser le danger pour les migrant-e-s et les populations non-blanches, pour les LGBTI et les femmes, pour le mouvement ouvrier et les libertés démocratiques, que représentent la montée d’un parti à direction fasciste comme le FN et son influence sur tout le champ politique. Nous voulons aussi mettre fin à des décennies de politiques antisociales parfaitement incarnées par Macron, qui sont d’ailleurs l’une des causes majeures du danger fasciste. Nous avons donc un besoin urgent de constituer un regroupement politique de toutes les forces de gauche indépendantes du PS et du social-libéralisme.
Des éléments précurseurs de ce texte sont parus dans un article en ligne pour la revue Jacobin. Cette version substantiellement remaniée a bénéficié des débats en cours au sein de la gauche radicale. Remerciements en particulier aux camarades Caroline, Fabienne, Gabriel, Marie, Mimosa, Selma, Soraya, Sylvestre, ainsi qu’à Kevin Ovenden, sans oublier Grégory Bekhtari, Laurent Lévy, Ugo Palheta, Julien Salingue, et Gianfranco Rebucini, membres de la rédaction de Contretemps. Ce texte n’engage cependant que son auteur.
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