Quatre jours pour une marche arrière
En fait, la condamnation par les médias internationaux de la libération des trois députés nazis et le mépris pour les institutions montré par Kasidiaris, sortant du tribunal en distribuant coups de poing et coups de pied autour de lui, (ce qui a provoqué une nouvelle flambée de colère chez des centaines de milliers de militants antifascistes à travers le pays) ont donc amené le "pouvoir judiciaire indépendant" à garder le "Führer" de l’Aube dorée Michaloliakos et son vice-Führer Papas en prison.
Ainsi donc, quatre jours seulement après la séquence "cinématographique" de l’arrestation des dirigeants de l’Aube Dorée et le "bombardement" continuel d’informations par les médias, apportant chaque jour des preuves "convaincantes" contre eux, le système judiciaire a décidé de libérer trois d’entre eux jusqu’à leur procès parce que les preuves pour les garder en prison seraient insuffisantes !
Quatre jours ont donc suffi pour que l’Etat et le gouvernement relâchent temporairement la pression sur les nazis, avec lesquels ils négocient probablement en coulisses sur un certain nombre de questions sensibles (y compris la volonté d’éviter des élections anticipées en raison de démissions éventuelles de députés de l’Aube Dorée).
Tout cela permet à la machine de propagande de l’Aube Dorée de parler de persécution politique, de se réjouir des décisions de libération et de remonter un peu le moral des membres. En outre, cela leur donne le temps de se réorganiser - un temps précieux, surtout compte tenu de la triste image donnée par les quelques dizaines de partisans d’Aube Dorée devant le siège de la police et les tribunaux. Cela peut créer encore plus de confusion parmi les secteurs politiquement les plus confus de la société qui estiment que « quelque chose se cache derrière les arrestations » ou qui sont extrêmement méfiants vis-à-vis des médias.
A leur libération sous caution, le trio de voyous de Aube dorée n’a pas tardé à prouver à quel point ils étaient « inoffensifs ». Kasidiaris a boxé un journaliste et jeté à terre un caméraman en leur intimant l’ordre de se tenir à l’écart de lui ; Michos a crié à la ronde qu’on ne pourrait se débarrasser de lui qu’en le tuant et Panayiotarios a déclaré ironiquement que le système devrait être « très fier de sa démocratie » qui n’était que la « façade de leur persécution ».
Des nazis qui se renient publiquement
Le véritable caractère des hauts dirigeants de l’Aube Dorée - et surtout de Michaloliakos et de Papas - a été mis en évidence quand ils ont nié « leurs propres valeurs fondamentales et leur idéologie ». Ils n’ont même pas eu la « décence » de défendre leur idéologie, ébranlant ainsi tous les idiots qui les suivaient, qui avaient été endoctrinés par eux et qui étaient prêts à être envoyés en prison pour les défendre...
Michaloliakos a condamné la violence, juré sa foi en la démocratie parlementaire et nié son idéologie nazie, en affirmant que, quand il salue le bras tendu, c’est pour indiquer qu’il a les mains propres et non pour faire un salut nazi. Il a également dit qu’il condamnait toute obligation de porter un uniforme - les pantalons, chemises et blousons noirs de l’Aube Dorée - et que ce n’était qu’un « choix vestimentaire » des membres. Il a condamné les marches militaires, en dépit du fait que chaque meeting de l’Aube Dorée est animé par des bataillons marchant en t-shirts noirs... Plus intéressant, il dit qu’il avait été un hitlérien (ce qu’il ne pouvait nier, vu le nombre d’articles qu’il a écrit), mais qu’il avait rompu avec cela et qu’il était seulement un nationaliste chauvin grec.
Dans la maison de Papas, on a découvert une déclaration écrite lors de l’entrée de celui-ci à l’Aube Dorée en 1983, où il jurait de sa foi en Hitler et dans le national-socialisme et son idéologie raciale. Lorsque le juge lui a présenté cette preuve, il n’a pas nié qu’il l’avait écrite, mais il a dit qu’il n’en défendait pas le contenu et qu’il ne se souvenait pas l’avoir écrite ... Lorsqu’on l’a interrogé sur les portraits d’Hitler et les croix gammées trouvés dans sa maison, il a répondu qu’il était seulement un collectionneur de la Deuxième Guerre mondiale.
Quant à Kasidiaris, il ne sait rien au sujet de son propre passé, il a oublié qui était le type avec une croix gammée tatouée sur la main qui a frappé la députée communiste Kanelli en direct à la télévision et a agressé un journaliste lors de sa sortie. Il a oublié sa propre idéologie et se contente de répéter la formule selon laquelle il n’est « ni un nazi, ni un national-socialiste ». Pourtant, pas plus tard qu’en 2011, il a écrit un article affirmant : « Qu’aurait été l’avenir de l’Europe et de l’ensemble du monde moderne, si la Deuxième Guerre mondiale ... n’avait pas arrêté le cours rafraichissant du national-socialisme ? Les valeurs fondamentales issues principalement de la Grèce antique, auraient dominé spirituellement tous les États et auraient tracé le destin des nations. Le romantisme comme mouvement intellectuel et le classicisme auraient prévalu sur la sous-culture décadente qui a érodé l’homme blanc ». Il est remarquable de constater la vitesse à laquelle Kasidiaris a renié ses « valeurs fondamentales ».
Un fasciste patenté, le poète américain Ezra Pound, a déclaré un jour que « Si vous ne faites pas de sacrifices pour vos idées, alors vous ne méritez pas vos idées ou vos idées n’en valent pas la peine. » Le jour où il a réellement du appliquer ses idées, lorsqu’il a été arrêté à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Pound a pourtant préféré faire semblant d’être fou pour échapper à l’accusation d’être un fasciste...
Il en va aujourd’hui de même pour les dirigeants de l’Aube Dorée. Leur comportement de lâches, leur découragement, leur absence de vigueur, leur disposition à renoncer à leurs convictions sont un témoignage de première classe de la "qualité" de leurs personnalités et et de leurs idées.
Des liaisons coupables
Au cours des dix derniers jours, la grande majorité des nouvelles a été "saturée" avec des informations et des révélations - politiques et non politiques - à propos de l’Aube Dorée.
Les nouvelles révélations de témoins protégés sur le rôle de Kasidiaris dans l’endoctrinement idéologique des nouvelles recrues, et sur celui de Panayiotaros et de Michos dans les camps d’entraînement - où, selon un de ces témoins protégés, Michos, boucher de profession, "enseignait" aux nouvelles recrues comment poignarder à mort - mettent la décision judiciaire en perspective.
La direction de l’Aube Dorée emprisonnée pourra continuer à prétendre être persécutée par le « système », pendant que son groupe parlementaire continuera de rouler des mécaniques et d’intervenir au parlement et dans la société. Une telle situation ambivalente ne mènera pas à la marginalisation politique du parti néo-nazi, pas même à la marginalisation limitée prévue par le gouvernement.
Pendant ce temps, ce même gouvernement s’apprête à renouveler au cours des prochains mois son offensive contre la population avec de nouvelles mesures d’austérité et un nouveau Mémorandum, le troisième du genre.
Ces évolutions confirment que la lutte contre le néo-nazisme ne peut pas être laissée à un gouvernement dont des responsables de premier plan montrent des affinités sélectives et des relations d’’’amour-haine" avec l’Aube Dorée, un gouvernement qui porte atteinte à la démocratie, qui transforme le pays en un « protectorat » et qui met en œuvre des politiques de pillage néolibéral et de démantèlement des conditions de travail et du niveau de vie des travailleurs.
Pour ne citer qu’un exemple de ce genre de rapport étroit, Kranidiotis, conseiller du Premier ministre conservateur Samaras, a nonchalamment déclaré sur son site internet qu’il avait pris le café à plusieurs reprises avec Michaloliakos et Kasidiaris dans une atmosphère amicale où il a "soulevé" ses désaccords avec leurs tactiques. À propos de Syriza, il n’est pas aussi décontracté et généreux. Il parle d’eux comme la « racaille de Syriza, les anti-establishment anarchistes de mes deux couilles ». Il a aussi écrit qu’il garde ses « balles » pour les vrais opposants (sans doute la racaille de Syriza et des anarchistes). Que se serait-il passé si un membre éminent de Syriza avait déclaré qu’il gardait ses balles pour les racailles de la Nouvelle Démocratie et des autres forces de droite.
L’Aube Dorée, ébranlée mais pas détruite
Les nazis sont capables de n’importe quel acte de terrorisme. Ils sont une menace constante pour la vie de chaque immigré, de chaque militant syndical, de chaque militant de gauche, de chaque « indésirable » qui ne correspond pas à leurs normes.
L’assassinat de Pavlos Fyssas, quelques jours après une attaque provocatrice sans précédent lancée par 50 voyous de l’Aube Dorée contre 30 syndicalistes du PAME [le front syndical du Parti Communiste KKE] à Perama, a prouvé que le monstre nazi était hors de contrôle.
L’éruption d’un mouvement antifasciste sans précédent, avec 35 manifestations en une seule journée (le lendemain de l’assassinat de Pavlos Fyssas), et la dynamique qui s’est poursuivie depuis lors, a alarmé les dirigeants du pays. Une fois de plus, ils ont agi d’une manière inconséquente, se ridiculisant en arrêtant les tueurs, puis en les libérant !
Le « démantèlement » de l’Aube Dorée est un coup dur pour les nazis. Pour leur dynamique politique, pour leur financement, pour leurs médias, pour leur expression politique, en un mot pour tout son fonctionnement global. Mais ce serait une grave erreur de penser que le gouvernement Samaras s’est débarrassé du fascisme !
Le terrain social qui nourrit le fascisme reste intact et le processus politique enclenché par l’Aube Dorée a laissé des traces qui ne s’effaceront pas si facilement ; le réseau national d’organisations locales, la prolifération de « bataillons » paramilitaires et les mécanismes souterrains d’extorsion et de "protection" ne se dissoudront pas volontairement et automatiquement. Les sondages d’opinion donnent encore aujourd’hui à l’Aube Dorée autour de 6,5% des voix (et le chiffre réel pourrait bien être plus élevé, étant donné que de nombreuses personnes hésitent maintenant à dire qu’elles votent pour ce parti).L’Aube Dorée - ou le nouveau nom qu’elle prendra - va certainement réajuster ses tactiques et regrouper ses forces afin d’intervenir de manière dynamique dans les élections européennes et les élections locales.
Et comme la tragédie sociale provoquée par la politique extrêmement anti-ouvrière du gouvernement provoque une répulsion de plus en plus grande, comme la désespérance sociale se développe, comme la gauche continue à être candidate au pouvoir et à menacer les capitalistes grecs, le fascisme restera un danger mortel, l’expression politique du "désespoir contre-révolutionnaire" d’une partie des classes moyennes en difficultés et des travailleurs aliénés, et le dernier "talon de fer" du système.
Une nouvelle étape pour le mouvement antifasciste
Le coup sérieux que l’Aube Dorée a subi nous donne juste un temps précieux pour mieux nous préparer à lutter contre elle. Nous ne devons pas gaspiller ne serait-ce qu’une minute de ce temps.
La gauche (principalement Syriza) devrait se rendre compte que la défaite du fascisme ne se fera pas en donnant une délégation à l’Etat bourgeois. Les résultats des élections à Nikaia et Redi avaient donné une indication : Syriza 25,09%, KKE 14,39%, les Grecs Indépendants 11,4%, l’Aube Dorée 9,02%, la Nouvelle Démocratie 9,01%, le Pasok 7,99%, Dimar 5,83%, les Verts 3,38%, Antarsya 1,21%. Les résultats ont été similaires à Keratsini et Perama. Donc la question est de savoir comment, dans une zone où la gauche avait rassemblé plus de 40% et l’Aube Dorée moins de 10%, les rues ont-elles été remportées par l’Aube Dorée ?
Seul le mouvement de masse peut obtenir des victoires importantes contre les fascistes, pas le gouvernement. Le gouvernement, ce sont ceux qui, en fin de compte, ont besoin d’une Aube Dorée, juste un peu plus "prudente" et "rabotée" et mieux "contrôlée" pour terroriser le mouvement et les militants de manière à pouvoir appliquer sa politique neolibérale d’austérité anti-ouvrière et anti-sociale.
Le renforcement des comités anti-fascistes existants et la création de nouveaux comités dans les jours qui se sont écoulés depuis l’assassinat de Pavlos Fyssas sont l’héritage le plus précieux pour la prochaine période.
Dans leurs déclarations, Samaras et Voridis ont directement menacé la gauche de poursuivre, non seulement l’Aube Dorée, mais aussi ceux qui sont contre l’Union Européenne, l’OTAN, etc. A Halkidiki, 27 militants ont été traînés devant les tribunaux sur des accusations d’association de malfaiteurs. Mais notre réponse sera très claire : la théorie des "deux extrémismes" qui cible le mouvement et la gauche ne passera pas !
Il est maintenant temps pour la plus grande unité possible dans le mouvement antifasciste contre le gouvernement et les néo-nazis. Une étape très importante a été franchie, avec la création de Comités de coordination anti-fasciste à Athènes et au Pirée, ainsi qu’en Macédoine et en Thessalie. Sur cette base, nous devons créer un front anti-fasciste puissant qui vise à renverser le gouvernement et les politiciens qui ont donné naissance et qui nourrissent le fascisme.
La direction de SYRIZA ne doit pas seulement abandonner ses illusions sur les institutions bourgeoises "démocratiques" et sur la légitimité civile, mais prendre l’initiative pour la formation d’un front uni anti-fasciste politique en créant dans chaque quartier, dans chaque école, dans chaque lieu de travail, des groupes de défense antifascistes et une milice anti-fasciste centrale tout en mettant en place une alliance politique entre Syriza, le KKE et Antarsya, dans le but d’aboutir à un gouvernement de gauche et à un pouvoir des travailleurs qui pourront terminer l’’éradication des cancers nazis et capitalistes.
Article publié le 11 octobre 2013 sur www.workersliberty.org
Traduction française pour avanti4.be : Jean Peltier