Thomas Lemahieu. Quel est le point de non-retour au sein de Syriza qui vous conduit aujourd’hui à créer un nouveau parti, Unité populaire ?
Stathis Kouvelakis. C’est à la signature de l’accord du 13 juillet. La fracture était apparue avant, quand, en l’espace de quelques jours, le « non » du référendum a été transformé en « oui » et quand le gouvernement grec est allé négocier à Bruxelles avec un mandat qui signifiait de fait l’acceptation du cadre austéritaire. Mais c’est la signature par Alexis Tsipras de l’accord qui a ouvert le processus conduisant à la scission de Syriza - il faudrait d’ailleurs parler plutôt de désintégration de Syriza. Il y a eu ensuite les deux votes au Parlement sur les deux paquets de mesures préliminaires à l’accord, puis celui sur le memorandum qui est venu sceller la rupture. Le gouvernement Tsipras a signé le memorandum sans jamais, à aucun moment, obtenir l’approbation d’une quelconque instance de Syriza. Alexis Tsipras ne peut pas se réclamer d’un seul texte, d’une seule décision qui l’autorisent à faire ce qu’il a fait ; au contraire, les rares fois où le Comité central s’est réuni depuis que Syriza est au pouvoir, il a pris des décisions qui, toutes, allaient dans le même sens : en aucun cas, nous ne signerons un memorandum. « Tout sauf ça ! » Et ce qui est arrivé, c’est précisément ce qui était en principe totalement exclu. Autant la coexistence dans un même parti de courants, de sensibilités ayant des désaccords, y compris sur la question de l’euro, était possible tant que l’objectif central du renversement des memorandums était maintenu, autant la coexistence dans un même parti de tenants de la signature d’un memorandum et d’opposants ne l’était pas. Quand Alexis Tsipras a décidé d’accepter un memorandum, il prenait dans le même geste la décision de dissoudre son parti !
Avez-vous rassemblé tous les parlementaires de Syriza qui se sont prononcés contre le nouveau memorandum ? Avec les vingt-cinq députés, au départ, d’Unité populaire, le compte n’y est pas, si ?
Stathis Kouvelakis. Lors du vote, il y a eu 32 « contre » et 17 votes « présent » - ce qui, dans le système parlementaire grec, n’équivaut pas exactement à une abstention, c’est très proche d’un vote « non »... Ceux que nous n’avons pas encore rassemblé, c’est Zoe Konstantopoulou, la présidente du Parlement qui occupe encore ses fonctions institutionnelles, mais qui ne va pas tarder à nous rejoindre, et trois députés du courant maoïste KOE de Syriza avec lesquels nous sommes en discussion. Puis il y a Yanis Varoufakis qui, lui, ne nous viendra pas car nos positions sont trop éloignées.
De manière plus large, Unité populaire n’est pas un parti, c’est un front qui rassemble une dizaine de composantes. Certaines sont issues de Syriza, d’autres ont fait partie de Syriza dans le passé ou y ont collaboré, d’autres encore viennent de l’extrême gauche comme des courants de la coalition Antarsya. Au fond, Unité populaire est assez proche de ce que la coalition Syriza a été jusqu’en 2013, avant de se fondre dans un seul parti. C’est une formule à laquelle nous tenons : nous sommes un front politique, avec le pluralisme, avec le respect des différences, avec l’accent mis sur l’auto-organisation. Notre objectif est d’assurer la structuration politique du « non » qui s’est exprimé lors du référendum le 5 juillet et qui a été majoritaire de façon écrasante dans la jeunesse comme dans les catégories ouvrières et populaires. Nous voulons construire par en bas des comités larges et ouverts. Bien entendu, nous attendons que des militants, des individus, des personnalités politiques nous rejoignent également... On pourra ne pas être d’accord sur tous les points du programme, mais le cœur, c’est bien de considérer que la rupture avec les mémorandums est indispensable, que ça implique une confrontation avec l’Union européenne, même si, quant aux moyens à utiliser dans cette confrontation, il peut y avoir des points de divergence. Mais il est très clair que nous tirons tous la leçon de l’échec stratégique de Syriza et que nous avons une approche alternative pour ne pas aboutir à la même capitulation.
En tant que troisième groupe au Parlement grec, la Constitution grecque donne à Unité populaire un « mandat exploratoire » pour tenter de former un gouvernement. Comment utilisez-vous cette phase qui va s’achever ce jeudi ?
Stathis Kouvelakis. Nous cherchons à utiliser les trois jours qui nous sont donnés pour montrer quelle est notre manière de concevoir la politique. Notre mot d’ordre, c’est la parole aux forces sociales, et nos propositions vont dans le sens d’une démocratisation institutionnelle. Premièrement, Panayiotis Lafazanis rencontre de façon thématique les représentants de forces sociales particulièrement affectées par les divers aspects du memorandum et en première ligne des combats contre le memorandum et ses effets : ce sont les syndicats de salariés et de retraités lourdement affectés par les coupes à venir sur les pensions et par la liquidation des droits sociaux restants, ce sont les campagnes citoyennes contre les privatisations, ce sont les agriculteurs, les pécheurs, etc. L’idée, c’est de montrer que, pour nous, la politique, ce n’est pas simplement des conciliabules avec des représentants des partis. La politique se fait avec les forces sociales, avec les mobilisations.
Deuxièmement, nous faisons des propositions institutionnelles : pour aller dans le sens de la démocratisation, on veut supprimer le bonus de 50 sièges donné au parti qui arrive premier lors des élections, conformément à un engagement électoral de Syriza – c’était l’une des mesures phares de Syriza, pas respectée comme les autres -, et nous proposons d’appuyer la discussion que Zoe Konstantopoulou tente de lancer au Parlement sur les réparations de guerre allemandes pour permettre au Parlement de continuer son travail jusqu’au bout.
Vous avez critiqué durement l’appel aux urnes d’Alexis Tsipras... Pour quelles raisons ?
Stathis Kouvelakis. Ce que nous critiquons, c’est le fait de faire des élections express ! C’est assez classique pour essayer de prendre de court ses adversaires, mais Tsipras a fait quelque chose qu’aucun parti systémique n’avait osé faire jusque là, c’est aller vers des élections en plein mois d’août, alors que, dans un pays comme la Grèce, les gens sont en vacances, précisément à ce moment-là... Ce qui réduit d’autant plus la campagne électorale. Le but de la manœuvre est extrêmement clair : il s’agit d’aller aux urnes le plus vite possible avant que les impacts concrets du memorandum ne se fassent sentir dans la population.
Quels sont les éléments saillants du programme d’Unité populaire ?
Stathis Kouvelakis. La rupture avec le memorandum et avec les politiques d’austérité est déterminante. Nous voulons annuler les memorandums, comme Syriza l’avait promis. Nous voulons rompre avec les objectifs des excédents budgétaires. Nous comptons cesser immédiatement le remboursement de la dette et négocier pour l’annulation de sa plus grande partie, mais sur ces bases ! Aucun redressement n’est possible pour la Grèce tant que le pays est saigné pour rembourser cette dette. L’une des erreurs majeures du gouvernement Syriza, c’est qu’il a continué à rembourser la dette : 7 milliards d’euros se sont envolés entre janvier et juin, les caisses publiques se sont totalement vidées. Et puis, nous ne nous faisons aucune illusion quant à la compatibilité d’un programme de rupture dans le cadre de l’euro. Donc, en cas d’intransigeance des institutions, avec les restrictions de l’accès aux liquidités décidées par la Banque centrale européenne (BCE), nous retournerons à la monnaie nationale. La phase de transition présente certes des difficultés, mais aussi des opportunités importantes pour la relance et pour une politique économique qui aille dans le sens de la justice sociale et environnementale.
Vous évoquiez « l’intransigeance » des institutions... Sur la sortie de l’euro, êtes-vous tous d’accord au sein d’Unité populaire ?
Stathis Kouvelakis. Oui, nous pensons qu’il faut nous préparer pour la sortie de l’euro. C’est absolument clair ! Le programme d’Unité populaire est finalisé, il sera rendu public à la fin de la semaine. La préparation de la sortie de l’euro est un point fondamental. Cette question comporte plusieurs aspects. Le premier, c’est évidemment la récupération de la souveraineté politique dans le cadre où un gouvernement se retrouve confronté à la sainte-alliance de toutes les puissances néolibérales. Dépourvu de l’outil monétaire, on l’a vu, nous sommes pris en otage par la BCE. Syriza l’a subi dès le 4 février... Deuxièmement, c’est un moyen pour permettre le redémarrage économique en assurant l’approvisionnement en liquidités. Ensuite, c’est un moyen extrêmement important sur la question de la dette : en passant par la monnaie nationale, la dette devient quasiment impayable, personne ne va accepter le remboursement d’une dette qui se retrouve libellée en une monnaie nationale. Cela nous place en position de force. Enfin, la dévaluation permet de relancer vigoureusement la croissance : tous les pays qui se sont retrouvés dans une situation de récession profonde n’ont pu redémarrer économiquement qu’avec une dévaluation monétaire. Le choix est simple, en réalité : c’est soit une dévaluation monétaire, soit la dévaluation interne, c’est-a-dire les plans d’ajustement structurel qui sont imposés pour faire baisser les salaires et les retraites, et qui écrasent le coût du travail. C’est sûr que la dévaluation monétaire crée un certain nombre de problèmes, mais elle crée aussi des opportunités : elle booste la production nationale, elle permet une substitution des importations par les exportations, elle rend les exportations plus compétitives... Certes elle peut être problématique là où il faut payer en devises fortes : les carburants, l’énergie, certains médicaments qui sont nécessairement importés – mais pas tant que ça, par parenthèse, la production nationale peut assurer une bonne partie... Tout cela ouvre des difficultés transitoires. Mais, en réalité, on le voit avec les économistes hostiles au néol-libéralisme, que ce soit Krugman ou Stiglitz, que ce soit Aglietta ou Lordon en France, le débat est tranché : le meilleur choix possible pour la Grèce, le seul viable en réalité, disent-ils, c’est le retour à une monnaie nationale, dans le cadre, bien sûr, d’une politique progressiste de relance qui peut gérer les problèmes. Il y aura des pressions inflationnistes, mais un gouvernement de gauche peut protéger les salaires dans ce contexte...
Dans votre programme, la Grèce sort de l’euro, mais quitte-t-elle l’Union européenne ?
Stathis Kouvelakis. Non, pas nécessairement. La question est susceptible de se poser, mais ce n’est pas automatique. Après tout, il y a dix pays de l’Union européenne qui ne sont pas dans l’euro. Ce n’est pas tranché pour nous... Ce que notre programme prévoit si la confrontation devait aller plus loin, c’est d’aller vers un référendum. Le gouvernement britannique le prépare, avec une orientation politique tout à fait éloignée de la nôtre, mais nous ne voyons pas pourquoi on ne pourrait pas se poser la question de notre côté. Mais le départ de l’Union européenne ne fait pas partie des objectifs d’Unité populaire.
Ces derniers mois, face aux prétentions du gouvernement grec, les cercles néolibéraux ont manifesté une détermination phénoménale, ils paraissaient prêts à détruire totalement l’économie du pays. En cas de dévaluation, par exemple, avec les effets attendus sur la dette, comment parer les foudres de tels adversaires ?
Stathis Kouvelakis. La conclusion que nous tirons de l’expérience du gouvernement Syriza, qui a été confronté immédiatement au blocus et à la guerre déclenchée par les institutions européennes, c’est qu’il faut faire preuve d’une détermination au moins équivalente. C’est précisément là que le gouvernement Syriza a échoué : il n’a pris aucune mesure d’auto-défense. C’est dans ce cadre que nous concevons le retour à la monnaie nationale. Ce moyen va nous aider dans le cadre du remboursement de la dette car il nous place en position de force pour obtenir de la part des créanciers l’annulation de la plus grande partie de la dette. Nous voulons un compromis de cette nature, comme cela s’est passé dans tous les pays surendettés, je pense à l’Argentine, à l’Equateur... Nous considérons qu’il est indispensable de récupérer la souveraineté monétaire dans le cadre du rétablissement démocratique de la souveraineté populaire, et absolument pas dans une perspective de repli nationaliste... Notre démarche est profondément internationaliste. Nous ne racontons pas des salades, comme l’a fait Syriza : nous ne disons pas que nous allons convaincre les autres Européens, nous n’avons pas d’illusions sur le fait que Hollande ou Renzi ou je ne sais qui vont nous aider dans l’Union européenne. Nous comptons sur la mobilisation du peuple grec, sur la sensibilisation de l’opinion publique européenne, sur la solidarité internationale des mouvements sociaux. Les véritables alliés pour nous sont là !
Vous ne voyez aucun allié institutionnel en Europe ?
Stathis Kouvelakis. Non, pas en Europe ! On peut en trouver ailleurs... C’est une autre dimension.
A ce propos, vous semblez vouloir instituer des relations fortes avec d’autres Etats ailleurs sur la planète afin de couvrir les besoins de financement de la Grèce. Mais ce qu’il se dit dans le gouvernement Tsipras, encore aujourd’hui, c’est que ces tentatives ont été faites, mais qu’elles n’ont pas pu aboutir... C’est faux ?
Stathis Kouvelakis. Alors, d’abord, tout n’a pas été négatif dans ce que le gouvernement Syriza a réalisé. Le fait que, dans de larges secteurs de la population grecque, la réalité de ce qu’est l’Union européenne apparaisse, c’est le gouvernement Syriza avec sa stratégie erronée qui l’a rendu possible. La bataille du référendum a permis une forte mobilisation populaire et une avancée déterminante dans les termes du débat, c’est aussi au gouvernement Syriza qu’on la doit. Tout ça aboutit à une défaite, mais il faut bien voir le chemin qui a été parcouru.
Alors, dans les tentatives que le gouvernement a faites, il y a eu effectivement des ouvertures vers certains pays, mais nous sommes restés bloqués à mi-chemin. Vis-à-vis de la Russie, en particulier, l’attitude a été hésitante : des démarches ont été entreprises, mais au moment crucial, le gouvernement Syriza n’a pas donné suite.
A quel moment ?
Stathis Kouvelakis. Lors du tournant critique du référendum. L’accord pour le gazoduc, obtenu par Panayiotis Lafazanis qui était ministre à ce moment-là, est extrêmement favorable. Lafazanis a eu la marge politique pour faire ce geste important, les contacts se sont poursuivis. Mais il faut savoir que les Russes ne savaient pas, au fond, ce que les Grecs voulaient. Ils étaient extrêmement méfiants car ils avaient l’impression que ces gestes d’ouverture de la Grèce étaient utilisés comme une carte dans la négociation avec les institutions européennes, comme un outil de com’. Les photos avec Poutine servaient de moyens de pression, mais tout ça restait très superficiel, et ça n’allait pas, ils le sentaient, être suivis d’engagements concrets. Et ils n’aiment pas qu’on joue avec eux.
Donc, si la Grèce sortait de l’euro, trouveriez-vous des financements à la hauteur nécessaire en dehors de l’Union européenne ?
Stathis Kouvelakis. Nous n’avons pas une vision eurocentrique. L’Europe, d’ailleurs, ne se limite pas à l’Union européenne. La Russie et la Turquie, par exemple, sont des réalités européennes. L’Europe elle-même doit sortir des attitudes impérialistes et néo-coloniales vis-à-vis des autres pays du monde. Et bien entendu, nous voulons développer les relations avec les gouvernements progressistes des pays du Sud, tout particulièrement en Amérique du Sud – c’est un choix stratégique d’Unité populaire -, mais aussi avec des puissances comme les Brics. Tout cela, évidemment, dans des conditions qui soient favorables aux intérêts du peuple grec. Développer les relations avec la Russie ou avec la Chine, ce n’est pas exactement la même chose, par exemple : la Chine, c’est vraiment le business et le commerce qui les intéressent. Nous, nous ne voulons pas des privatisations qui attirent les Chinois, mais en même temps, ils ont fait des ouvertures au niveau de la banque des Brics... Avec la Russie, c’est autre chose car elle a une vision essentiellement géopolitique : pour elle, les intérêts économiques sont subordonnés à une vision géopolitique. Il est clair aussi que les relations avec la Russie ne signifient en aucun cas que nous considérons que Poutine est politiquement ou idéologiquement proche de nous. Ce sont des relations internationales...
Toujours sur votre programme, comment comptez-vous arrêter les privatisations ?
Stathis Kouvelakis. L’un des points-clés pour nous, c’est la nationalisation des quatre banques systémiques. C’est très simple et c’était un élément fort du programme de Syriza. Dans trois des quatre banques, le public est aujourd’hui majoritaire, mais ces droits demeurent muets et passifs car ce sont les conditions de la recapitalisation imposées par le mécanisme européen de stabilité monétaire. Nous sommes pour la désobéissance par rapport à ces règles et, donc, nous voulons prendre le contrôle immédiat de ces banques : en principe, c’est simple, il suffit d’activer les parts du public qui sont déjà là. L’un des aspects les plus scandaleux du troisième memorandum, c’est que 25 milliards d’euros vont être consacrés à la recapitalisation des banques et que ces 25 milliards, ce sont les premiers fonds issus de la braderie des ressources publiques grecques ! C’est un crime que le gouvernement Syriza a accepté de cautionner. Ces 25 milliards seront exclusivement consacrés au remboursement des prêts pour la recapitalisation à venir des banques. Il faut mettre un terme à ce scandale et nationaliser les banques. Nous sommes également favorables au retour dans la sphère publique des infrastructures essentielles pour le pays, c’est le cas des réseaux d’électricité, les ports, les télécommunications. Pour nous, la relance passe par l’investissement public : tous les pays dans l’histoire du monde – et je ne parle pas des pays en transition vers le socialisme – n’ont pu redémarrer qu’avec un secteur public et des investissements publics qui ont servi de locomotives. Nous ne croyons pas aux fariboles des investissements privés dans un pays bradé, avec des salaires de misère... Ce n’est pas comme ça qu’on va faire redémarrer l’économie grecque ! Et ce n’est surtout pas avec ces financements européens, très étroitement conditionnés : pendant les cinq années de la crise, ils n’ont absolument pas permis un quelconque redémarrage de l’économie.
Tout le monde sait que les objectifs de privatisation, en l’occurrence les 50 milliards d’euros exigés par les créanciers, sont parfaitement inatteignables et que, du coup, le pays ne pourra pas respecter de tels engagements... A quoi servent ces exigences ?
Stathis Kouvelakis. Cela sert à mettre le pays en coupe réglée. C’est une véritable entreprise de néo-colonisation, de liquidation de l’Etat grec en tant qu’Etat démocratique et souverain. Le fonds de privatisation de 50 milliards est directement contrôlé par la troïka. Le conseil de politique budgétaire est composé de sept membres et quatre d’entre eux sont directement nommés par les quatre institutions : Fonds monétaire international (FMI), Commission européenne, BCE et Mécanisme européen de stabilité. Ils ont le pouvoir de décider de coupes horizontales et automatiques en cas de dépassements budgétaires. L’institut national de la statistique est également sous contrôle des institutions. Le secrétariat général aux recettes fiscales devient une autorité complètement indépendante, mais en réalité, elle est sous la coupe des institutions, évidemment, et elle est susceptible de prendre des décisions qui ont valeur de décrets ministériels. Le gouvernement, quel qu’il soit, n’a aujourd’hui plus aucun levier sous son contrôle. Ce qui signifie que l’on va beaucoup plus loin encore avec ce troisième memorandum que tout ce qui avait été fait jusque là.
Comment vous expliquez cet acharnement contre le premier gouvernement de gauche radicale en Europe ?
Stathis Kouvelakis. Il y a eu une dimension punitive très claire. En brisant Syriza, on veut tuer toute tentative de rupture avec l’austérité. En même temps, il faut bien voir que la crise capitaliste actuelle n’est pas du tout terminée et que les classes dirigeantes semblent tout à fait disposées à aller vers un approfondissement des politiques d’austérité. Là, une fois de plus, la Grèce sert de laboratoire : elle a été le cobaye pour la première étape austéritaire, mais maintenant, elle devrait servir de cobaye pour la deuxième étape d’agression encore plus violente des politiques austéritaires. Syriza a été la riposte à la phase un de l’expérimentation austéritaire, Unité populaire est la réponse politique à la phase deux.
Vous faites irruption dans le paysage politique grec. A quel niveau fixez-vous votre ambition pour les prochaines élections ?
Stathis Kouvelakis. Si il y a bien un aspect de Syriza que nous entendons garder, c’est de tenir un langage compréhensible par la population, avoir comme objectif d’être majoritaire sur un programme simple mais radical qui réponde vraiment aux urgences et aux besoins, et être en mesure d’offrir une alternative applicable. C’était un point fondamental de Syriza : faire de la politique de masse, pas faire de la politique de petits groupes, pas faire de la politique sectaire, pas faire de la politique cantonnée à la protestation.
Il est tout à fait possible qu’Alexis Tsipras et Syriza remportent les prochaines élections. Sans faire de politique-fiction, ils pourraient toutefois ne pas atteindre la majorité absolue. Est-ce qu’au cas où, de votre côté, vous réussiriez votre percée électorale, vous pourriez encore gouverner ensemble ?
Stathis Kouvelakis. Les memorandums sont comme le dieu Moloch, ils demandent des sacrifices de plus en plus importants. Avant Syriza, les memorandums avaient déjà détruits deux gouvernements. Ils ont anéanti le Pasok, un parti autrement plus solide et mieux implanté dans la société grecque que Syriza, qu’ils ont transformé en groupuscule. Ils ont détruit en bonne partie la Nouvelle démocratie. Le troisième memorandum va détruire Syriza, c’est d’ailleurs très largement en cours : la démission du secrétaire général, ces derniers jours, est un symptôme éclatant, tout de même. Donc, les gens qui pensent que l’instabilité politique est terminée en Grèce se trompent lourdement. Un nouveau cycle s’ouvre grâce à Unité populaire qui permet aux secteurs populaires et aux mouvements sociaux hostiles aux memorandums de trouver une traduction politique. De ce point de vue, notre stratégie n’est pas bien différente de celle de Podemos. Nous voulons faire irruption, bouleverser le paysage politique et faire au fond ce que Syriza a fait entre 2012 et 2015... Je ne vois pas pourquoi nous serions plus mal placés qu’eux pour le faire. Le « eux », c’est aussi en partie nous, évidemment !
KOUVELAKIS Stathis , LEMAHIEU Thomas