Tiré de A l’Encontre
24 janvier 2024
Par Kelly Rogers
Le mouvement de soutien des femmes du bassin minier s’est mis en branle quelques semaines seulement après le début de la grève, le 6 mars 1984. Des groupes d’appui ont été créés dans chaque bassin minier par des femmes de la région, principalement des épouses, des sœurs et des filles de mineurs. Elles soutiendront la grève pendant 12 longs mois.
La classe
Dans Never the Same Again, publié en 1987 (The Women’s Press Ltd), Jean Stead [journaliste ayant joué un rôle important dans la configuration de The Guardian depuis les années 1960, disparue en 2016] évoque les valeurs traditionnelles des communautés minières. Bien qu’il ne soit pas inhabituel que les femmes travaillent, le nombre de femmes ayant un emploi salarié est plus faible dans les régions minières qu’ailleurs. Il est généralement attendu des femmes qu’elles s’occupent des enfants et des tâches ménagères. Jean Stead écrit : « Au plus profond d’elles-mêmes, elles ont toujours su qu’elles étaient exploitées, mais elles savaient qu’au moins leur exploitation était parallèle à celle des hommes avec lesquels elles partageaient leur vie. C’est pourquoi les femmes de mineurs ne déversent pas, dans l’ensemble, leur amertume du passé sur les mineurs. Elles se plaignent des préjugés de leurs maris, mais elles s’efforcent de les changer, tout en s’occupant des enfants et en préparant les repas pour la fin du service. » Ce qu’elle veut dire, c’est que ce nouveau mouvement n’était pas « féministe » au sens habituel du terme. Certes, les hommes font partie du problème, mais leur situation est aussi le produit de l’exploitation de leur classe.
Il était important pour les femmes du bassin minier de prouver qu’elles étaient derrière leurs hommes. La plupart d’entre elles ne cherchaient pas à bouleverser l’ordre des sexes et étaient heureuses de coordonner le soutien dans les coulisses, en fournissant de la nourriture aux grévistes et à leurs familles. Au fil du temps, de nombreuses femmes se sont de plus en plus impliquées dans les dimensions plus politiques de la grève : organisation de rassemblements, entretiens avec la presse et piquets de grève. Mais là encore, une politique normative de genre se met en place : les femmes se présentent aux piquets de grève avec des banderoles et des pancartes pour soutenir les « vrais hommes » en grève et condamner les briseurs de grève (« scabs » – les « jaunes ») qui, selon elles, ont renoncé à leur masculinité en franchissant les piquets de grève. Quel triste état de fait, disaient-elles, que ces hommes aient besoin de femmes pour les remettre à leur place.
Le soutien à la grève n’était pas unanime. De nombreuses femmes s’inquiètent du prix à payer pour leur famille suite à la grève. La grève fait suite à plusieurs mois d’interdiction des heures supplémentaires décidée par le NUM (National Union of Mineworkers), et de nombreux ménages ont déjà du mal à joindre les deux bouts. L’antipathie à l’égard d’Arthur Scargill [dirigeant du NUM depuis 1982, jusqu’en 2002] était donc très répandue parmi les femmes de mineurs. Mais une forte culture solidaire prévalait dans les communautés minières et, quelle que soit l’opinion de chacun et chacune sur la grève, il était inconcevable pour la plupart des gens de rompre un piquet de grève. De nombreuses femmes du bassin minier étaient issues de familles de mineurs et leur loyauté envers le syndicat était profonde.
Les femmes politiques
Dans leur nouveau livre Women and the Miners’ Strike 1984-1985 (Oxford University Press, octobre 2023) Florence Sutcliffe-Braithwaite et Natalie Thomlinson notent que des femmes ayant une expérience politique ont dirigé les groupes de soutien des femmes dans de nombreux endroits. Dans certaines régions, comme à Chesterfield dans le Derbyshire, les regroupements de solidarité sont nés des réseaux politiques existants. Betty Heathfield, membre du Parti communiste de Grande-Bretagne (CPGB) et épouse de Peter Heathfield, secrétaire général du NUM, y a créé un groupe qui a soutenu Tony Benn [personnalité représentant la gauche du Labour et fortement anti-impélialiste] lors de l’élection partielle de Chesterfield en février 1984 [il sera réélu régulièrement dans cette circonscription jusqu’en 2001]. Quelques semaines plus tard, il était tout à fait naturel que le même collectif se réunisse pour soutenir la grève des mineurs. Les femmes actives dans la campagne pour le désarmement nucléaire ou les syndicalistes ont également pris l’initiative.
Les femmes de Barnsley, la ville natale d’Arthur Scargill, ont été parmi les premières à s’organiser. En mai, elles ont organisé une marche nationale des femmes à travers la ville, qui s’est terminée par un rassemblement au Barnsley Civic Hall. Contre toute attente, plus de 10 000 femmes s’y sont rendues. Jean Miller, militante politique au sein du groupe de soutien de Barnsley, a décrit cette journée : « Ce fut vraiment l’expérience la plus passionnante de ma vie. L’atmosphère était formidable. Il y avait tellement de femmes qu’on avait l’impression que le sol allait s’effondrer. » Maureen Douglas, du Doncaster Miners’ Support Committee, a pris la parole depuis la tribune : « Le rôle traditionnel des femmes a été sérieusement ébranlé au cours des huit dernières semaines… C’est une nouvelle expérience – nous avons dû repartir de zéro et créer nos propres organisations. C’est intimidant, mais cela a été fait. »
Cette journée a marqué un tournant dans le mouvement. A partir de ce jour, les groupes de femmes construisent un réseau national et s’organisent ensemble. C’est le rassemblement de Barnsley qui a inspiré la création de l’association National Women Against Pit Closures [contre la fermeture des puits], officiellement inaugurée trois mois plus tard, en août 1984.
Nourriture et fonds
Les femmes ont dû surmonter d’importants obstacles pour mettre sur pied leurs collectifs de soutien. A South Kirby, dans le Yorkshire, elles ont utilisé une tente sans eau courante pour préparer 570 repas par jour. Malgré ces difficultés, elles ont réussi à coordonner des cuisines et des colis alimentaires à une échelle colossale. Le groupe de soutien de Swansea, Neath et Dulais Valleys au Pays de Galles confectionnait environ 400 colis alimentaires par semaine en mai 1984, 900 par semaine en juillet et plus de 1000 à la fin du mois de décembre. A Hatfield, dans le Yorkshire, le groupe de soutien servait 300 dîners par jour au centre d’aide sociale des mineurs en juin ; en novembre, il préparait 500 repas par jour et envoyait 700 colis alimentaires chaque semaine.
Les groupes de soutien collectaient également des fonds, à la fois pour financer leurs activités et pour alimenter le fonds de lutte du syndicat. De nombreuses femmes ont dû quitter leur village pour voyager à travers le pays et à l’étranger afin de prendre la parole lors de réunions et de rassemblements.
Entre juillet 1984 et septembre 1985, le National Women Against Pit Closures a collecté plus de 710 000 livres sterling (près de 3 millions de livres sterling en monnaie actuelle – soit 3,5 millions d’euros). A Londres, environ 40 000 livres par mois ont été collectées par l’intermédiaire du comité de soutien officiel du NUM de Londres. Ce chiffre ne tient pas compte des innombrables efforts de collecte de fonds au niveau local. Des fonds ont également été collectés par le biais d’un programme de jumelage, dans le cadre duquel des groupes de soutien extérieurs aux communautés minières, des sections syndicales ou des groupes politiques « adoptaient une mine ». Women’s Fightback a lancé un appel aux groupes Fightback locaux et aux sections féminines du Parti travailliste pour qu’ils agissent de la sorte.
Les prises de parole
Lorsque les groupes de soutien de femmes ont commencé à attirer l’attention de la presse, ils ont souvent été décrits comme traditionnels et ordinaires. En fait, il s’agissait d’un récit convaincant : une femme au foyer opprimée devenue militante. Cela a pu agacer certaines des femmes du bassin minier, qui étaient, dans l’ensemble, éduquées, éloquentes et très capables.
Cela dit, un très grand nombre de témoignages montrent à quel point la grève a été un facteur de transformation au plan personnel, en particulier lorsqu’il s’agissait de prendre la parole en public. Les femmes se sont lancées dans des exercices collectifs, discutant de politique et débattant des questions syndicales. Elles y sont parvenues avec une telle efficacité que nombre de leurs maris ont été surpris lorsqu’elles sont montées à la tribune. Doreen Hamber, de Blidworth dans le Nottinghamshire, a parlé de son expérience : « Je me suis vraiment lancée et je me suis laissée emporter. Ils n’arrêtaient pas de pousser des notes devant moi qui disaient ‘tais-toi maintenant’, ‘tais-toi maintenant’, mais je n’ai même pas regardé les notes ; j’étais juste emportée. Lorsque j’ai terminé et que je suis descendue de scène, mon mari s’est approché de moi et m’a embrassée. Il m’a dit : “Ce discours était fantastique.” Il était stupéfait que je puisse me tenir debout et parler de politique. Toutes ces choses que j’ai apprises, il a fallu qu’il assiste à une réunion pour m’écouter parler et se rendre compte que j’avais progressé en huit mois. »
Les piquets de grève
Certains grévistes étaient réticents à l’idée d’un piquet de grève tenu par des femmes. Outre qu’ils craignaient pour leur sécurité, certains pensaient que les femmes aggraveraient les tensions entre les grévistes et la police. Mais de nombreuses femmes étaient déterminées à manifester leur soutien de la manière la plus directe possible, en se tenant aux côtés de leurs hommes sur le piquet de grève.
Dans certains cas, les femmes ont commencé à participer au piquet de grève presque par accident. Dans une interview réalisée pour Women’s Fightback, Sheila Jow, de Thurnscoe dans le Yorkshire, a décrit une de ces occasions en avril 1984. Un groupe de femmes s’était rendu à Ollerton, dans le Nottinghamshire, pour parler aux épouses des mineurs qui brisaient la grève. Elles voulaient convaincre les femmes, qui, pensaient-elles, pourraient ensuite persuader les hommes, que la grève n’était pas aussi difficile qu’il n’y paraissait à première vue. Sur place, elles rencontrent également les épouses des mineurs en grève, qui mettent en place une cuisine et demandent de l’aide. Ils retournent donc à Thurnscoe, rassemblent quelques bras supplémentaires et, quelques jours plus tard, reprennent le chemin d’Ollerton. Lorsqu’elles ont atteint la périphérie du Nottinghamshire, elles ont été arrêtées par la police, qui a bloqué leur bus et menacé de les arrêter. Sheila Jow raconte : « Nous avons décidé que si la police allait nous traiter comme des piquets de grève volants, nous pourrions tout aussi bien être des piquets de grève volants… Nous avons donc marché jusqu’à la mine de Harworth, à trois miles de là. » Le piquet de grève ne comptait que quelques grévistes, qui ont été ravis d’être rejoints par plus de 35 femmes de Thurnscoe, escortées par un cordon de plus d’une centaine de policiers.
Les groupes de soutien de femmes organisent également des piquets de grève réservés aux femmes. Dans la soirée du 11 octobre, 150 femmes ont dressé un piquet de grève devant la mine de Florence, dans les West Midlands. L’action a rassemblé des femmes de toute la région, qui avaient décidé de choisir cette mine en raison du nombre plus élevé que d’habitude de briseurs de grève. Jill Mountford, qui écrivait à l’époque pour Women’s Fightback, a déclaré : « Il a été décidé que toute la soirée serait placée sous le signe de la fête… La joie a commencé dès que les femmes sont arrivées aux portes. Leurs chants, leurs danses et leurs moqueries incessants ont généré de l’énergie, de la confiance et de la solidarité. » Ce soir-là, elles ont réussi à refouler trois briseurs de grève.
Les piquets de grève féminins ont été traités de manière extrêmement violente par la police. Elles ont été traînées, bousculées et frappées. Elles ont été arrêtées et harcelées pendant leur détention. Aggie Currie a été arrêtée après avoir tenu un piquet de grève dans le Nottinghamshire : « Ils vous frappent, ils s’en foutent que vous soyez un homme ou une femme. » La photo désormais célèbre de Lesley Boulton, membre de Women Against Pit Closures (WAPC) de Sheffield, attaquée par un policier à cheval armé d’une matraque lors de la bataille d’Orgreave en juin 1984, en est peut-être la meilleure illustration.
National Women Against Pit Closures
La conférence inaugurale de la NWAPC (National Women Against Pit Closures) s’est tenue en juillet 1984 à Barnsley. Une cinquantaine de femmes issues des différents collectifs de soutien y assistent. Un « cercle restreint » s’est réuni avec Arthur Scargill et Peter Heathfield avant la conférence pour discuter de l’orientation de l’organisation. Les dirigeants du NUM tenaient à s’assurer que les « anti-Scargill » de la faction eurocommuniste du CPGB (Scargill était proche de l’aile stalinienne du parti) ne seraient pas en mesure d’occuper des postes d’influence. Cette division durera toute la durée de la grève, Scargill tenant l’organisation en laisse.
Les « scargillistes » tenaient à limiter l’adhésion des femmes de mineurs afin de minimiser l’influence politique extérieure. D’autres souhaitent construire un mouvement qui s’appuie sur la force des syndicalistes, des socialistes et des féministes qui s’engagent à aider. Lors de la conférence de novembre à Chesterfield, seules trois déléguées n’étaient pas des femmes de mineurs. Deux d’entre elles, Ella Egan et Ida Hackett, toutes deux eurocommunistes, plaident en faveur de « liens avec le mouvement pacifiste et les organisations féminines progressistes ». Elles espéraient que la construction d’un « front populaire » suivant ces orientations soutiendrait la grève, tout en remodelant la politique de la classe ouvrière pour qu’elle soit plus inclusive des mouvements féministes et autres mouvements sociaux. Betty Heathfield s’y opposa, défendant la ligne de Scargill : la seule priorité du NWAPC était de soutenir les stratégies du NUM. Heathfield et les autres partisans de Scargill remportent le débat, mais les tensions se poursuivent dans de nombreux groupes locaux. Dans certains cas, comme à Barnsley, les collectifs de soutien se divisent sur des questions comme celles-ci.
Greenham Common
Le féminisme était parfois un sujet controversé dans les villages de mineurs. Une femme, interviewée juste après la grève par Betty Heathfield, associe le féminisme à l’anti-famille : « Nous avons rencontré beaucoup de féministes et nous avons été insultées par beaucoup de féministes. Non pas qu’ils aient voulu nous insulter, mais nous voulons toujours être des femmes mariées. Nous voulons toujours aimer nos maris. Aimer nos enfants. »
Néanmoins, des liens importants ont été établis avec le mouvement des femmes au sens large. Au cours de l’été 1984, des cars ont été loués pour emmener les femmes du camp de Greenham Common [1] aux piquets de grève du Pays de Galles et du Nottinghamshire. Jean Stead décrit ces visites : « Elles arrivaient aux centres de soutien de manière inattendue et impulsive, comme elles le faisaient pour la plupart des choses. Un groupe apparaissait soudainement dans un collectif d’entraide de mineurs… sentant la fumée de bois. Elles commençaient alors à parler. Soucieuses de ne pas s’immiscer dans le monde extrêmement privé des communautés minières, elles étaient néanmoins déterminées à apporter leur aide si elles le pouvaient. » Les femmes de Greenham ont créé leur propre badge – « A Greenham ou sur le piquet de grève » – et ont passé le reste de l’été à tenir des piquets de grève aux côtés des mineurs et de leurs familles. Les femmes des communautés minières visitent Greenham Common en retour, et des liens de solidarité et d’amitié se tissent entre les deux « camps ».
Mais il existe de profonds désaccords politiques. Greenham était un camp pacifiste et les femmes ont discuté avec les mineurs, appelant à la non-violence sur les piquets de grève – une position qui a été accueillie avec incompréhension. Les mineurs étaient confrontés à des batailles quotidiennes avec la police. La non-violence n’était pas une option. Dans quelques cas, les femmes de Greenham ont convaincu les mineurs d’organiser des sit-in de protestation, mais ces expériences se sont révélées désastreuses. Lynn Clegg décrit une tentative de sit-in à Hatfield, dans le Yorkshire, en août 1984 : « Les gars ont été battus à mort… [Ils] n’ont même pas eu l’occasion de comprendre ou de se lever. Les policiers sont intervenus avec des matraques, frappant tout le monde et un garçon a été placé en soins intensifs. C’est le pire jour que nous ayons connu à Hatfield. »
Briseurs de grève
Dans le Nottinghamshire, plus de 27 000 mineurs brisent la grève. Ce fut la bataille décisive du conflit : mineurs contre mineurs. Pendant toute la durée de la grève, des mineurs venus d’ailleurs se déplaçaient pour tenir le piquet de grève dans les mines du Nottinghamshire. Des milliers de policiers hautement entraînés et semi-militarisés ont été envoyés pour terroriser ces « piquets volants » et les grévistes locaux.
Ceux qui ont fait grève, et les femmes qui les ont soutenus, ont eu du mal à s’en sortir. Les femmes du Nottinghamshire sont obligées d’occuper des centres d’aide sociale afin de remettre leurs cuisines en état de marche. A la mine de charbon de Clipstone, un groupe de femmes a pris possession d’un centre de jeunesse appartenant au National Coal Board [société gérant l’industrie charbonnière, créée en 1946]. Elsie Lowe, l’une des responsables de l’occupation, décrit la situation de l’époque : « Les gens commençaient à avoir faim. Nous savions qu’un millier de personnes n’avaient littéralement rien à manger… Nous savions que nous devions faire quelque chose. » Après six nuits d’occupation, les administrateurs ont accepté de leur donner un peu d’espace et ils se sont installés dans le St John’s Ambulance centre, où il n’y avait qu’un vieux four sale. « La première chose que nous avons faite a été de nettoyer cette cuisine ! »
Dans certains anciens villages miniers, les divisions se font encore cruellement sentir. Dans le Nottinghamshire, les grévistes ont dû faire face à une violence extraordinaire de la part de la police, qui avait placé les villages en état de siège. Les voitures de police sillonnent les rues jour et nuit, les agents frappent les piquets de grève au hasard et pénètrent de force dans les maisons des mineurs grévistes pour les arrêter. John Lowe, le mari d’Elsie Lowe, a été arrêté alors qu’il était assis sur l’herbe devant sa mine : « Six policiers se sont jetés sur moi en même temps, mais j’ai été accusé d’avoir frappé deux policiers et d’avoir causé des lésions corporelles. »
Un groupe de femmes du Nottinghamshire s’est rendu à la marche des femmes à Barnsley en mai 1984. Elles racontent s’être senties coupables au début : « Les gens semblaient penser que nous étions toutes des briseurs de grève, ils ne se rendaient pas compte du nombre de grévistes dans le comté. » Mais très vite, elles ont été acclamées comme des héros et placées en bonne place au milieu du cortège. Elles ont fièrement traversé Barnsley en chantant “Notts are here ! Les Notts sont là !” » C’était une récompense bienvenue pour les sacrifices et les épreuves qu’elles avaient endurés.
Le NUM
En juin 1984, Jean McCrindle, du WAPC de Sheffield, écrivit au Sunday Times pour demander que les femmes des groupes de soutien puissent adhérer au NUM en tant que membres associés. Le NUM du Yorkshire et le syndicat dans son ensemble étaient majoritairement opposés à cette idée, mais le débat s’avéra important. Même lorsqu’il s’agit de gérer les cuisines, les femmes sont souvent empêchées par le syndicat. A Hetton, dans le comté de Durham, les femmes ont insisté pour qu’une réunion soit organisée afin de convenir des activités du collectif. C’était une expérience humiliante : « Les femmes devaient s’asseoir dans les escaliers, attendant que les hommes décident de leur donner la permission de les servir dans les soupes populaires. » A Woolley Edge, près de Barnsley, Betty Crook a vécu une expérience similaire. Dans l’interview qu’elle a accordée pour Women and the Miners’ Strike (Les femmes et la grève des mineurs), elle se souvient qu’elle a dû recourir à la force pour obtenir ce qu’elle voulait : « J’ai été convoquée à une réunion pour l’aide sociale aux mineurs avec des syndicalistes, et il a tout d’abord été dit que nous n’étions pas capables d’assurer la soupe populaire. J’ai répondu : “Bien sûr que si”. On nous a répondu : “Vous ne savez pas comment la faire”. J’ai répondu : “Nous le pouvons”. On m’a dit : “Vous n’avez pas de couverts ni de vaisselle”. J’ai répondu : “Nous avons tout ce qu’il faut”. On me répond : “Vous ne pouvez pas assurer une soupe populaire”. J’ai répondu : “ça va se faire“. »
On peut se demander pourquoi les sections locales du NUM agissent de la sorte. Dans certains cas, il s’agissait de sexisme pur et simple : les membres de ces sections estimaient que les femmes devaient rester à la maison et ne pas se mêler des affaires syndicales. Mais les femmes ont également ébranlé le syndicat. Jean Stead écrit : « Les femmes ont remarqué qu’elles étaient elles-mêmes plus rapides à démarrer des projets, à les mener à bien, à avoir des idées et à les mettre en pratique… Les hommes étaient plus lents et plus conservateurs, moins inspirés. C’est pourquoi ils ont eu peur de laisser les femmes s’approcher du syndicat. »
Certaines femmes membres du NUM travaillaient dans des cantines de puits de mine, comme femmes de ménage ou comme employées de bureau. Pour ces femmes, s’impliquer dans le syndicat était souvent difficile. Jean Stead raconte l’histoire d’Alfreda Williamson, une employée de cantine, âgée de 18 ans, en grève. Chaque matin, à 4 heures, elle préparait le thé dans la salle de repos avant de rejoindre le piquet de grève aux portes de la mine de Murton, à Durham. Plus tard, elle retournait à la cantine pour préparer le thé, avant de faire la vaisselle. « Nous travaillions beaucoup plus dur que les hommes, et je l’ai dit à certains d’entre eux lorsqu’ils venaient se plaindre », raconte-t-elle. Elle a demandé à rejoindre les autres grévistes dans le bus NUM pour se rendre au piquet de grève et à être autorisée à faire le thé, mais le syndicat n’a pas accepté. Malgré cela, elle s’est battue pour convaincre les autres employées des cantines du NUM de soutenir la grève, une bataille qu’elle a souvent perdue : « Dans leur propre esprit, celles qui ont repris le travail l’ont fait parce que le syndicat ne s’est jamais soucié d’elles. »
Fin de la grève
La conférence qui décide de mettre fin à la grève a lieu le 3 mars 1985. Un vote serré – 98 délégués contre 91 – renvoie les mineurs au travail après des heures de débats tendus. Les retombées sont amères. 10 000 mineurs ont été arrêtés pendant la grève et des centaines ont été emprisonnés. Plus d’un millier d’entre eux ont été licenciés. Plusieurs cars de mineurs écossais licenciés rencontrent les délégués lorsqu’ils quittent le Congress House. L’un d’eux s’est écrié, alors que Scargill confirmait les résultats : « Nous vous avons donné nos cœurs, nous vous avons donné notre sang, nous vous avons tout donné et vous nous vendez… Vous êtes goudronnés et plumés avec le reste des bâtards galeux. » Il se met alors à pleurer.
Les femmes étaient tout aussi dévastées. Au début de la grève, Sheila Jow s’était adressée à Women’s Fightback et avait déclaré : « Nous mangerons de l’herbe avant de repartir. Il faut se battre jusqu’au bout. » Ce propos a été répété des milliers de fois lors de réunions et de rassemblements dans tout le pays. Dans sa rétrospective de 1987, Jean Stead écrit : « Presque toutes les femmes étaient opposées à ce que les mineurs reprennent le travail. Elles n’avaient pas subi toute une année de privations et de difficultés pour céder à ce moment-là… Mais, en fin de compte, elles n’avaient pas le droit de vote et n’avaient pas vraiment voix au chapitre. »
Les mineurs reprennent le travail sous les bannières des syndicats. Dans de nombreux endroits, les groupes de soutien de femmes ont pris leur place au front.
Une semaine après le vote fatal, Ian McGregor, président du National Coal Board, déclare : « Les gens découvrent maintenant le prix de l’insubordination et de l’insurrection. Et nous allons faire en sorte qu’ils s’en souviennent ! » Des milliers d’emplois ont été perdus au cours des premiers mois qui ont suivi la fin de la grève. En 1991, il ne restait plus que 15 mines sur 174 000 et 160 000 emplois avaient été perdus.
La situation des familles de mineurs est désastreuse : les dettes se sont accumulées pendant la durée de la grève et il faut maintenant payer les factures, les loyers et les hypothèques qui avaient été gelés. Les collectifs de femmes ont continué à fonctionner dans certains endroits pendant encore deux ans pour les aider.
Se souvenir de la grève
En 1985, l’association North Yorkshire WAPC a publié une brochure intitulée Strike 84-5. Dans l’avant-propos, on peut lire : « Dans les bassins miniers, il y a une nouvelle génération de femmes qui n’ont que l’âge de la grève et qui ont gagné l’admiration des gens dans le monde entier. Elles se sont battues non pas derrière leurs hommes, mais côte à côte avec eux. Lorsque l’on écrira l’histoire de la grève, tout le monde sera d’accord pour dire que les femmes sont magnifiques. »
Cela reproduit un récit habituel et assez condescendant : avant la grève, les femmes de mineurs étaient arriérées et simples, mais elles ont été transformées par la grève. Ce récit passe sous silence les innombrables activistes des communautés minières qui ont construit le mouvement de soutien à partir de la base, ainsi que les syndicalistes, les socialistes et les féministes qui ont partagé leurs connaissances et ont passé un an à construire l’effort de solidarité peut-être le plus impressionnant que le pays ait jamais connu.
Mais il est vrai que les femmes ne se sont pas contentées de « soutenir leurs hommes ». Elles sont devenues les leaders de la grève. De nombreux membres du NUM voulaient s’assurer que les femmes restent des auxiliaires du syndicat, fournissant de la nourriture et des fonds mais restant à l’écart de la politique. En fin de compte, nombre d’entre elles sont devenues les décideurs dans leur foyer, veillant à ce que leurs hommes respectent la ligne de conduite. Elles ont parcouru le pays et voyagé à l’étranger pour prendre la parole lors de réunions et de rassemblements. Elles ont mené leurs propres batailles politiques pour décider des stratégies de leur mouvement. Sans leurs efforts, les mineurs n’auraient jamais pu faire grève aussi longtemps.
Les lignes de la guerre des classes ont été mises à nu par la grève des mineurs. Le gouvernement de Thatcher a entrepris de détruire l’une des industries les mieux organisées du pays et, en réussissant, a ouvert la voie à la société déréglementée, caractérisée par une inégalité galopante, dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Quarante ans plus tard, il est plus important que jamais de regarder en arrière et de tirer les leçons de cette année décisive. Mais nous pouvons aussi nous inspirer des histoires de courage, de solidarité et de fierté qui jalonnent la grève.
Lorsque la grève a été annulée, Marlene Thompson, femme de mineur et militante, a écrit un poème pour marquer ce jour : « La tête haute, nous continuerons à lutter – Mais un briseur de grève reste un briseur de grève jusqu’à ce qu’il meure. » (Article publié sur le site Worker’s Liberty, le 17 janvier 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre)
[1] Le Camp de femmes pour la paix à Greenham Common était un campement de protestation pacifiste contre l’installation de missiles nucléaires sur la base Royal Air Force de Greenham Common, dans le Berkshire, l’un des plus anciens comtés d’Angleterre où se trouve le château de Windsor. (Réd.)
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Un message, un commentaire ?