Tiré de Inprecor 724 septembre 2024
22 septembre 2024
Par Dave Kellaway
À Walthamstow, en sortant du train aérien de Hackney à Hoe Street, il était évident que la manifestation contre l’extrême droite allait connaître une énorme participation. Les wagons étaient déjà remplis d’une foule de la même ampleur que celles que l’on avait vues lors de nombreuses marches de solidarité avec la Palestine.
Des jeunes, d’origines ethniques variées, mêlé·es à des vieux et vieilles militant·es de gauche aisément reconnaissables, méprisaient les conseils « officiels » dispensés par la police, les responsables locaux des mosquées, les députés locaux et, plus généralement, le Parti travailliste, qui leur conseillaient de rester à l’écart. Laissons cela à Sir Keir et à son fantastique gouvernement reconnu d’utilité publique. Des peines sévères, de nouvelles escouades de police anti-émeutes et des dénonciations des violences aveugles suffisaient à régler la situation – circulez, il n’y a rien à voir.
Une mobilisation antiraciste de masse
Dès que l’on sortait du train et que l’on voyait le bout de la rue principale, les gens marchaient de front à trois ou quatre sur les trottoirs. À sept heures et quart, il y avait déjà plusieurs milliers de personnes dehors pour défendre les immigrés que les fascistes avaient promis d’attaquer. À sept heures trente, on ne pouvait plus voir la fin de la manifestation qui occupait toute la rue. Quelqu’un a repéré l’agitateur d’extrême droite Calvin Robinson accompagné de quelques sympathisants, mais il est devenu rapidement évident que la droite ne pouvait pas assurer une présence réelle.
Des groupes de gauche comme le Parti socialiste (SP), le Parti socialiste des travailleurs (SWP), le Parti communiste révolutionnaire et AntiCapitalist Resistance y ont participé avec leurs banderoles. Certain·es manifestant·es portaient des pancartes, mais la grande majorité n’étaient pas membres ni même sympathisants des organisations, mais des Londonien·es consterné·es par ce que les fascistes avaient fait la semaine précédente. Des groupes sont venus depuis le sud de Londres ou des quartiers voisins. Il y avait aussi beaucoup de gens issus des communautés ethniques locales.
Des pancartes en carton faites maison avec des slogans originaux étaient brandies, un signe qu’il s’agit d’une véritable mobilisation de masse et pas simplement d’une manifestation de la gauche radicale. Stand Up to Racism (Dresse-toi contre le racisme) avait travaillé dur pour aider à coordonner les protestations. Il y avait quelques banderoles de sections syndicales locales. Au niveau national, en contraste complet avec le Parti travailliste, quelques dirigeants syndicaux avaient lancé des appels à venir et à soutenir les manifestations antifascistes.
La passivité des partis institutionnels
Les gens chantaient « Bienvenue aux réfugiés », « Quelles rues ? Nos rues ! », « Nous sommes le peuple », « Le peuple uni ne sera jamais vaincu ». Personne ne scandait « Non aux violences aveugles », « des peines plus fortes maintenant » ou « plus d’escadrons de police anti-émeute ».
Starmer, avec du retard, a finalement ajouté « d’extrême droite » à l’expression « violences », au moment des manifestations. Mais à aucun moment le Parti travailliste n’a lancé d’appels pour que les gens manifestent contre les fascistes. Il n’a pas non plus prononcé le moindre mot en défense des réfugié·es ou des migrant·es, dont tout le monde peut pourtant voir qu’ils sont la cible principale des fascistes.
Aucun porte-parole du Parti travailliste n’a dit la vérité sur ce que faisaient les fascistes à Rotherham, Tamworth et ailleurs. C’étaient des pogromes fascistes contre les migrant·es, les demandeurs et demandeuses d’asile, les musulman·es et les Noir·es. Ce n’étaient pas, comme l’ont présenté de nombreux médias, des « protestations contre les immigrés », comme s’ils brandissaient des pancartes ou distribuaient des tracts. Non, ils étaient sortis pour mettre le feu à des hôtels pour réfugié·es, pour blesser et tuer des gens. Des blocages routiers improvisés vérifiaient les voitures pour voir s’il y avait des Blancs ou des Noirs à l’intérieur. Sur les réseaux sociaux, des publications appelaient ouvertement à cette violence.
La complicité de nos dirigeants
Aussi bien les Conservateurs que les Travaillistes ont échoué à contester le récit des fascistes sur les immigré·es et les demandeurs et demandeuses d’asile. Ils disent qu’il faut arrêter les bateaux, ils disent qu’il y a trop d’immigré·es et soutiennent les racistes locaux qui veulent fermer les hôtels qui sont « financés par le contribuable ». Le Parti travailliste est terrifié par le fait que l’on puisse le considérer comme trop conciliant avec les immigré·es. Au lieu d’assurer des voies d’accès sûres et légales aux demandeurs d’asile ou de reconnaître que les travailleurs/ses immigré·es sont essentiel·es aux services publics et à l’économie, le Parti travailliste parle de nouveaux escadrons anti-terroristes pour arrêter les bateaux et il s’engage à réduire le nombre d’immigré·es.
Lors des récentes élections, toute la stratégie du Parti travailliste a consisté à essayer de gagner des électeurs conservateurs, notamment dans les circonscriptions du Mur rouge où se sont produites certaines des pires violences fascistes. Plutôt que de contester les préjugés et de déployer une grande campagne basée sur la réalité des faits concernant les migrant·es, ils se sont adaptés aux opinions réactionnaires. Oui, ils ont largement remporté les élections, mais Reform UK, le mouvement d’extrême droite de Nigel Farage, a gagné 4 millions de suffrages et nous faisons maintenant face à une nouvelle dynamique des bandes fascistes dans les rues.
La nuit du 7 août donne quelques espoirs. On pouvait ressentir l’euphorie et la confiance de la foule qui percevait vraiment la possibilité de reprendre la rue. Sur le plan national, les fascistes ont échoué à poursuivre les violences de la semaine précédente, ce qui souligne leurs limites organisationnelles. Bien qu’ils soient capables de rassembler 15 000 personnes à Trafalgar Square pour une manifestation ponctuelle, ils sont incapables d’organiser et de coordonner des actions dans 40 villes différentes.
L’extrême droite est massivement issue de couches atomisées de la société, parfois radicalisées par le complotisme de type « alt-right » ou QAnon, qui inculque le racisme et une bataille idéologique sur les supposés dangers des vaccins, de l’immigration et des transgenres. Elles mènent une campagne sur les réseaux sociaux, mais aussi par le biais des médias classiques, par des politiciens opportunistes et des journalistes qui accordent du crédit à ces préjugés pour construire leurs carrières.
Les enquêtes judiciaires ont démontré que beaucoup d’entre eux sont des petits entrepreneurs, bien plus que des représentant·es d’une anxiété imaginaire de la classe ouvrière face à l’érosion de vagues abstractions nationalistes. Comme c’était le cas le 6 janvier lors de l’attaque du Capitole aux États-Unis, ceux qui ont participé étaient des gens privilégiés mais précaires, perméables aux discours de division des puissants, parce qu’ils entrent en écho avec leurs existences aliénées. Mais, presque aussi inquiétants que ceux qui sont venus pour terroriser des personnes vulnérables, bien d’autres se contentent de répéter sans esprit critique des idées racistes et fanatiques.
La peur change de camp
Face à un mouvement de masse antifasciste bien organisé, les faiblesses de ces formations ont été heureusement mises en lumière. Des milliers de personnes se sont également rassemblées un jour de semaine, le soir, dans un délai relativement court, dans les villes de Newcastle, Birmingham, Bristol, Liverpool, Finchley, Oxford, Sheffield et Brighton. Les médias et les politiciens ont exagéré le rôle des réseaux sociaux afin de minimiser la manière dont le discours anti-immigré·es et l’austérité avaient aidé les fascistes. Les réseaux sociaux se placent dans un contexte social beaucoup plus large, et jouent un rôle contradictoire : beaucoup de gens ont été informés des manifestations progressistes à travers les réseaux sociaux aussi bien que grâce aux efforts des organisations antiracistes traditionnelles.
Ce matin du 8 août, en regardant les matinales des différentes chaînes de télévision, on pouvait constater que la mobilisation victorieuse avait de nouveaux partisans… Les médias et la caste politique avaient dit aux gens de ne pas participer aux manifestations, mais toutes les Unes de la presse, y compris les très réactionnaires Daily Mail et Daily Express, qui publient souvent des histoires anti-immigré·es, exultaient sur la manière dont la population s’était débrouillées pour faire reculer la violence fasciste.
Durant la matinale de la BBC, au moins un ancien chef de la police a eu la bonne grâce et l’honnêteté de reconnaître que la mobilisation de masse avait été le facteur décisif, et pas les capacités de la police ou la dissuasion par le biais des peines sévères. La députée locale de Walthamstow, Stella Creasy, qui jusque-là avait demandé aux gens de ne pas participer aux manifestations a, par la suite, hypocritement, félicité la mobilisation.
Nos ressources pour construire un mouvement antifasciste
Ce qui n’est pas dit publiquement est une réalité importante. Des courants qui sont à l’extérieur du Parti travailliste ont une certaine capacité à mobiliser des milliers de personnes de manière indépendante. On l’a vu avec le mouvement de solidarité avec la Palestine ; on le voit aujourd’hui avec le mouvement antifasciste. Il y a maintenant un certain nombre de député·es indépendant·es qui peuvent soutenir de tels mouvements ; Jeremy Corbyn et les quatre député·es « Gaza » ont publié une déclaration soutenant les contre-mobilisations. Si la gauche radicale peut travailler d’une manière non sectaire, unitaire, alors nous pourrons réaliser des progrès significatifs.
Nous avons besoin de travailler au sein des mouvements sociaux qui ont émergé contre le racisme, en solidarité avec la Palestine, pour s’opposer au réchauffement climatique incontrôlable, ainsi qu’avec les député·es indépendant·es et le petit nombre de député·es travaillistes qui contestent Starmer et, par-dessus tout, au sein des syndicats pour continuer à construire une alternative de combat à un gouvernement qui mise tout sur un partenariat avec le capital. Ses politiques ne généreront pas le changement radical qui pourrait réduire les inégalités et couper l’herbe sous le pied des fascistes qui exploitent la colère du peuple provoquée par l’austérité et la désillusion vis-à-vis des politiciens.
Hier, nous avons remporté une bataille et, comme Socialist Worker l’a judicieusement écrit, la peur a changé de camp. Néanmoins, la menace fasciste demeure, de même que l’écosystème qui la nourrit – Reform UK et le consensus politique dominant qui définit les immigré·es comme étant « le problème ». Ce qui signifie qu’ils ne vont pas disparaître de sitôt. Notre site et des groupes comme Stand up to Racism vous tiendront informés des protestations à venir.
8 août 2024. Traduit par François Coustal.
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