« Je me méfie des Grecs même quand ils font des cadeaux » aurait dit Laocoon en voyant le cheval de Troie. Il reste que les Hellènes nous ont fait présent de morceaux de leur langue pour créer nos mots savants. Ainsi, le mot aristéraphobie, que je me fais fort de diffuser pour désigner la crainte, la haine ou le mépris des gauchers.
C’était hier, le 13 août, la journée internationale des gauchers et le Figaro se fendait d’un article sur la question en voulant corriger des impressions fausses. L’article dont le titre commence par « Forts en maths et au tennis » affirme en son milieu que les « gauchers développent plus de troubles mentaux » en se référant à une étude réalisée sur 107 patients d’une clinique psychiatrique.
Lancer ainsi des données dites scientifiques sans éclairer davantage le contexte est un beau cadeau de Grec. On sait la propension que nous avons, pauvres homo sapiens, à transformer les corrélations en relations causales. Or, on doit toujours se demander ce qui se cache sous ce genre de données.
Au XIXe siècle, les études ne manquaient pas pour dire que les femmes étaient plus neurasthéniques que les hommes. Mais, dites-moi, si vous perdiez votre nom, vos biens, votre liberté au profit de quelqu’un qui vous asservit et vous considère comme sa propriété, ce qui était le cas de la plupart des femmes dans le régime matrimonial, ne seriez-vous pas enclin à la neurasthénie ?
Au XIXe siècle, les études ne manquaient pas pour dire que les homosexuels étaient plus nombreux à faire de la prison que les autres. Dites-moi donc, si vos relations sexuelles étaient interdites par la loi, ne seriez-vous pas susceptible d’être incarcéré ?
Au XIXe siècle, les études ne manquaient pas pour dire que les Noirs avaient des capacités intellectuelles moindres. Dites-moi donc, si vous n’aviez pas le droit d’aller à l’école et si on vous maintenait dans la sujétion et la pauvreté, auriez-vous d’aussi bons résultats que les fils de bourgeois ? À noter, en passant, qu’on disait la même chose des enfants d’Hochelaga-Maisonneuve dans les années 60.
S’est-on demandé si les gauchers qui se retrouvent en institution psychiatrique n’ont pas été contrariés à mort par des parents certainement ignorants, parfois stupides, et par une société brutalement fermée à toute adaptation. Si on vous avait battu pendant votre enfance juste parce que vous utilisiez votre meilleure main pour accomplir les gestes les plus simples, n’auriez-vous pas quelques séquelles psychologiques ?
Sauter aux conclusions est si facile, même pour des gens très instruits. Voilà qui m’amène en clôture à une autre erreur de jugement fréquente qui consiste à croire que nous sommes intellectuellement plus évolués en 2017 que nous ne l’étions au Moyen-Âge ou dans l’Antiquité.
Je regardais le premier épisode de la magnifique série de fan-fiction Star Trek Continues, où le personnage d’Apollon, déjà vu dans l’épisode Who mourns for Adonaïs ? de la série originale, revient affronter l’équipage de l’Entreprise. La conclusion mène à un arrangement où Apollon accepte de se fondre dans la population d’une planète dont le niveau de développement technique est celui du XVIe siècle occidental. Or, soit les auteurs perpétuent inconsciemment les raccourcis cognitifs des originaux, soit ils ont décidé d’y être fidèles, restent que messieurs Spock et Kirk préviennent le bon Apollon que les habitants du monde où il va atterrir sont des « gens simples ».
Absolument rien ne nous autorise à dire que les humains du XVIe siècle étaient plus simples que nous. Au point de vue de l’évolution, le cerveau d’une personne moyenne d’aujourd’hui n’est pas plus sophistiqué que celui d’une personne moyenne de la Renaissance, du Moyen-Âge ni de l’Antiquité. Les grands esprits de la Grèce antique ont fait des découvertes remarquables inaccessibles à un grand nombre de nos contemporains. Seuls leurs moyens étaient limités, pas leur cerveau.
Ainsi, notre propension à aller trop vite en besogne est-elle un cadeau de Grec de la nature ? En fait, du point de vue de la protection et de l’évolution de l’espèce, il y avait sûrement un avantage à ces conclusions hâtives, mais maintenant que nous sommes « si évolués » ne pourrions-nous pas prendre un peu de recul ?
LAGACÉ, Francis
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