Tiré de A l’Encontre
22 avril 2023
Par Léon Crémieux
Photo : Manifestation contre la venue de Macron dans un collège de Ganges, dans l’Hérault, le 20 avril
L’expression du rejet de la réforme continue de se traduire par de très nombreuses manifestations, blocages, débrayages. Ni Macron, ni ses ministres ne peuvent effectuer de déplacement sans être confrontés à des manifestations populaires d’hostilité. De même, toutes les enquêtes d’opinion, indiquent qu’au taux de 75% d’impopularité de Macron se joint un isolement croissant depuis les derniers jours.
Le 13 avril, 1,5 million de personnes se sont rassemblées dans les manifestations (380’000 selon la police), en gros un tiers de moins que le 6 avril, poursuivant la pente descendante de la mobilisation, mais un chiffre encore très élevé, équivalent à beaucoup des plus grandes journées de grèves des dernières années. Le fléchissement est essentiellement dû : à la fin des grèves reconductibles qui étaient de puissants moteurs de mobilisation – même si le 13 avril, à l’appel de la CGT, le secteur du ramassage des ordures repartait en grève reconductible –, aux vacances de Pâques dans un tiers des départements, et évidemment surtout à une situation d’attentisme. Le rapport de force n’ayant pas contraint Macron à reculer, les regards, même ceux de l’Intersyndicale, se fixaient sur l’échéance du 14 avril avec les décisions du Conseil constitutionnel.
Durant les centaines d’initiatives locales du 13 avril, blocages, barrages filtrants, occupations de ronds-points, la répression policière a été la règle, avec garde à vue à la clef. L’isolement politique de Macron s’accompagne de l’accroissement des interventions policières, des violences. La défenseure des Droits (autorité administrative indépendante pouvant être saisie directement en défense des droits et libertés, notamment face aux administrations de l’Etat), Claire Hédon, a répertorié plus de 120 saisines de ses services pour violences policières depuis janvier 2023, dont l’immense majorité depuis la mi-mars, date du 49.3. Les exactions se multiplient, interventions policières, nasses dans les manifestations, matraquages au sol, gardes à vue arbitraires.
Le lendemain du 13 avril, le Conseil constitutionnel rendait deux avis : un concernant la constitutionnalité de la loi sur les retraites et de la procédure suivie, un autre sur la demande par la NUPES de l’organisation d’un « référendum d’initiative partagé » (RIP) sur une loi disant que « l’âge légal de départ en retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Beaucoup espéraient que ce qui n’avait pas pu être obtenu par la motion de censure, par les grèves et les manifestations puisse l’être par la décision du Conseil constitutionnel, jugeant non conforme la loi et obligeant le gouvernement à retourner devant le parlement. Beaucoup espéraient aussi, au minimum, que puisse être organisée une campagne de recueil de signatures pour le RIP : environ 4,8 millions en 9 mois, 10% des électeurs et électrices inscrit·e·s. Scène digne des dictatures, le bâtiment du Conseil, au cœur de Paris, fut entouré, dès le 13 avril, de plus d’une centaine de CRS et gendarmes mobiles pour y interdire toute manifestation.
Même s’il y avait de très solides bases juridiques pour ne pas avaliser la loi, le faire aurait évidemment été un choix politique paradoxal venant d’une instance composée de neuf notables lié·e·s à Macron et à sa politique, de près ou de loin. Hors de question pour ce Conseil d’ouvrir plus largement la crise politique. De même, le choix fut très politique de refuser le RIP qui aurait pu devenir une épine dans le pied de Macron, l’infectant avec son gouvernement pendant au moins neuf mois.
Le soir du 14 avril, les rues de Paris et de dizaines de villes résonnaient de la colère des milliers de personnes, manifestant une nouvelle fois leur rejet de la réforme. L’Intersyndicale, dès l’annonce de la validation de la loi, demanda à Macron de surseoir à la promulgation de la loi et de les recevoir. Celui-ci, bien au contraire, alors qu’il disposait de quinze jours pour le faire, s’empressait de promulguer la loi, quelques heures après l’annonce de la validation. Ces avis du Conseil, derniers espoirs de bloquer légalement la loi, cette promulgation express, ont été vécus comme un nouveau diktat visant à faire taire la colère populaire.
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Le lundi suivant (17 avril), Macron a essayé une première « sortie de crise » télévisée par une allocution à 20h. Concédant l’évidence « Cette réforme est-elle acceptée ? A l’évidence, non », cela ne l’empêcha pas de rabâcher à nouveau ses arguments pour justifier sa réforme. Macron faisait furieusement penser à un PDG d’une grande entreprise, justifiant à nouveau ses décisions durant un CSE (Comité social et économique), cela face à des syndicats en grève contre un plan social. Comme le PDG n’a aucune obligation d’écouter les syndicats et les salarié·e·s, l’ancien banquier d’affaires considère évidemment qu’il n’a comme obligation que de remplir les objectifs financiers du capitalisme libéral et des impératifs communautaires (UE). Les institutions politiques ne sont pour lui qu’un accessoire, encombrant ; la voix populaire et majoritaire des grèves et de la rue, un contretemps gênant, mais sans conséquences, tant que ses donneurs d’ordre, ses commanditaires continuent à lui faire confiance. Dès lors, la seule preuve qu’il voulait apporter dans cette allocution était qu’il tenait toujours la barre. Il sait que son pouvoir réel, quotidien, il le tient des grands investisseurs, entreprises et institutionnels.
Son discours servait ainsi à se donner 100 jours en vue d’obtenir « un apaisement », en fermant « l’épisode des retraites » à parler de santé, de chômage, d’immigration, de sécurité, comme si toutes ces questions pouvaient lui permettre de tourner la page et n’étaient pas des domaines dans lesquels s’exercent la même politique de classe, d’inégalités et de discriminations. L’association ATTAC avait lancé l’idée de grands rassemblements de « casserolades », à l’heure de son allocution. Largement relayé, avec des milliers de personnes dans plus de 300 rassemblements.
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Ces rassemblements de casseroles se renouvellent depuis, à chaque tentative de Macron, d’Elisabeth Borne ou de ses ministres de se déplacer. A tel point que mercredi 19 avril, alors que Macron se rendait dans une petite ville du Sud-Ouest, Ganges, le préfet du département a pris un arrêté pour « instaurer un périmètre de protection » en invoquant les menaces d’attentats, les lois antiterroristes qui, une nouvelle fois, sont utilisées de fait pour interdire la liberté de manifester. Pire, les forces de police, s’appuyant sur l’arrêté, ont systématiquement confisqué les casseroles et boîtes de conserve dont s’étaient dotés les manifestant·e·s bien décidés à se faire entendre de Macron. Une nouvelle fois la contestation sociale est assimilée à une « entreprise terroriste ».
Les signes de dérives du pouvoir se multiplient, au-delà de l’épisode de Ganges. Les menaces contre la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) proférées par Gérald Darmanin, ont été suivies de celles d’ Elisabeth Borne. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), dont le rapport 2023 ne confirmait pas le roman de Macron sur la catastrophe annoncée, a subi depuis des pressions pour que son rapport 2024 soit conforme à la version officielle du pouvoir.
A la demande de Macron, et pour rassurer les agences de notation sur la « qualité de gestion » du pouvoir, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, vient de sortir sa nouvelle « feuille de route des finances publiques ». Alors que la hausse des taux d’intérêt est maintenue par la BCE, il veut accélérer l’application des critères de convergence avec, comme objectif pour 2027, la réduction du déficit du budget à 2,7% du PIB, et celle de la dette à 108,3% du PIB. L’année dernière, Bruno Le Maire prévoyait seulement 2,9% et 112,5%. Cette année le déficit budgétaire devrait être de 4,9%. En conséquence, tous les ministères viennent de recevoir des lettres de cadrage prévoyant 5% d’économies pour avancer vers l’objectif fixé par Le Maire. Baisser radicalement le montant des dépenses publiques va aggraver davantage la pénurie dans les services publics.
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Dans ce contexte, le mouvement de mobilisation, malgré la colère sociale, marque le pas. Ce qui est en jeu c’est la capacité ou non d’imposer à Macron un recul sur les 64 ans, malgré la promulgation de la loi. Il est évident que cela dépendrait toujours de la capacité à élargir la crise politique et à paralyser le gouvernement. La paralysie parlementaire va subsister puisqu’il est clair désormais que les Républicains (LR) ne noueront pas d’alliance parlementaire pour asseoir une majorité. Mais Borne et Macron espèrent néanmoins passer au travers de nouvelles motions de censure et continuer à gouverner en louvoyant et en procédant au maximum par décrets qui n’impliquent pas de vote du parlement. Seule la mobilisation populaire peut permettre réellement de faire mettre genou à terre au gouvernement.
L’objectif annoncé par l’Intersyndicale est de faire du 1er Mai la prochaine échéance par des manifestations unitaires massives dans toutes les villes. Certes, cela sera une première historique, puisque depuis 1945, le mouvement syndical, en France, n’a jamais été réuni dans une même manifestation le 1er Mai. Cela témoigne positivement du rapport de force construit dans le mouvement.
Mais quel en est l’objectif ? En faire un point de départ pour un second souffle, un nouvel élan pour affronter Macron ? Cela serait évidemment décisif pour imposer une défaite à Macron, mais cela renvoie aux limites de l’Intersyndicale. L’unité est maintenue sur le rejet des 64 ans et le refus de dialoguer avec Macron sans recul sur sa réforme et cela est un facteur de dynamisation des mobilisations toujours nombreuses dans tout le pays. Mais quel sera l’objectif après le 1er Mai ?
Fixer de nouveaux leviers de mobilisations, contre les 64 ans, en élargissant aux questions sociales les plus urgentes, à commencer par les salaires et le coût de la vie, en gardant la dynamique unitaire mais en avançant vers un nouvel affrontement pour faire céder Macron, seront les enjeux des jours qui viennent. (Article reçu le 21 avril au soir – Réd.)
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