Édition du 17 décembre 2024

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France : les Primaires du PS

France : Élection (présidentielle), piège à cons ? Oui, mais…

20 et 23 janvier, blogue de Philippe Corcuff, L’hippopotame s’emmêle

D’une critique libertaire des régimes représentatifs professionnalisés, indûment appelés "démocraties", à un appui ponctuel à la présence dans la campagne présidentielle officielle de Benoît Hamon et Philippe Poutou...

Cet article a été publié initialement dans Libération daté du jeudi 19 janvier 2017 sous le titre (de la responsabilité de la rédaction) "Élections, piège à cons ? Pas si sûr...", http://www.liberation.fr/debats/2017/01/18/elections-piege-a-cons-pas-si-sur_1542422. J’ai rétabli dans cette version le titre initial.

« Élections, piège à cons » est le titre d’un article d’inspiration libertaire de Jean-Paul Sartre dans Les Temps modernes en janvier 1973. Déjà, dans Étatisme et Anarchie (1873), Mikhaïl Bakounine mettait en cause le recours aux institutions représentatives pour changer la société : « n’est-il pas clair que la nature populaire de ce pouvoir ne sera jamais qu’une fiction ? » La logique de la « procuration » consisterait à confier le pouvoir à quelques-uns « pour les représenter et pour les gouverner, ce qui les fera retomber sans faute dans tous les mensonges et dans toutes les servitudes du régime représentatif ou bourgeois ».

Pourtant, Bakounine était favorable au suffrage universel, mais dans un autre cadre socio-politique. Les expériences historiques lui ont souvent donné raison : les projets de transformer radicalement une société via les élections ont rencontré des écueils décisifs. Les maléfices du pouvoir et les effets de l’institutionnalisation ont fréquemment fait dévier les intentions originelles des transformateurs : personnalisation du pouvoir, dérives bureaucratiques, affadissement voire retournement des politiques menées… La représentation politique professionnalisée inscrit au cœur des prétendues « démocraties représentatives » un mécanisme oligarchique contraire au principe démocratique d’autogouvernement du peuple. Il y a donc une désintoxication à opérer ici vis-à-vis des illusions électoralistes justifiant les campagnes d’abstentionnisme électoral menées traditionnellement par les organisations anarchistes. Et l’on ne peut qu’être étonné de voir des militants de la gauche de la gauche, habituellement critiques à l’égard de la professionnalisation politique, se jeter avec tant de facilité sur le premier « homme providentiel » venu. Cette désintoxication doit pouvoir mettre l’accent sur le développement alternatif de formes populaires et citoyennes d’auto-organisation.

Par ailleurs, on doit se coltiner un problème adjacent sous la forme d’un paradoxe : les partis politiques, historiquement modelés sur la verticalité des États-nations modernes, constituent des obstacles à une relance de l’émancipation sociale et pourtant nous avons peut-être besoin d’organisations politiques, ne serait-ce que pour assurer un minimum de coordination et de continuité à l’action ainsi que pour transmettre une mémoire critique des impasses, des difficultés et des réussites passées. Bref il s’agirait d’ouvrir le chantier de nouveaux types d’organisation politique.

Cependant, cela doit-il nous conduire à tirer un trait sur la campagne et la pré-campagne présidentielle en cours ? Ne se faire aucune illusion quant aux possibilités transformatrices portées par les élections et les professionnels de la politique qui en bénéficient ne mène pas nécessairement à un refus de tout pragmatisme. Car le moment de l’élection présidentielle en France participe à la définition de l’univers du politiquement pensable, avec un intérêt particulier dans de larges secteurs de la population. Or, aujourd’hui, le champ politico-idéologique est aimanté par l’extrême droite, dans une hystérie identitaire aux relents xénophobes, sexistes, homophobes et nationalistes, avec des effets jusqu’à la gauche et la constitution de zones confusionnistes entre extrême droite, droite et gauche. Les amis de l’émancipation ont intérêt à enrayer cette extrême droitisation, à cause des périls en jeu et afin de poursuivre leurs activités dans des conditions idéologiques moins défavorables. Ils pourraient donc apporter leur appui à des discours s’efforçant de rééquilibrer les évidences du moment du côté de valeurs de gauche, en arrimant « le social » et « le sociétal » dans une ouverture au monde. Ils soutiendraient pragmatiquement et ponctuellement des positionnements au cours de la campagne présidentielle, et pas des personnes et des partis, afin de tenter de rendre l’air du temps moins irrespirable, sans aucun engagement pour l’après-Présidentielle. Pour ce faire, repérons ceux qui associent le mieux la question sociale, en la reformulant à l’aune des défis écologistes, et la question multiculturelle dans un horizon de solidarité internationale.

Pour le pôle dit « réformiste », Benoît Hamon apparaît le plus ajusté, et pour le pôle dit « révolutionnaire », Philippe Poutou. Face à l’intolérance identitaire, Hamon affiche « un imaginaire métissé », tout en développant des préoccupations sociales écologisées à destination des milieux populaires et des couches moyennes salariées. Dans son programme, la lutte contre les discriminations est intégrée à la question sociale. Par ailleurs, avec lui, on peut concilier ce qui est souvent opposé : faire reculer la contamination islamophobe des débats publics, lutter contre les violences antisémites et combattre les ennemis de l’humanité que sont les djihadismes. Poutou incarne une parole ouvrière quasiment interdite dans le milieu des professionnels de la politique, et cela dans un cadre clairement antiraciste et internationaliste. Tant Poutou que Hamon assument leurs propres fragilités humaines comme indépassables en politique, à la différence de nombre de mégalos politiciens, de Marine Le Pen en François Fillon, d’Emmanuel Macron en Manuel Valls, d’Arnaud Montebourg en Jean-Luc Mélenchon. Ils incarnent une critique des croque-morts sociaux-libéraux de la gauche, Macron et Valls, sans tendre l’oreille aux sirènes nationalistes, comme Montebourg et Mélenchon. Leur démarche a bien des limites d’un point de vue libertaire, mais il s’agit seulement de desserrer l’étau des idées les plus nauséabondes dans le champ politique, dans les médias, sur Internet et dans les réseaux sociaux, en utilisant la variété des moyens à notre disposition. Ne peut-on pas être radical et pragmatique ?


Défaire le social-libéralisme sécuritaire à relents islamophobes de Valls

23 janv. 2017

Deuxième tour des Primaires du PS élargi : battre Manuel Valls pour rendre l’air moins irrespirable à gauche en contexte d’extrême droitisation !

Pour enrayer l’extrême droitisation idéologique comme seule réponse au néolibéralisme encore hégémonique dans les milieux politiciens, mais récusé par une large majorité de la population, il faut casser nettement le social-libéralisme (pacte de responsabilité, loi Macron, loi travail...) aimanté par l’extrême droitisation (romophobie, usages dévoyés du bel idéal de laïcité principalement contre "les musulmans", tout-sécuritaire...) incarné par Manuel Valls . Il faut donc amplifier le score de Benoît Hamon au deuxième tour des Primaires du PS élargi ce dimanche 29 janvier.

Les amis de la gauche de gauche, les "révolutionnaires" et les libertaires ne peuvent se désintéresser totalement, en contexte d’extrême droitisation, de ce qui se passe dans la gauche institutionnelle et "réformiste". Non pas pour alimenter de nouvelles illusions électoralistes quant à la possibilité d’apporter des changements sociaux significatifs via le recours aux urnes dans le cadre des régimes représentatifs professionnalisés actuels, mais pour déplacer le curseur de l’air du temps idéologique en un sens moins nauséabond (la xénophobie, le nationalisme et l’hystérie identitaire), en réorientant les débats publics vers une association de la question sociale et de la valorisation du multiculturel dans une ouverture internationaliste.

Les rancoeurs à l’égard du PS sont légitimes. Depuis le tournant social-libéral de 1983, il est devenu progressivement un des principaux facteurs de décomposition de la gauche historique et un des principaux obstacles à une relance du pari de l’émancipation sociale, le quinquennat Hollande-Valls offrant par ailleurs de nouvelles possibilités de développement à l’extrême droite. Cependant une politique du ressentiment serait, tout particulièrement aujourd’hui, aveuglée et aveuglante. L’enjeu de l’extrême droitisation en cours, et du possible effacement des politiques modernes d’émancipation (la conquête d’une autonomie individuelle et collective contre les dominations au moyen d’une transformation sociale) nées avec les Révolutions américaine et française au XVIIIe siècle et prolongées aux XIXe et XXe siècles par les socialismes, le féminisme ou l’anticolonialisme, apparaît plus importante que la satisfaction amère de nos appétits compréhensibles de vengeance.

N’oublions pas non plus, pour peser, via la campagne présidentielle officielle, sur les évidences idéologiques du moment, de rendre possible la "qualification" de Philippe Poutou, ce qui suppose qu’il ait les signatures d’élus nécessaires (voir la pétition "2017, Philippe Poutou doit en être", https://www.change.org/p/elus-de-france-2017-philippe-poutou-doit-en-%C3%AAtre).

A court terme : résister à l’extrême droitisation idéologique par tous les moyens à notre dispostion. A moyen terme : relancer en pratique et en théorie une nouvelle gauche anticapitaliste, démocratique et libertaire, c’est-à-dire une nouvelle politique d’émancipation pour le XXIe siècle. Et maintenir des passerelles entre les deux, dans une tension inévitable entre ces deux temporalités, afin que les politiques modernes d’émancipation ne se réduisent pas prochainement à n’être qu’un objet d’étude pour les historiens et qu’un objet de folklore pour des groupuscules militants.

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