30 mai 2022*
Il ne s’agissait évidemment pas de notre seule initiative personnelle. Cette réalisation fut le résultat d’un long travail qui avait été mené depuis la fin des années 80 au Comité LGBT+ (à l’époque, il s’appelait le comité « gais et lesbiennes ») du Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN (CCMM-CSN).
Avant que cela devienne une proposition appuyée par le Conseil central de Montréal, il a d’abord fallu convaincre l’exécutif de la nature proprement politique de cette action en expliquant qu’elle commémore l’émeute du bar Stonewall Inn de New York en juin 1969, véritable bougie d’allumage des revendications LGBT dans le monde, chose qui n’était pas particulièrement connue en dehors des cercles militants.
Certaine personne m’avait même suggéré de reporter cette proposition au congrès suivant puisque le congrès d’alors mettait en jeu le poste de la présidence, pour laquelle étaient en lice Claudette Carbonneau et Marc Laviolette, et qu’il fallait éviter que certain·e·s congressistes n’utilisent cette question comme pomme de discorde. Je trouvais cet argument fort byzantin et je me demandais bien en quoi l’élection à la présidence aurait pu y être liée.
À la reprise des travaux après la pause de l’après-midi du mercredi 29 mai, je m’approchai de Marc Laviolette, président encore en poste, pour m’ouvrir auprès de lui de cette suggestion que je n’arrivais pas à bien comprendre. Sa réponse fut très verte et très réconfortante : « Qu’est-ce que c’est que ces affaires-là ? Ta proposition est légitime, et je ne connais personne à l’exécutif ou parmi les candidatures qui va s’y opposer ! Présente-la, je suis sûr qu’elle va passer très majoritairement. »
Une autre personne m’avait prévenu que, quand une proposition se faisait dans le cadre du budget, on avait intérêt à « *dormir la nuit précédente à côté du micro* si tu veux être le premier à parler, parce que, dès que quelqu’un embarque sur un commentaire du budget, on est parti pour une longue discussion. » Certes, l’expression *dormir à côté du micro* n’était pas à prendre au pied de la lettre. On a le langage coloré, à la CSN.
Le jeudi 30 mai 2002 au matin, j’entrai très tôt dans la salle du congrès, qui se tenait à Québec, et je choisis un micro qui serait à gauche pour les personnes qui sont à la table en avant. Tout de suite après l’ouverture et la présentation du budget, je levai la main et fis ma proposition. Jacques Tricot, qui était assis du côté gauche de la salle, donc à droite pour la table d’en avant, se leva et donna son appui.
J’expliquai la teneur de la revendication : offrir une place dans le budget pour une activité réalisée chaque année et dont le rôle est proprement politique. Aucune question, aucune discussion. Un véritable silence de mort. Personne ne demanda le vote. La résolution fut adoptée à l’unanimité. Après quelques secondes de silence, on passa aux questions suivantes.
Le 30 mai, c’est l’anniversaire de naissance de mon père, qui était hélas décédé six ans plus tôt. J’étais bien fier de ce que j’avais accompli ce jour-là et je crois qu’il aurait été très fier aussi, lui qui avait été le seul en 1990, lorsque j’avais présenté mon compagnon, à le regarder droit dans les yeux, à lui serrer les bras et à lui dire : « Tu es ici chez toi. » Et à agir en concordance.
À la pause du matin, ce jour-là, j’entendis quelques rumeurs et, m’approchant d’un groupe, je surpris cette phrase : « Ça va être quoi la prochaine fois, les itinérants ? », suivie de regards entendus de se taire, car j’étais à portée de voix. Tout n’était pas gagné dans les cœurs de nos membres.
Le lendemain, comme nous en avions convenu Jacques Tricot et moi, c’est lui qui faisait la proposition de mettre en fonction le Comité gais et lesbiennes de la CSN, et c’est moi qui donnerait l’appui. Jacques expliqua l’intention de la proposition avec un historique approprié.
Je pris ensuite la parole pour dire à quel point, pour la CSN, tout le monde a son importance. Je signalai que la veille j’avais entendu des rumeurs : on se demandait si on créerait un comité pour les personnes itinérantes. Je fis valoir que, si on avait des préjugés contre les personnes de la rue, on faisait fausse route. Que toute personne dans la société a droit à sa dignité. Que chaque pas que nous faisons en faveur de l’égalité rehausse notre humanité. Personne ne demanda le vote. L’unanimité fut accueillie par un tonnerre d’applaudissements.
Mission accomplie ? Pas tout à fait. Il fallait encore comme je le disais plus haut gagner le cœur de l’ensemble de nos membres. Le chemin serait long avant de faire reconnaître l’égalité complète sur papier, puis l’égalité sociale. On s’en approche, mais ce n’est pas encore ça, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que les femmes n’ont toujours pas atteint la pleine égalité. Un camarade m’a même rapporté il n’y a pas si longtemps que, d’après un élu d’une région rurale, la question LGBT+ était une affaire strictement montréalaise. C’est tout dire. Bravo à toutes les personnes qui tiennent encore le flambeau !
LAGACÉ, Francis
http://www.francislagace.org
francis.lagace@gmail.com
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