Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Faire de la Palestine un sujet européen. Un discours de Rima Hassan

Alors qu’approchent les élections européennes, nous reproduisons le discours puissant de Rima Hassan prononcé lors du meeting de la France insoumise à Evry-Courcouronnes, le 4 juin 2024.

6 juin 2024 | tiré de contemps.eu

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Comme chacun sait, cette campagne a été rude et marquée par une actualité tragique en Palestine. J’entends ici et là qu’on se déplacerait dans les quartiers populaires pour instrumentaliser ce qu’on nomme « le vote musulman. »

J’entends aussi que ma présence sur cette liste ne serait qu’une tactique politique et qu’au fond, la légitimité même de mon engagement politique serait questionnable. Il y a ceux qui me demandent sans cesse de « rentrer chez moi » tout en travaillant à la disparition de ce même chez-moi, la Palestine. Il y a ceux qui me dénient mon identité palestinienne et qui voudraient que je rentre finalement en Syrie, sans parler de ceux qui voudraient tout simplement que les Palestiniens disparaissent.

Il faut nommer cette rhétorique raciste teintée d’une arrogance coloniale. Ce discours raciste et islamophobe est révélateur de beaucoup de choses. Et c’est en cela que la cause palestinienne est une question structurante.

La Palestine libère le monde qui prétend la libérer. Elle fait tomber les masques et dévoile l’hypocrisie de tous ceux qui pourtant se revendiquent sans cesse d’un prétendu universalisme. Tous ces discours témoignent d’abord d’une profonde méconnaissance et d’un total manque d’intérêt à l’égard des gens qui vivent dans ces quartiers populaires. Les présenter comme une « masse musulmane » qui serait dotée d’une seule pensée, c’est le début de l’essentialisation, donc de la déshumanisation. Aussi, cette stigmatisation témoigne d’une grande ingratitude pour tous ceux sans qui la France ne serait pas la France, pour tous ceux sans qui la France ne tiendrait pas aujourd’hui sur ses deux jambes.

L’exclusion est une politique en soi orchestrée par certains et subie par d’autres. Le terme « quartier populaire » édulcore ce qu’est la réalité de la banlieue, à savoir la mise au banc du lieu commun, l’exclusion de la société, la mise à l’écart de toute opportunité, en bref, un lieu marqué par le racisme environnemental.

Repeindre les cages d’escalier n’efface rien des fissures et ne répare pas les fractures des humiliations subies. Aucun karcher n’effacera les séquelles des violences policières. Ce qui est en jeu ici comme ailleurs, c’est la reconnaissance de ce que nous sommes et d’où nous venons, de ce que l’exil nous a pris et de ce que l’exil nous a donné, de cette mémoire coloniale que nous sommes des millions à partager et qui est entremêlée à l’histoire de la France.

De plus en plus de personnes songent à quitter un pays qu’ils pensaient pourtant être le leur, et ce, depuis plusieurs générations. Je veux leur dire qu’il y a dans ce pays une France silencieuse et généreuse qui a encore le souci de faire corps et société avec eux. Je veux leur dire que contrairement à ce qu’ils entendent à longueur de journée, non, ils n’ont pas trahi la devise républicaine. C’est la République elle-même qui s’est trahie en ne leur offrant ni liberté, ni égalité, ni fraternité.

C’est vous qui faites vivre cette devise tous les jours entre vous, à défaut de pouvoir en bénéficier en dehors de ces lieux d’exclusion. Le lien entre ces lieux et la Palestine leur échappe, car notre propre mémoire coloniale leur a échappé. Ils ratent au présent, avec les Palestiniens, ce qu’ils ont raté dans le passé avec vous et vos aïeux.

Car comment regarder la Palestine colonisée si on n’a pas daigné regarder sa propre histoire coloniale ? C’est ce même déni qui fait dire à certains que la Palestine ne serait pas un sujet européen. Il se mentent, il se trompent, il se fourvoient. Alors certes, l’Union européenne n’a pas de politique commune cohérente, s’agissant de la question palestinienne. Mais comme chacun sait, il y a urgence à mener cette bataille pour sauver ce qu’il reste à sauver, de paix, de justice, d’honneur pour l’humanité tout entière. Et le sujet est européen puisque les leviers que nous pouvons activer sont précisément des leviers européens.

Je vais le marteler autant de fois que nécessaire.

La Palestine est un sujet européen, et ce, pour plusieurs raisons. Israël est un bout d’Occident, en Orient. La Palestine est un sujet européen car l’Union européenne est le premier partenaire commercial d’Israël, et représente aujourd’hui 30% de ses échanges.

La Palestine est un sujet européen, car, comme vous le savez, il y a plus de 140 États à travers le monde qui ont reconnu l’État de Palestine et plus récemment même certains États européens. C’est historique. Mais les États qui restent réticents à cette mesure sont essentiellement des États occidentaux et donc des États européens.

La Palestine est un sujet européen car l’Europe se rend aujourd’hui complice du génocide qui est en cours. La Palestine est un sujet européen car on oublie très souvent qu’Israël a été pensé pour répondre à la catastrophe de l’antisémitisme européen tout en sacrifiant ces mêmes Palestiniens.

Et la Palestine, est un sujet européen, car nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, des Palestiniens.

En définitive, il n’y a pas d’autre voie possible que la fin de l’occupation, la fin de la colonisation, le droit absolu à l’autodétermination du peuple palestinien, un embargo sur les exportations d’armes et la fin de l’accord UE-Israël. Cette voix de justice et de paix qui est aussi, surtout, une voie décoloniale, doit être portée au Parlement européen. Le 9 juin, vous pourrez nous donner la force d’incarner ce changement qui a d’ores et déjà débuté en Europe et de faire enfin de la Palestine un sujet européen.

Je ne peux pas finir un discours sur la dimension coloniale de la question palestinienne et en quoi cette dimension nous lie vous, gens issus de l’immigration, mais qui vivent aussi dans les quartiers populaires, et nous, Palestiniens, sans citer Aimé Césaire, le grand Aimé Césaire :

« ll faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a eu au Viêtnam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent ».

Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1955, p. 11.

Je vous remercie.

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