Édition du 12 novembre 2024

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Etats-Unis. « John Bolton, l’homme qui pousse Trump à faire la guerre à l’Iran »

Sous l’ère Trump, il est tentant de ne plus faire attention. De balayer les faits, comme s’ils étaient sortis d’un mauvais rêve. Voilà pourtant bien ce que le New York Times écrivait ce lundi 13 mai : « Jeudi dernier, lors d’une réunion des principaux conseillers à la sécurité nationale du président Trump, le secrétaire à la défense par intérim Patrick Shenahan a présenté un plan militaire réactualisé qui envisage d’envoyer jusqu’à 120’000 militaires au Moyen-Orient si l’Iran devait attaquer les forces américaines ou accélérer ses travaux en matière d’armes nucléaires. »

Tiré de À l’encontre.

« Cette réactualisation a été ordonnée par les partisans de la ligne dure menés par John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de M. Trump », poursuit l’article, fondé sur les confirmations d’une « demi-douzaine » d’officiels américains, pour certains « choqués » par le chiffre : « 120’000 soldats, cela approcherait en effet la taille de l’armée américaine qui a envahi l’Irak en 2003 », rappelle le New York Times.

L’article, précis, a fait resurgir la menace, latente depuis la dénonciation américaine de l’accord sur le nucléaire iranien il y a un an, d’un conflit ouvert avec Téhéran. « Pas de guerre, ce serait un désastre absolu », a averti le sénateur Bernie Sanders, au diapason de nombreuses réactions hostiles.

Dans une déclaration typique, mêlant fanfaronnade, cynisme et attaques contre la presse, le président a confirmé tout en démentant.

« D’où est sortie cette histoire ? Le New York Times… et le New York Times ce sont des “fake news”. Je pense que ce sont des “fake news”. Est-ce que je ferais cela ? Absolument. Mais il n’y a pas de plan pour ça. J’espère qu’il n’y aura pas de plan pour ça. »

Avant d’ajouter, sommet de « mindfuck » – l’art, très trumpien, d’embobiner et de dérouter : « Mais si nous faisions cela, nous enverrions vachement plus de troupes. »

Il est permis de lever les yeux au ciel et de fulminer. Et même de sourire la Maison Blanche est bel et bien gouvernée par Ubu Roi. Mais il faut aussi s’inquiéter franchement. Dix-sept ans après le lancement de la désastreuse guerre en Irak, au motif mensonger que le dictateur Saddam Hussein détenait des « armes de destruction massives », l’administration américaine envisage une guerre avec Téhéran.

Donald Trump, ignare en politique étrangère, a fait campagne contre les interventions militaires. Mais autour de lui, certains s’échinent de toute évidence à lui présenter celle-ci comme un fait accompli.

Mercredi matin, le département d’État américain a d’ailleurs ordonné dans un geste dramatique l’évacuation de l’ambassade américaine à Bagdad et du consulat d’Erbil, citant des menaces en provenance de l’Iran voisine. Ces menaces sont très nuancées par les services de renseignement européens, pourtant l’administration américaine les met en scène depuis des mois.

Le 5 mai, un communiqué de la Maison Blanche tweet signé Bolton a indiqué le déploiement d’un porte-avions et quatre bombardiers à capacité nucléaire dans la région, invoquant sans plus de précisions « un certain nombre d’indications et d’alertes troublantes ».

Depuis, l’arsenal a été renforcé, avec un quai de transport amphibie et une batterie de missiles Patriot, réponse à des menaces, au prétexte d’« activités navales anormales » de bateaux iraniens.

Il y a deux jours, une source anonyme (et unique) attribuait à l’« Iran » l’« attaque » récente de deux tankers saoudiens, d’un navire norvégien et d’un bateau des Émirats arabes unis dans le détroit d’Ormuz, au large de l’Iran, passage stratégique pour le transit du pétrole dans le Golfe. Cette fuite est parue dans le Wall Street Journal, propriété du milliardaire Rupert Murdoch, un ami personnel du président américain – il détient aussi la chaîne Fox News, dont John Bolton fut pendant des années un chroniqueur rémunéré.

D’ores et déjà, des républicains influents comme le sénateur Tom Cotton, un dur qui a l’oreille de Donald Trump, réclament rouvertement des « frappes » contre l’Iran. « Deux » suffiraient pour gagner, dit-il. Bien sûr, il « ne défend pas une action militaire contre l’Iran ». Mais « si l’Iran attaquait, il y aura une réponse violente ».

Cotton ressort en réalité le vieux manuel des interventions américaines, la plupart du temps justifiées par des « menaces » contre la sécurité nationale américaine…

Comme le souligne le New York Times, le principal promoteur d’un conflit ouvert avec l’Iran, l’homme qui fait dangereusement monter la tension s’appelle John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale du président depuis mars 2018. Depuis des années, Bolton rêve de bombarder l’Iran, sa principale némesis, avec Cuba.

Trump, qui a fait campagne contre les interventions militaires américaines, dit souvent pour plaisanter que Bolton va un jour le pousser à lancer une guerre. À force de provocations, la petite blague pourrait devenir très vite la réalité.

Au cours des derniers mois, le président a fini de purger la Maison Blanche des voix les moins extrêmes en matière de politique étrangère. Le nouveau secrétaire à la Défense Patrick Shanahan n’a pas les prévenances du général Mattis, son prédécesseur : ancien de la branche militaire de Boeing, il est le représentant archétypique du puissant complexe militaro-industriel américain qui avale la moitié du budget américain.

Depuis avril 2018, John R. Bolton, 70 ans, connu pour sa moustache peu habituelle outre-Atlantique, est le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Son bureau est situé dans la West Wing de la Maison Blanche, au cœur du pouvoir.

Le puissant conseil de sécurité nationale, qu’il anime, est, selon le site de la Maison Blanche, « le principal forum du président » au sein duquel sont « discutés les dossiers de sécurité nationale et de politique étrangère ».

Il souhaite « un nouveau régime en 2019 » à Téhéran

John Bolton, un diplômé de Yale, conservateur de toujours, a fait l’essentiel de sa carrière au ministère de la justice, à l’agence américaine pour le développement international, au département d’État.

Il croit à la « destinée manifeste » des États-Unis, à la puissance et la supériorité de son pays, à l’unilatéralisme, à la tension permanente, aux conflits « préventifs ». Il est l’incarnation du faucon militariste américain, un spécimen brut de néoconservateur, une espèce en voie de disparition mais qui règne sous Trump sur la diplomatie américaine. Le secrétaire d’État, Mike Pompeo, un évangéliste exalté, est presque aussi extrême que lui : il a un jour réclamé « 2000 frappes » contre l’Iran accusée de vouloir « détruire l’Amérique ».

John Bolton a écrit des centaines d’articles, a fait fortune en donnant des discours rémunérés (par exemple devant les Moudjahidines du peuple un groupe d’opposants au régime de Téhéran, un temps considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis, connu pour ses pratiques sectaires), mais aussi en cantinant dans des instituts conservateurs et des firmes de capital-investissement.

De 2001 à 2005, sous-secrétaire au gouvernement d’État, il y fut le chef d’orchestre du retrait américain de la Cour pénale internationale, un épisode qu’il décrit comme le moment le plus « heureux de sa carrière.

En 2003, il fut l’un des plus ardents défenseurs, et l’un des architectes, de la guerre en Irak, propagateur appliqué de la théorie des armes de destruction massive – il avait même affirmé faussement, que Saddam Hussein cherchait à se procurer de l’uranium en Afrique.

Il reste convaincu, malgré les centaines de milliers de morts et les désastres enclenchés dans la région que cette guerre, déclenchée sans mandat des Nations unies, était nécessaire. Il n’a pas changé d’avis, c’est à ça qu’on le reconnaît.

De 2005 à 2006, il fut ambassadeur aux Nations unies de George W. Bush, une nomination ironique, et très contestée, auprès d’une institution qu’il méprise.

Comme Rudy Giulani, l’ancien maire de New York désormais avocat de Donald Trump, ou l’ancien parlementaire Newt Gingrich, John Bolton plaide depuis longtemps pour un « changement de régime » en Iran.

En 2015, il a appelé l’administration Obama à bombarder les installations nucléaires iraniennes. Quelques semaines avant sa nomination dans l’administration Trump, Bolton exhortait une nouvelle fois le président Trump à « mettre un terme à la révolution islamique de 1979 avant son quarantième anniversaire ».

« Reconnaître un nouveau régime en 2019 renverserait la honte d’avoir vu nos diplomates pris en otages pendant 444 jours », écrivait-il dans le Wall Street Journal, allusion à la longue prise d’otages de l’ambassade américaine de Téhéran, en 1979, qui a instillé dans la droite américaine une soif inextinguible de vengeance contre le régime des mollahs

En février 2019, à l’occasion des quarante ans de la République islamique, Bolton, dans une vidéo postée sur le compte Twitter de la Maison Blanche, a menacé le guide suprême iranien de la plus claire des façons : « Je ne pense pas que vous fêterez un autre anniversaire. »

S’il était président (il y a songé…), le même Bolton aurait bombardé depuis longtemps la Corée du Nord, un régime dont il veut « la fin » : dès les années 1990, alors chargé du département d’État du contrôle des armes, Bolton a déminé méthodiquement les efforts de négociation avec les Nord-Coréens.

Deux mois avant d’arriver à la Maison Blanche, il appelait encore à bombarder le pays – un souhait mis en sommeil, aussi longtemps que Donald Trump surjoue l’idylle avec l’homme fort de Pyongyang – qui n’entend nullement abandonner son arsenal nucléaire.

Le même John Bolton est par ailleurs, au même moment, à la manœuvre dans la crise politique et diplomatique au Venezuela. Bolton agite depuis des mois la possibilité d’une intervention militaire pour renverser le président Maduro : l’an dernier, il a présenté le Venezuela comme l’un des membres de la « troïka de la tyrannie » en Amérique latine, aux côtés de Cuba et du Nicaragua, un langage qui n’est pas sans rappeler « l’axe du mal » » évoqué en 2002 par George W. Bush (il évoquait alors l’Irak, la Corée du Nord et l’Iran).

« Vous cherchiez un meilleur deal avec l’Iran ? Vous aurez une guerre à la place. C’est ce qui se passe quand on écoute le moustache [Bolton] (sic). Bonne chance en 2020. » Le date de ce mardi, il est signé Hesamodin Ashna, un conseiller du président iranien Hassan Rouhani. Évidemment, il contient une bonne partie de bluff et de postures. Mais il montre combien sous la férule de Bolton les relations avec le régime de Téhéran sont devenues délétères.

Pendant des années, l’homme à la moustache avait été un des critiques les plus acharnés de l’accord nucléaire conclu par Barack Obama et les Européens. Un mois après sa nomination, en remplacement du moins extrême H. R. McMaster, le président américain annonçait la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire iranien.

L’attitude belliciste de la Maison Blanche, qui s’accompagne désormais d’un régime de sanctions destinés à étrangler l’Iran, inquiète jusqu’à des voix peu suspectes de pacifisme ou d’idéalisme.

Jadis éditorialiste qui défendit à tous crins la guerre en Irak, l’essayiste Max Boot, néoconservateur repenti, une des rares voix de droite à s’élever désormais contre Donald Trump, doute dans le Washington Post de la réalité des menaces contre la sécurité américaine.

« C’est difficile de les prendre pour argent comptant. Cette administration ment comme aucune avant elle, Trump en est à son 10000e mensonge, et Bolton lui-même a été par le passé accusé de falsifier des informations provenant du renseignement pour justifier des actions militaires contre l’Irak et Cuba. La façon de mettre en avant la menace iranienne rappelle […] les épisodes ayant précédé la guerre en Irak. »

Boot craint que « Bolton ne cherche à provoquer l’Iran pour qu’elle tire la première ». Il rappelle qu’en 1964, les États-Unis se sont engagés plus directement dans l’engrenage de la guerre au Vietnam en arguant au départ, de la même façon, de menaces militaires dans le golfe du Tonkin.

Comme l’ont révélé les Pentagon Papers, elles étaient inventées. Mais elles permirent à l’administration Johnson de convaincre le Congrès à autoriser la guerre. La grande boucherie allait suivre.

Article publié sur le site de Mediapart en date du 15 mai 2019.

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