Ces événements semblent pousser les États-Unis vers un conflit alors que même le Pentagone estime qu’une attaque serait trop imprévisible et coûteuse. Le président, pour sa part, offre actuellement des signes de retenue. Avec les rumeurs qui circulent et les menaces lancées par des membres du Congrès, les citoyens sont en droit de se demander ce qui se passe réellement. Des néo-conservateurs ont déclaré leurs intentions, mais voici d’abord l’actualité de ce conflit selon des faits vérifiables.
Le Congrès des États-Unis discute actuellement d’un blocus considéré comme un acte de guerre par les experts
Une résolution a été soumise au Congrès des États-Unis déclarant que les activités nucléaires de l’Iran étaient une menace à la paix mondiale et sommant le président de faire appliquer une « interdiction d’exporter vers l’Iran tout produit pétrolier raffiné » et « la conduite d’inspections vigoureuses de tous les individus, véhicules, aéronefs, navires, trains et chargements en provenance ou à destination de l’Iran ». La résolution 362, soumise le 22 mai 2008, n’a pas encore été adoptée, mais 220 membres du Congrès (51%) l’ont appuyée pour être discutée au Comité sur les Affaires étrangères avant un vote final. [1]
La résolution actuelle implique l’imposition d’un blocus par des forces militaires, car il s’agirait de bloquer les exportations vers l’Iran de produits pétroliers raffinés et d’inspecter de force le commerce international avec l’Iran. Appliquer un tel blocus est considéré un acte de guerre par les experts et la coutume du droit international.
Une force navale massive s’est pratiquée à combattre l’Iran après le début d’un ultimatum lancé le 19 juillet 2008
Le 21 juillet dernier, une force navale massive a mené un exercice militaire de dix jours nommé Operation Brimstone lors duquel l’ennemi imaginaire était l’Iran. Cet exercice comptait plus de douze navires dont les porte-avions états-uniens Theodore Roosevelt et Iwo Jima, le sous-marin français Amethyste, le porte-avions britannique le HMS illustrious, ainsi qu’une frégate brésilienne. Des avions français de combat Rafale participaient sur les ponts du porte-avions Roosevelt. Six autres navires jouaient le rôle fictif de forces ennemies iraniennes.
Le début de l’Operation Brimstone arrivait deux jours après l’ultimatum « des Six » (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie) lancé le 19 juillet 2008 et qui s’est terminé le 2 août dernier. Surnommée « gel pour gel » (Freeze-for-freeze), la proposition voulait que les sanctions internationales soient gelées à leur état actuel si l’Iran cesse ses activités d’enrichissement d’uranium. L’Iran n’ayant pas accepté ni refusé, les six États discutent de proposer au Conseil de sécurité des Nations unies de nouvelles sanctions punitives.
La Défense réfute la rumeur selon laquelle une armada se dirigerait vers l’Iran
Le mercredi 13 août, le Département de la Défense des États-unis a réfuté la rumeur diffusée sur Internet selon laquelle une force navale se dirigeait vers l’Iran pour imposer le blocus proposé au Congrès. Il s’agit d’un courriel nommant une liste impressionnante de navires de guerre qui formeraient une armada pour agresser l’Iran. Le contenu du courriel a été repris par des blogs et des médias amateurs. On peut deviner que la source de la rumeur a cru que l’exercice naval réel, combiné aux menaces de blocus en discussion au Congrès, était le début de la guerre.
Le gouvernement israélien déclare son intention d’attaquer si...
Le gouvernement israélien, de son côté, a déclaré qu’il allait unilatéralement lancer des attaques aériennes si les efforts diplomatiques échouaient à convaincre l’Iran de mettre fin à ses activités d’enrichissement d’uranium. L’administration Bush affirme suivre un chemin diplomatique et demande à Israël de ne pas intervenir seul.
En réaction, un groupe international de citoyens fondé à Londres, nommé la Campagne contre les Sanctions et l’Intervention Militaire en Iran (CASMII), remarque que les menaces d’attaque du gouvernement israélien sont incompatibles avec les principes de la Charte des Nations unies.
Des néo-conservateurs prêchent pour une guerre contre l’Iran avant l’arrivée d’un nouveau président
Des milliers de supporteurs des « Chrétiens unis pour Israël » (CUFI) se sont réunis à Washington en juillet dernier et ont discuté de la manière d’influencer les politiques internationales des États-Unis. Le CUFI a invité des néo-conservateurs à présenter leur position concernant « la menace iranienne ». Les trois conférenciers incluaient Patrick Clawson du Washington Institute for Near East Policy, et fondateur du célèbre organisme pro-israélien American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), ainsi que Frank Gaffney, dirigeant du Centre for Security Policy, un groupe néo-conservateur.
Les médias étaient exclus des rencontres, mais Ali Gharib, correspondant de l’Inter Press Service a pu y assister subtilement. [2] Selon ce journaliste et une vidéo obtenue par l’American News Project, [3]
Patrick Clawson est venu expliquer qu’il juge que le gouvernement iranien est totalement irrationnel et qu’il représente une menace mondiale. Frank Gaffney, pour sa part, estime que l’Iran est une menace directe pour les États-Unis. Il affirme que l’Iran pourrait développer des armes capables de transformer de grandes parties des États-Unis en société pré-industrielle.
Ces intellectuels néo-conservateurs, et les partisans du CUFI, sont convaincus que l’Iran veut détruire Israël et, pour s’en convaincre, ils citent L’ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de la révolution islamique. Ils suggèrent, à l’instar de plusieurs proches conseillers du gouvernement, que le président Bush appuie une attaque israélienne contre l’Iran avant qu’un nouveau président soit en fonction.
Frank Gaffney conseille d’ailleurs la campagne de John McCain, candidat républicain à la présidence des États-Unis. John Bolton, ancien ambassadeur états-unien connu pour ses positions unilatérales et membre titulaire de The American Enterprise Institute (AEI), conseille aussi McCain. AEI serait la principale force idéologique derrière l’invasion de l’Irak, selon Davin Hutchins, reporteur du American News Project. Hutchins rapporte que John Bolton croit que l’Iran a l’intention d’utiliser une arme nucléaire contre Israël et donc que ce dernier doit lancer une attaque préventive.
Sondage aux États-Unis : une proportion importante de personnes de religion juive ne partagent pas les positions néo-conservatrices et sionistes
Selon un sondage publié en juillet dernier par la firme Gerstein/Agne, auprès de 800 personnes de religion juive, seulement 7% appuient les « Chrétiens unis pour Israël » (CUFI), 76 % appuient des négociations avec les « pires ennemis » d’Israël, 41 % (contre 42 %) éviteraient de voter pour un candidat qui appuie une attaque préventive contre l’Iran et 59 % acceptent que soit concédé des territoires à la Palestine en échange d’une paix. [4]
Des signes positifs : le président Bush entre réalistes et faucons ?
Avant le 19 juillet 2008, les États-Unis refusaient de négocier tant que l’Iran ne mettait pas fin à l’enrichissement d’uranium. En envoyant le numéro trois du département d’État, William Burns, discuté directement avec un représentant du gouvernement iranien, le président Bush semble ouvrir les négociations. De plus, le journal israélien Haaretz a affirmé cette semaine que le président Bush aurait refusé que l’armée fournisse à Israël des moyens technologiques pour mieux mener une attaque contre l’Iran.
Gareth Porter, historien et journaliste spécialiste des politiques de sécurité nationale états-uniennes, considère qu’il ne faut pas exagérer l’importance de ces signes positifs et croire qu’il s’agit d’une victoire claire des officiels voulant négocier, menés par la secrétaire d’État Condoleezza Rice et le chef du Pentagone Robert Gates. En effet, le vice-président Cheney, qui souhaite éviter les négociations, n’aurait pas encore donné raison à Rice et Gates. [5]
Aussi, l’Inter Press Service rapporte une lutte politique chaude entre les « politiciens réalistes », moins idéologiques et plus axés sur les résultats négociés, et les « politiciens faucons » et néo-conservateurs ayant des liens étroits avec le bureau du vice-président Cheney. Du côté desdits réalistes, on retrouve le Pentagone qui est fortement opposé à une attaque contre l’Iran, considérant que cela déstabiliserait trop le Moyen-Orient et que l’armée états-unienne est déjà occupée par deux guerres actives. Le général Brent Scowcroft, ancien conseiller de Bush à la sécurité nationale, de pair avec le célèbre politicologue Zbigniew Brzezinski, ont fait pression pour que l’administration Bush cesse les menaces militaires et accepte de négocier sans imposer de pré-conditions. [6]
L’administration Bush aurait cherché un prétexte pour provoquer une guerre contre l’Iran
Selon les sources de Seymour Hersh, journaliste émérite de The New Yorker, l’administration Bush aurait discuté divers scénarios pour provoquer une guerre avec l’Iran. Les scénarios furent discutés lors d’une réunion au bureau de Cheney après l’incident du détroit d’Ormuz, en janvier 2008, lorsque des navettes iraniennes auraient « provoqué des navires de guerre états-uniens ». Le 31 juillet dernier, Hersh rapportait les propos suivants d’une personne qui était présente : « Des douzaines d’idées y ont proférées sur comment déclencher une guerre. Celle qui m’a intéressé le plus était "Pourquoi ne pas construire quatre ou cinq bateaux lance-torpilles iraniennes. Mettez dessus des soldats de la Navy SEAL puissamment armés. Et la prochaine fois qu’un de nos bateaux passe par le détroit d’Ormuz, déclenchons des tirs" ». Finalement, cette idée fut refusée pour éviter d’ouvrir le feu sur des soldats états-uniens. Les autres scénarios de provocation auraient aussi été laissés de côté. [7]
Qu’en pensent les mouvements antiguerres ?
Nous avons posé la question à cinq membres de la Coalition de Québec pour la paix, dont je suis membre. Comme bon nombre de gens, ces citoyens et citoyennes se disent que « les États-Unis ne seront pas assez fous pour attaquer l’Iran : ils n’ont pas les moyens ». Tout en constatant que l’Iran est encerclé de bases occidentales, la Coalition trouve que la guerre est improbable. D’autres considèrent que « si les politiciens états-uniens dérapent vers un tel conflit, il y aura un effet positif : à travers le monde, dont aux États-Unis, le pouvoir des politiciens néo-conservateurs va chuter radicalement ». Cette coalition ne fait pas d’action ni de communication concernant ce sujet, mais estime qu’elle va réagir s’il y a une offensive.
Une recherche analyse rapide suffit pour découvrir que les mouvements antiguerres au Canada et aux États-Unis ne mènent pas d’action organisée sur la question. L’Alliance canadienne pour la paix a néanmoins lancé une déclaration en février 2006 appelant le gouvernement du Canada à s’opposer à toute action militaire contre l’Iran et à chercher une solution diplomatique. Un des très rares mouvements actifs pour prévenir cette guerre potentielle est la Campagne contre les Sanctions et l’Intervention Militaire en Iran (www.campaigniran.org), un groupe international de citoyens fondé à Londres.
Pour sa part, Scott Ritter, un ancien inspecteur d’arme de l’ONU en Irak, prend les risques d’une attaque très au sérieux. Il écrit : « Un jour, dans un futur pas très lointain, les Américains vont s’éveiller à la réalité que des forces militaires sont en train d’ouvrir le feu dans une guerre avec l’Iran. Plusieurs vont se gratter la tête et se demander "Comment cela a-t-il pu se passer ?" La réponse est simple : nous l’avons tous laissé passer. Nous sommes en guerre maintenant. C’est seulement que nous n’avons pas le courage moral de l’avouer ».
Plusieurs déclencheurs sont possibles : un vote en faveur du blocus proposé au Congrès, une attaque israélienne ou un ordre présidentiel comme le souhaitent certains. Un blocus et des bombardements de l’Iran semblent bien irrationnels et improbables, surtout avec la résistance du Pentagone, mais cela n’a pas empêché l’invasion et l’occupation de l’Irak.
Michaël Lessard, collaboration spéciale
L’auteur est détenteur d’une Maîtrise en Relations internationales et se spécialisait sur la crise irakienne avant l’invasion. www.siriel.info
Caricature : Jose Mercader