Le constat est clair : sauf de rares exceptions, on ne meurt plus d’une infection à VIH en Occident et, particulièrement, en Amérique du Nord. Les traitements actuels permettent aux personnes vivant avec le VIH-sida (PVVIH) de vivre beaucoup plus longtemps et quasi normalement. Alors, quels sont les enjeux pour les personnes séropositives et pour la prévention ? Que nous réserve l’avenir rapproché ? C’est ce que nous avons demandé à deux spécialistes qui œuvrent auprès des séropositifs, soit les Drs Réjean Thomas, le cofondateur et président de la Clinique médicale l’Actuel, et Jean-Guy Baril, un des cofondateurs de la Clinique médicale du Quartier Latin.
Quels sont, selon vous, les enjeux actuels pour ceux qui vivent avec le VIH étant donné l’avancement fulgurant de la science depuis le début de la trithérapie en 1995 ?
Dr Réjean Thomas : Il y a d’abord l’enjeu du vieillissement de la population des personnes vivant avec le VIH. En soit, ceci est une bonne nouvelle, car nos patients vivent plus longtemps et vieillissent. L’espérance de vie d’une personne séropositive se rapproche d’une personne non VIH. C’est un succès incroyable. Mais ceci signifie deux choses. D’une part, ils sont confrontés au vieillissement normal de la population générale et, parfois, ils peuvent subir certaines comorbidités plus fréquentes chez les patients vivant avec le VIH notamment, le diabète, les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose, le vieillissement neurocognitif et certains cancers. D’autre part, ces patients utilisent de nombreux médicaments tant pour le VIH que pour les comorbidités qui peuvent entraîner des effets secondaires.
Dr Jean-Guy Baril : On peut se réjouir du progrès parcouru depuis les débuts de la trithérapie en 1995. Les enjeux qui étaient en 1995 de survivre à la maladie et aux effets secondaires des premières trithérapies ont complètement changé. Les nouveaux traitements causent peu d’effets secondaires. Ils ne causent plus les déformations corporelles comme la lipodystrophie. Ils ont une efficacité élevée et sont faciles à prendre dans la plupart des cas.
Pour les personnes qui ne sont pas porteuses d’un virus résistant, il existe maintenant au moins 5 choix de trithérapies différentes administrées en un seul comprimé une fois par jour. On a, de plus, démontré que les personnes traitées tôt reconstituent leur système immunitaire et qu’elles auront probablement une espérance de vie quasiment normale.Le traitement qui rend la charge virale indétectable rend aussi la personne vivant avec le VIH beaucoup moins contagieuse pour ses partenaires sexuels.
Si la charge virale est indétectable, le risque de transmission du virus est considéré négligeable ou très faible dans un couple sérodifférent stable même lors des relations anales ou vaginales non protégées. Il faut cependant que certaines conditions soient respectées. Beaucoup de progrès ont été réalisés dans les dernières années.
Comme on ne meurt presque plus de l’infection à VIH, on vieillit avec le VIH. Les nouveaux enjeux se situent davantage au niveau du vieillissement. À Montréal, l’âge moyen des personnes vivant avec le VIH dépasse maintenant 50 ans. Une recherche montréalaise d’envergure étudie le processus du vieillissement chez les personnes vivant avec le VIH en comparaison avec les personnes non atteintes. On cherche à comprendre si le vieillissement est accéléré en présence de l’infection à VIH. Certaines données donnent à penser que les maladies cardiaques et rénales sont plus fréquentes. Il est très important de comprendre ces processus. Comme toute autre personne qui prend de l’âge, on peut influencer son état de santé à long terme en ne fumant pas, en mangeant sainement et en faisant de l’exercice. D’ailleurs, une personne qui a une infection au VIH traitée et qui ne fume pas pourrait avoir une espérance de vie supérieure à celle d’un fumeur qui n’a pas le VIH.
Quels sont les enjeux de la prévention à l’heure actuelle ?
Dr Réjean Thomas : La problématique du VIH a considérablement évolué ces dernières années. Le nombre de comprimés a diminué, la thérapie est mieux tolérée et entraîne moins d’effets secondaires, la mortalité a également régressé de façon importante. Ainsi, le VIH se présente davantage comme un problème de santé chronique avec tous les défis que cela soulève. En particulier celui de la prévention. La population a moins peur du VIH. La jeune génération n’a pas connu le sida mortel des années 1980 et 1990. Et il n’y a plus de cours d’éducation sexuelle depuis 2003, ce qui ne contribue certainement pas à la sensibilisation face au VIH et aux autres ITSS (infections transmissibles par le sexe et par le sang). À ceci s’ajoutent les défis de la prévention combinée et de la PREP (Prophylaxie préexposition). Il y encore beaucoup trop de tabous avec la PREP c’est pourtant un traitement très efficace, pris une fois par jour qui réduit le risque de contracter le VIH de 92 %. Néanmoins, il faut se souvenir que le VIH est l’enjeu de santé le plus important chez les hommes gais et que l’adage « Mieux vaut prévenir que guérir » demeure toujours d’actualité.
L’enjeu de prévention le plus crucial actuellement est lié à l’utilisation abusive de drogues dites « récréatives », celles-ci étant souvent banalisées. L’épidémie de crystal meth dans la communauté gaie me préoccupe grandement. Cela crée des impacts sur la désinhibition et sur la santé mentale. Il ne faut pas sous-estimer les problématiques de dépression, de stress et d’isolement qui ont toutes des conséquences sur la prévention. L’usage de drogues augmente leurs impacts sur ces problématiques.
Dr Jean-Guy Baril : On a longtemps basé la prévention de la transmission du VIH sur l’usage du condom. Malheureusement, pour diverses raisons, on a constaté un échec relatif de cette stratégie. Ce n’est pas que les condoms ne sont pas efficaces, mais plutôt qu’ils ne sont pas utilisés systématiquement dans la communauté. De nouvelles méthodes de prévention dites « bio médicales » sont disponibles. Elles sont basées sur l’usage de médicaments. Trois stratégies existent : le traitement pour la prévention, la PREP et la PPE.
Le traitement pour la prévention Le traitement pour la prévention consiste à traiter le plus grand nombre de personnes infectées par le VIH. Le traitement des personnes vivant avec le VIH rend la charge virale indétectable et réduit considérablement la transmission du VIH. Traiter le plus grand nombre de personnes possible pourrait ainsi contrôler l’épidémie. De plus, on a prouvé que plus le traitement est précoce, mieux on préserve la santé (du patient). Les bénéfices du traitement concernent donc autant la personne traitée que ses partenaires sexuels. Cependant, on estime que près de 20 % des personnes vivant avec le VIH ne connaissement pas leur statut. Sans le savoir, ces personnes sont celles qui transmettent le virus. Si on veut traiter tout le monde, il faudra investir davantage dans le dépistage et rejoindre les personnes qui n’ont pas tendance à se faire dépister.
La PREP Un autre moyen de se protéger est la prophylaxie préexposition (PREP). Ce traitement s’adresse aux personnes qui ne sont pas infectées par le VIH. Il consiste en l’administration orale continue du médicament Truvada qui, lorsque pris quotidiennement par une personne non infectée, diminue considérablement son risque d’acquérir une infection à VIH. On a observé des efficacités à plus de 85 % chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes avec cette stratégie. Il faut cependant être fidèle à ce traitement pour qu’il soit efficace. Une forme allégée de PREP a aussi été testée en Europe et à Montréal. Il s’agit de la PREP « intermittente » qui consiste à prendre le Truvada seulement lors des relations sexuelles (2 comprimées dans les deux heures avant la relation et un comprimé chaque 24 heures pour les 2 jours suivants). Cette stratégie démontre aussi une efficacité de plus de 85 % pour se protéger de l’infection à VIH.
La PPE Une autre option est la prophylaxie post-exposition (PPE) qui consiste à prendre une trithérapie durant 28 jours si on a une exposition significative au VIH. Elle doit être débutée le plus tôt possible après une exposition. Ceci est une solution pour ceux qui ont eu un accident de parcours sans être auparavant sur la PREP.
Toutes ces stratégies, si elles sont utilisées par la communauté, contribueront sûrement à réduire le nombre de nouveaux cas de VIH. On observe cependant que le relâchement dans l’utilisation du condom associé à ces nouvelles stratégies de prévention amène une augmentation des autres ITSS (infections transmissibles par le sexe et par le sang) comme la gonorrhée, la chlamydia et la syphilis.
Pour ceux qui ont de la difficultéà être fidèles à leurs traitements, est-ce que la prise de médicament espacée peut être une solution pour ces gens-là et est-ce que l’efficacité du traitement sera aussi optimale que de prendre une médication chaque jour et maintiendra une charge virale indétectable ?
Dr Réjean Thomas : Des recherches sont en cours qui, espérons-le, amèneront des résultats probants pour des traitements plus simples comme une injection intramusculaire par mois ou un comprimé par semaine. Mais j’aimerais rappeler que ceux qui ont connu le sida des années 1980, alors qu’il n’y avait pas de traitements et que la mort était l’issue ou ceux qui ont connu les traitements en 1996 à raison de 20 à 30 pilules par jour, vous diront qu’un seul comprimé par jour, ce n’est déjà pas si mal. Surtout avec des traitements ayant moins d’effets secon-daires comme la lipodystrophie, entre autres.
Dr Jean-Guy Baril : Des études sont en cours sur l’administration de thérapie antirétrovirale par injection une fois par mois. À ce jour, ces options semblent démontrer une excellente efficacité, comparable à celle de la prise quotidienne de médicaments oraux. Pour ceux qui ont de la difficulté avec la prise orale assidue de médicaments, cela représente une option intéressante même si elle implique une visite à la clinique une fois par mois pour l’injection intra musculaire. L’avenir nous dira si ces traitements sont efficaces et sécuritaires à long terme. Un nouveau médicament oral avec une durée d’action prolongée jusqu’à 7 jours est aussi en cours de développement. L’efficacité de ce médicament peut aussi durer jusqu’à 6 mois lorsqu’il est donné en injection chez l’animal. Comme la trithérapie nécessite plusieurs médicaments, il faudra trouver des médicaments « compagnons » avec une aussi longue durée d’action pour constituer une réelle thérapie efficace à long terme. Ces nouvelles options sont aussi testées comme outils pour la PREP ce qui rendra possiblement encore plus facile la prévention de l‘infection à VIH.
Dr Réjean Thomas : J’aimerais rajouter qu’un des enjeux majeurs de la prévention demeure la STIGMATISATION et la CRIMINALISATION des personnes vivant avec le VIH. Ces faits de société font en sorte que trop de gais résistent à passer un test de dépistage ou refusent de prendre la trithérapie. Mettre sa vie en danger, et parfois celle des autres, à cause de ça est une situation qui est triste…
André-Constantin Passiour