tiré du site mediapart.fr | 5 décembre 2016
Alexander Van der Bellen a été élu dimanche soir président de la République d’Autriche, avec plus de 53 % des voix, contre Norbert Hofer. Alors que l’écart n’avait été que de quelque 30 000 voix le 22 mai entre le candidat des Verts et celui de l’extrême droite, la répétition de ce deuxième tour en raison d’un vice de procédure a creusé l’amplitude et assuré une victoire confortable à Van der Bellen. Entretien avec Alef Korun, députée des Verts d’origine turque, qui s’est activement engagée dans la campagne.
Que signifie pour vous ce résultat ?
Alef Korun : C’est un succès énorme de la société civile. La réussite de Van der Bellen résulte de la mobilisation de milliers de citoyens aux origines sociales diverses, venant de différents horizons professionnels et proches de différents partis politiques. Après le Brexit et l’élection de Trump aux États-Unis, les électeurs ont fait le choix d’un candidat fiable, qui respecte les gens, y compris ceux qui défendent des idées différentes des siennes. Le rôle du Brexit a été particulièrement important : les Autrichiens ont pris conscience de ce qui pouvait se passer quand les nationalistes essayent de détruire l’Union européenne (UE). Ils ont donc voté pour une Autriche forte dans l’UE, pour un pays ouvert sur ses voisins, contre la fermeture. Et le profil sérieux d’Alexander Van der Bellen l’a emporté, face à Nobert Hofer dont le masque est tombé à plusieurs reprises pendant la campagne.
Le candidat de l’extrême droite a en effet commis plusieurs erreurs. Alors que beaucoup avaient cru à son visage « sympathique » et à ses allures de « gentleman » pendant la première campagne au printemps, il a bien insisté pendant cette deuxième campagne sur le fait qu’il représentait « à 100 % » le FPÖ [le parti libéral d’Autriche, extrême droite – ndlr]. Il disait que rien ni personne n’allait l’arrêter. Sur les migrants, son discours était d’une intolérance maximale : il voulait expulser l’ensemble des immigrés en Autriche. Il ne s’agissait même plus de coupables d’actes criminels, mais des migrants tout court. Cet agenda raciste – sans jamais utiliser le mot racisme – est une des raisons de son échec.
Enfin, je crois que les électeurs ne voulaient pas tout chambouler. Ils voulaient un changement, mais pas détruire la république ! Dans ce contexte, Van der Bellen incarnait la stabilité, y compris pour des électeurs qui n’étaient pas de son bord.
Quelle leçon tirez-vous de cette campagne ?
Je me suis beaucoup investie dans cette campagne, j’ai donc eu l’occasion de discuter avec des gens très différents qui ne sont pas des électeurs traditionnels des Verts, comme les retraités. J’ai pu voir de très nombreuses personnes s’emparer de cette deuxième campagne, beaucoup plus que la première, en distribuant des tracts notamment. On dit en Europe que les gens sont frustrés, déçus de la politique… Eh bien là, ce que j’ai vu, c’est le contraire : il y a de très nombreux Autrichiens qui sont prêts à prendre leurs responsabilités, à s’engager du côté pro-européen, et à se mobiliser de manière bénévole. Cette élection de Van der Bellen, ce n’est pas la victoire d’un camp politique – les Verts, ou les sociaux-démocrates – mais bien celle de tous ces citoyens qui se sont mobilisés, ensemble, pour défendre la démocratie.
J’ai entendu de nombreuses personnes, dimanche soir, dire qu’elles souhaitaient être actives en politique les prochains mois et les prochaines années. Elles voient à la fois la nécessité de prendre les choses en main mais aussi le fait qu’on peut avoir de l’influence : avec ce scrutin, nous avons envoyé un message très fort à nos voisins européens et dans le monde ! C’est très encourageant, cela montre que l’engagement politique fonctionne quand les gens sont mobilisés, à la base de la société, et pas seulement les dirigeants…
C’est aussi très instructif car avant cette élection présidentielle, les Verts ne recueillaient pas plus de 12 % des suffrages en Autriche. On nous a longtemps dit qu’un président Vert à la tête du pays était impossible…
Redire que l’UE est riche
Est-ce que l’appel de nombreux conservateurs à faire barrage à l’extrême droite n’a pas joué un rôle – une première en Autriche où il n’y a pas de tradition de « cordon sanitaire » ?
En effet, il y a eu des appels du camp conservateur à voter Alexander Van der Bellen afin de bloquer Norbert Hofer. Mais le ÖVP [parti populaire d’Autriche – ndlr] n’a pas parlé d’une seule voix. La semaine dernière, le chef du parti et le chef du groupe parlementaire s’étaient opposés de manière virulente, ce dernier étant clairement favorable à Norbert Hofer.
Ce qui a réellement joué un rôle, à mon avis, c’est l’appel de centaines de maires conservateurs à voter pour Van der Bellen. Car les maires sont beaucoup plus proches de la société, ils ont des contacts en tête-à-tête avec les citoyens, ils ont une influence, beaucoup plus que le chef de parti. Encore une fois, cela montre que lorsque la politique est pratiquée à la base, cela fonctionne. Si c’est quelque chose qui est vu comme allant du haut vers le bas de la société, cela ne marche pas.
Le poids de l’extrême droite en Autriche ne semble pas amoindri pour autant. Près de 47 % des électeurs ont tout de même voté pour Norbert Hofer…
Oui, mais si les gens votent pour l’extrême droite, c’est à cause des politiques d’austérité, c’est parce qu’ils ne savent pas s’ils seront en mesure de payer leur loyer le mois prochain pendant que les grandes entreprises font d’énormes profits… Nous avons par ailleurs une politique fiscale très problématique : il est complètement injuste d’avoir d’un côté des foyers en grande difficulté et de l’autre des entreprises qui ont tout un tas de moyens pour éviter de payer des impôts.
Si le vote d’extrême droite est si fort aujourd’hui, c’est parce que la gauche, et en particulier les sociaux-démocrates, ont arrêté de se battre pour la solidarité et la redistribution depuis la fin des années 1980. Tout comme les partis libéraux, ils ont réduit les impôts pour les plus riches.
C’est à cause de nos deux partis de gouvernement [sociaux-démocrates du SPÖ et conservateurs du ÖVP – ndlr] que l’extrême droite est montée si haut en Autriche. Pendant des années, ces deux formations ont pensé que le pays leur appartenait : elles nommaient leurs propres hommes à la tête des grandes entreprises, elles n’ont pas mené les grandes réformes nécessaires dans le système de santé et l’éducation, elles n’ont pas su améliorer la gestion de l’État… Mais nous sommes au XXIe siècle ! On ne peut plus placer quelqu’un là parce que c’est un ami, on ne peut plus fonctionner sur la distribution de privilèges. Il manque à ces deux partis une compréhension moderne de l’État.
Le résultat de l’élection montre toutefois, comme en mai dernier, un pays profondément divisé. On observe notamment, comme aux États-Unis, une fracture entre ville et campagnes. Comment vous et votre parti allez-vous vous adresser à cette population qui a voté pour l’extrême droite ?
Nous devons parler des problèmes concrets, du chômage, des politiques néolibérales. Nous devons redire que l’Union européenne est riche, et nous efforcer de mieux distribuer cette richesse, de ne laisser personne derrière. Si ces gens ont peur de l’avenir parce qu’ils voient leurs possibilités se réduire, leur pouvoir d’achat diminuer ou leurs enfants ne pas atteindre le même niveau de vie qu’eux, il faut expliquer que tout cela est dû à la question du partage des richesses en Europe et au statut accordé aux grandes entreprises. Mon expérience est que la meilleure chose est de parler en tête-à-tête avec les électeurs, on ne peut pas se contenter d’un communiqué de presse. Il faut aller voir les gens, leur montrer qu’on est UNE société, qu’on veut résoudre les problèmes ensemble, et pas les uns contre les autres.
L’élection d’Alexander Van der Bellen va-t-elle conduire à un remaniement gouvernemental ?
En Autriche nous ne sommes pas, comme en France, dans un régime présidentiel mais dans un régime parlementaire. Alexander Van der Bellen l’avait dit pendant la campagne, et il le respectera : il ne convoquera pas de nouvelles élections. Notre gouvernement [actuellement une coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates – ndlr] repose sur une majorité au parlement. Il restera inchangé jusqu’aux prochaines élections, en 2018. Alexander Van der Bellen va donc travailler avec le chancelier actuel, avec pour objectif premier de réduire le chômage dans le pays.