Tiré de Courrier international.
“Une fortune à l’ombre du général”, le titre d’El Watan, le 31 août dernier, a fait l’effet d’une petite bombe dans le pays. “Très tôt le matin, des personnes ont raflé tous les exemplaires d’El Watan au niveau des kiosques d’Alger et de plusieurs villes et localités du pays. Les lecteurs ont dû attendre jusqu’à midi pour retrouver l’intégralité de l’édition sur le site” du journal, écrit le titre dans un éditorial suscité par les polémiques consécutives à la parution de l’article. En Une, le général Ahmed Gaïd Salah, ancien chef d’État-major de l’armée et dirigeant de facto de l’État après la chute d’Abdelaziz Bouteflika, avec une enquête sur la fortune de ses enfants. Deux sujets aussi sensibles que tabous, qui ont provoqué “le buzz” dans le pays et la colère en haut lieu.
En cause, une enquête sur la fortune “colossale” amassée par Adel et Boumediene, les deux fils du général Gaïd Salah, décédé en décembre dernier. Un véritable système de corruption est dévoilé. Avec la complicité de l’ex-wali (l’équivalent d’un préfet français) d’Annaba, Mohamed El Ghazi, actuellement en prison et mis en cause dans plusieurs affaires, les frères Gaïd Salah ont réussi à acquérir plusieurs entreprises “au dinar symbolique”, écrit El Watan.
Trafic d’influence
Le journal El Watan cite notamment le rachat par Boumediene en 2013, d’une entreprise de transformation de blé dur et tendre, située à Aïn Yagout, le petit village natal de leur papa. Alors que l’entreprise n’a véritablement entamé son activité qu’en 2016, elle recevait déjà depuis trois ans “son quota de blé” de l’Office Algérien Interprofessionnel des Céréales. Aujourd’hui, la justice s’interroge sur le sort des milliers de tonnes de blé subventionné.
Le journal révèle également qu’un de leurs beaux-frères, actuellement toujours en poste à l’ambassade d’Algérie en France aurait profité de ce trafic d’influence. Ancien médecin militaire, ce dernier s’est soudainement transformé en promoteur immobilier, toujours avec la complicité de l’ex-wali d’Annaba.
Par cupidité ou par crainte de disgrâce les responsables locaux de plusieurs Wilayas ont ainsi usé de tous les moyens légaux et illégaux pour satisfaire la famille du Général, expliquent au journal des sources proches du dossier. Une affaire dont s’est saisie la justice, puisque les fils d’Ahmed Gaïd Salah font l’objet d’enquête des services de sécurité et d’une interdiction de sortie du territoire depuis la mi-août.
Atteinte à l’image de l’armée
Le sujet reste pourtant très sensible. Décédé subitement en décembre dernier alors qu’il était l’homme fort du pays, le général Gaïd Salah a régné sur l’armée pendant quinze ans. Face aux réactions, pressions et accusations “d’atteinte à l’image de l’armée” dans une période très tendue pour la liberté de la presse algérienne, El Watan a publié au lendemain de son enquête un éditorial en forme de justification :
Certains en ‘haut lieu’ nous ont reproché d’avoir mis en première page la photo de Gaïd Salah avec un titre tendancieux qui porte atteinte à l’image de l’ANP. […] Le passé du journal, son sérieux, son aura nationale et international ne devraient permettre aucune suspicion quant à une éventuelle velléité de causer un tort quelconque à l’institution militaire”
Un message, un commentaire ?