Édition du 17 décembre 2024

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La révolution égyptienne

Egypte : la journée du 14 août

Quelques jours avant ce 14 août 2013, les travailleurs de l’aciérie de Suez, qui revendiquaient leur dû depuis fin 2012, ont pris connaissance du licenciement de 12 de leurs collègues. Puis lesdites forces de sécurité ont arrêté deux de leurs représentants : Amr Yousif et Abd-al-Ra’uf. La direction de la firme, sous contrôle de l’Etat, invoquait des pertes pour ne pas satisfaire les revendications des ouvriers. Pourtant, elle avait fait don d’une somme importante afin de payer la dette publique (d’origine en partie privée ou semi-privée) de l’Etat égyptien. Le ministre du Travail, Kamal Abou Aita, n’a pas manifesté un empressement pour condamner cette atteinte aux droits des salarié·e·s. Le président Adly Mansour, le Premier ministre Hazem Beblawi et, au centre, le général et ministre de la Défense Abdel Fattah al-Sissi indiquaient, de la sorte, le contenu effectif de leur politique : remplacer toute politique en faveur des droits démocratiques et sociaux (telle qu’une majorité populaire le demandait le 30 juin 2013) par « une guerre contre les terroristes » (pour reprendre les termes de la police) : en l’occurrence les Frères musulmans (FM).

Le 13 août 2013, les forces de sécurité insistaient déjà sur les affrontements très durs entre « les partisans de Morsi » et leurs opposants. Le 14 août, dès 5 heures du matin, la police a commencé à tirer avec des gaz lacrymogènes très forts sur une des deux positions occupées par les pro-Morsi. Les trains sont bloqués pour empêcher des manifestations en dehors du Caire. Aux alentours de 12h30, le 14 août, le Ministère de la santé égyptien annonce que l’intervention des forces policières – l’armée donne l’impression de n’être pas au premier rang – a fait 149 morts dans tout le pays. Sur la seule place Rabaa al-Adawiya du Caire, épicentre de la mobilisation des pro-Morsi, un journaliste de l’AFP a dénombré les corps de 124 manifestants. Les tirs à balles réelles sont relevés. La tête et la poitrine servent de « cibles ». Il y a au moins, selon des sources convergentes, 35 morts dans la province de Fayoum, au sud du Caire. Le nombre effectif de morts et de blessés dépassera de beaucoup ces chiffres officiels.

Un peu plus tard que 14 heures, ce 14 août, est déclaré l’état d’urgence pour un mois et le couvre-feu est instauré au Caire et dans onze provinces. Les deux ne serviront pas qu’à réprimer les FM, mais aussi les futures grèves et autres manifestations.

A 18 heures, un responsable de la sécurité affirme que la place Rabaa al-Adawiya est « totalement sous contrôle ». Une formule conventionnelle dans ce genre de situation et révélatrice des incertitudes. Durant l’allocution télévisée, ce soir, Hazem Beblawi a remercié la police « pour avoir agi avec la plus grande retenue ». Une autre note à la tonalité caractéristique. En outre, le Premier ministre n’a pas manqué d’insister sur un fait : « Aucun Etat qui se respecte n’aurait pu tolérer » de telles occupations de place. Ce ne sont pas les ministres de l’Intérieur de Rajoy dans l’Etat espagnol ou de Samaras en Grèce qui vont le contredire. Le Premier ministre égyptien prépare le futur immédiat.

Au milieu de l’après-midi du 14 août, Mohammed El-Baradei, vice-président, donna sa démission du gouvernement : « Il m’est devenu difficile de continuer à assumer la responsabilité de décisions avec lesquelles je ne suis pas d’accord », écrit-il, après avoir couvert l’opération poltico-sécutitaire de Sissi.

La possibilité d’affrontements durs, localisés dans le pays et durant une certaine période, est loin d’être impossible. Lorsque les FM (ou des forces assimilées à ces derniers) seront réprimés avec violence, en cas de résistance minimale, cela suscitera des ripostes de groupes déterminés ; les armes ne manquant pas en Egypte. En outre, la réalité sociale et politique des FM – d’autant plus étant donné leur position de force visée par une répression qui a marqué toute leur histoire – ne peut et ne doit pas être sous-estimée.

Or, actuellement, l’armée a, plus ouvertement que jamais, en main le pilotage du pays. C’est ce que craignent les puissances « occidentales ». L’armée se trouve devant trois difficultés (au moins). Celle de contrôler au plan sécuritaire la situation à l’échelle du pays – quitte à déclarer, demain, que la police « a commis des excès » – dans une situation de bipolarisation politique biaisée, largement construite par elle et qui pave le chemin à des affrontements dits confessionnels. Les attaques contre les Coptes, par exemple à Sohag, l’indiquent. Celle de chercher un « compromis », comme ses tuteurs occidentaux le lui demandent, après les échecs de toutes les médiations. En particulier celle du grand cheikh d’Al-Azhar qui a tenté de réunir pour discuter, avant ce 14 août, le gouvernement intérimaire, les militaires et les FM. Ces derniers ont décliné l’invitation d’une personnalité qui avait condamné leur politique gouvernementale. Celle de répondre aux exigences sociales et démocratiques, même si un secteur de la population semble avoir donné à Sissi, pour l’heure, le mandat de mettre « hors jeu » les FM. A cela s’ajoute le procès, à venir, de Morsi, qui a été repoussé, aujourd’hui, de 15 jours. Optimiste la « justice » égyptienne ! Ne doit-elle pas « régler » de nombreux procès (Moubarak et les siens, Morsi et les siens)… et tous ceux qu’elle a oubliés : ceux des membres des forces qui ont tué les martyrs de la révolution de 2011 ?

Ces trois défis pourraient, en cas d’échecs (programmés), ouvrir une phase où la véritable veine démocratique et sociale de la révolution s’exprimerait avec force. Rien n’est certain. Cela va de soi. Mais c’est cette crainte qui anime les chancelleries occidentales qui ne sont pas très sensibles aux « valeurs démocratiques et sociales », comme leurs pratiques le démontrent tous les jours, par exemple en Grèce, un « laboratoire » qui est un des centres de préoccupation de l’Union européenne.

Tous les représentants « occidentaux » vont donc insister pour que la façade civile du gouvernement soit repeinte. Le Premier ministre, Hazem Beblawi, s’est donc engagé, aux alentours de 20 heures ce 14 août, à conduire le processus électoral à son terme, au début 2014 ! John Kerry – le secrétaire d’Etat américain, engagé dans des négociations sans issue entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien qui élargit la colonisation avec fracas, selon sa tradition lors des « négociations » – demande à l’armée (sic) d’organiser les élections et considère « lamentable » les modalités de la « dispersion » des Frères musulmans, de quoi rassurer le Premier ministre égyptien et la police. Pour l’heure nous n’insisterons pas sur les autres pièces du puzzle régional, tant elles apparaissent difficiles à réunir. Sauf pour les « spécialistes anti-impérialistes » d’un monde où tout est réglé par des « complots » (ourdis à la Maison-Blanche), complots dont la mécanique serait aussi fiable qu’une grande complication, cette montre que peu d’horlogers maîtrisent.

C.A. Udry, 14 août 2013, 21 heures

* http://alencontre.org/

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