A l’Encontre : Quelle est la situation économique de l’Ecosse après la Grande Récession de 2007 ?
L’Ecosse a été sévèrement désindustrialisée dans les années 1980, et tout particulièrement sa plus grande ville, Glasgow. Les vieilles industries lourdes, constructions métalliques, mécaniques, chantiers navals, mines, charbon, avaient essentiellement cessé d’exister à la fin des années 1980.
L’économie écossaise est désormais faite du tourisme, de l’industrie alimentaire, et l’industrie électronique, essentiellement la manufacture des jeux vidéos.
Le plus grand employeur, c’est le secteur public, celui du gouvernement écossais comme celui du gouvernement central de Londres. Rien que le Service national de la santé (National Health Service/NHS), c’est en Ecosse 150’000 salariés, infirmières et infirmiers, médecins, personnels administratifs, etc.
L’économie écossaise n’est en général pas très différente de celle du reste du Royaume-Uni. L’Ecosse a probablement un PIB et un taux d’emploi plus élevé que la plupart des régions d’Angleterre, sauf la région de Londres.
Aberdeen, au Nord-Est, la troisième ville écossaise après Glasgow et Edinbourg, est la place économique écossaise la plus riche, principalement de par le pétrole de la Mer du Nord, mais aussi pour ses industries et la banque.
La récession de 2007 a été très dure en Ecosse comme ailleurs, sans différence significative avec l’Angleterre.
Les deux grandes banques écossaises, Royal Bank of Scotland et Clydesdale Bank, ont coulé et ont été renflouées par le gouvernement de Londres. Mais si ces deux banques ont leur siège central à Glasgow pour des raisons historiques et sentimentales, elles ne sont pas des banques écossaises, ni par leurs dirigeants ni par leur capital. Ce sont des banques internationales et si l’Ecosse devenait indépendante, elles transféreraient leurs sièges à Londres parce que la plus grande partie de leurs affaires sont en Angleterre et dans le reste du monde.
Elles impriment, certes, les Livres sterling écossaises mais par l’Acte d’Union de 1707 toutes les banques écossaises reçurent le droit d’imprimer des billets de banque équivalents à ceux de la Banque d’Angleterre. Mais aucune des deux n’est une banque publique à la différence de la Banque d’Angleterre qui, elle, fonctionne pour tout le Royaume-Uni. Même si ce sont des Ecossais qui l’ont fondée à Londres en 1694.
En Ecosse il y a beaucoup de pauvreté, particulièrement à Glasgow. Dans certaines banlieues du Nord-Est de Glasgow il y a les plus hauts taux de mortalité, et de certaines pathologies, de toute l’Europe occidentale. L’espérance de vie des hommes n’y dépasse pas 62 ans, c’est pire qu’en Irak. C’est une pauvreté très particulière à l’Ecosse, très ancienne, qui remonte à des décennies voire des siècles. Elle semble due, entre autres, à une mauvaise alimentation et des mauvais logements. C’est une pauvreté de longue durée distincte du problème à court terme des sans-logis. Les programmes publics peinent à produire des améliorations. Cette pauvreté, appelée par les épidémiologistes l’effet de Glasgow, s’est aggravée dans les années 1950 et elle a été démultipliée par la désindustrialisation brutale des années 1980 accélérée par le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher. On retrouve cette sorte de pauvreté à Dundee, l’autre grande ville désindustrialisée.
Aberdeen est différente, avec un bas taux de chômage. Beaucoup de régions d’Ecosse sont vraiment très riches et l’Ecosse, en termes généraux, est probablement une des régions les plus riches de la Grande Bretagne. Ce n’est pas une arrière-cour frappée de pauvreté comme l’est le Nord de l’Angleterre.
Et qu’en est-il des dépenses publiques ?
Neil Davidson : Il y a eu des coupes sévères dans le budget du Welfare, la Social Security (le terme anglais bien être désigne ce que nous appelons la sécurité sociale, l’assurance chômage, invalidité, l’aide sociale, l’aide aux orphelins, l’assurance maladie et accidents, etc.) Le Welfare échappe aux compétences du parlement écossais. La dévolution a confié au parlement écossais le Service national de la santé (National Health Service/NHS), la police, les routes, l’agriculture, la pêche, les forêts, la justice, et l’éducation. Mais pas la défense, la sécurité sociale, l’énergie, les télécommunications, ni la plupart des impôts qui sont gérés depuis Londres.
Le parlement écossais, avec les votes du SNP et du Labour, a voté des mesures pour neutraliser en Ecosse les mesures anti-sociales les plus dures décidées à Londres. En particulier la fameuse « taxe sur les chambres à coucher » (Bedroom Tax). 15 millions £ ont été destinés à dédommager les 76’000 foyers écossais, locataires de leurs appartements, frappés par la Bedroom Tax.
Qu’est-ce que la Bedroom Tax ?
Si vous bénéficiez d’une prestation du Welfare et que votre logis a plus de chambres à coucher que vous n’en avez besoin, soit vous devez déménager soit on vous coupe une partie des prestations. Comme il n’y a guère de maisons vers lesquelles les gens pourraient déménager, cette mesure a essentiellement diminué les prestations que touchent les foyers les plus pauvres. C’est une mesure très oppressive qui a suscité une forte résistance. Elle frappe des gens qui ont passé toute leur vie dans un logis, à un endroit où vivent leurs amis, parce qu’ils ont une chambre supplémentaire où dorment leurs enfants à l’université quand ils reviennent pour les vacances, ou les soldats quand ils rentrent de l’armée.
Du point de vue de la classe ouvrière, en quoi l’Ecosse est-elle différente de l’Angleterre ?
Pour commencer, le Parti conservateur est en Ecosse un parti minoritaire, environ 12% des voix, alors qu’il avait été majoritaire en 1950 avec 51%. Il n’y a aujourd’hui plus qu’un seul député conservateur dans le parlement écossais.
Cela affaiblit-il la mise en œuvre du néolibéralisme ?
Je ferais la distinction entre le néolibéralisme doctrinaire et radical à la Thatcher et le social-libéralisme. Aujourd’hui dans une certaine mesure tout le monde en Ecosse est social-libéral, c’est-à-dire principalement le SNP et le Labour. Favorables aux marchés en tout mais fortement antiraciste, anti-sexiste, pour les droits des homosexuels – le mariage homosexuel est une réalité –, pour les droits des immigrés. C’est des différences notables avec la tonalité du gouvernement conservateur de Londres et en particulier de son discours anti-immigrés hystérique. Le gouvernement écossais du SNP a le mérite, il faut le reconnaître, de déclarer à tout propos que les immigrés sont bienvenus et de réaliser des choses positives pour leur intégration.
Il y a une sorte de décalage du discours qui, ici en Ecosse, est différent. Le SNP a promis de défendre toutes les réformes des gouvernements précédents. En Ecosse, à la différence de l’Angleterre, les soins sont gratuits pour les vieux, les étudiants (ceux qui sont habitants de l’Ecosse pour le moins) ne paient pas d’écolages alors qu’en Angleterre ils sont très élevés et de plus en plus plongent les diplômés dans les dettes pour toute leur vie. Les médicaments sur ordonnances médicales sont gratuits. Ce sont des différences significatives. Le NHS est géré ici d’une manière différente, sa privatisation et sa marketization (soumission aux lois du marché) a à peine eu lieu en Ecosse.
Dans sa campagne pour le NON à l’indépendance, le Labour dit que rien de tout cela ne va se perdre car ce sont des compétences dévolues au parlement écossais. Mais c’est naïf, ou malhonnête, car c’est Londres qui détient le robinet des fonds et si Londres coupe dans le budget écossais…
Les écoles sont de la compétence du gouvernement écossais et l’Ecosse a été épargnée par la privatisation sauvage de l’enseignement qui a transformé les écoles anglaises en un désordre chaotique complet. C’est l’œuvre du secrétaire d’Etat pour l’Education du cabinet de David Cameron, de 2010 au 15 juillet dernier, Michael Gove qui est un idéologue de la privatisation de l’école, un écossais d’ailleurs.
Dans votre article vous parlez des academies et free schools en Angleterre…
Les academies et les free schools sont des écoles publiques, financées par le budget public mais qui ont été enlevées aux conseils locaux (municipalités et comtés) afin qu’elles se gouvernent elles-mêmes en concluant avec le ministère un accord de projet leur laissant le choix des programmes et des moyens d’enseignement. Il y a une certaine régulation par l’Etat mais le gouvernement local élu n’a plus rien à dire : On a donc vu les écoles publiques devenir des écoles religieuses, chrétiennes, musulmanes à certains endroits, ou juives, ou commerciales, ou d’un sponsor capitaliste ou d’un autre. Les écoles, que les collectivités locales avaient l’habitude de gérer, ont été mises en concurrence les unes avec les autres, à qui attirerait le plus de parents.
En Ecosse, rien de tout cela. Il y a bien une vieille tradition minoritaire d’écoles privées, essentiellement les écoles catholiques (pour la forte minorité d’origine irlandaise), mais fondamentalement en Ecosse, vous envoyez votre enfant à l’école publique de votre quartier. Dans l’ensemble, les collectivités locales continuent de gérer les écoles et c’est donc un système scolaire beaucoup plus centralisé qu’en Angleterre, centralisé sous la direction du ministère écossais de l’instruction publique.
Des milieux patronaux, ou la presse de Rupert Murdoch, n’ont-ils pas dénoncé l’Ecosse comme une exception communiste ?
Oui, il y a eu un peu de cela il y a quelques années mais il y a en Ecosse une forte tradition de communauté politique réunissant bourgeoisie et classe ouvrière. En Ecosse, la bourgeoisie est plus proche de la classe ouvrière.
Non pas plus en accord ! En Ecosse, la lutte des classes a toujours été très dure, mais mélangés dans le même quartier, la même paroisse, la même petite ville, les mêmes associations, clubs sportifs et sociétés folkloriques. En Ecosse, la classe ouvrière représente un plus fort pourcentage de la population, et une grande partie de la bourgeoisie est liée au secteur public : administrateurs et médecins du NHS, professeurs d’Universités, pasteurs de l’Eglise d’Ecosse,…
Les universités écossaises sont formellement des fondations charitables mais en fait elles fonctionnent en lien avec le ministère de l’éducation écossais comme des services publics.
La rupture historique fut Margaret Thatcher qui a provoqué l’effondrement du Parti conservateur en Ecosse car elle a été perçue comme l’incarnation de la condescendance à l’égard du petit frère écossais, l’incarnation de l’ « anglitude » (britishness). Plus exactement de l’Angleterre des Middlands par opposition à Londres, le bastion historique du Labour, et la bête noire de la Thatcher
L’eau en Ecosse est toujours encore publique, alors qu’elle a été privatisée en Angleterre, l’élimination des déchets, pareil. Par contre, et comme en Angleterre, les chemins de fer et les transports par bus ont été privatisés par Thatcher et voient la concurrence entre plusieurs compagnies et c’est Virgin qui s’est approprié l’axe ferroviaire rapide Aberdeen-Londres.
Il est important de souligner que ces aspects positifs du point de vue de la classe ouvrière n’ont rien à voir avec un quelconque génie ou esprit écossais qui serait plus social. C’est le produit d’une histoire contingente qui aurait pu être différente, le produit de luttes et de rapports de forces à certains moments. Cela ne se maintiendra que par des luttes ouvrières.
Comment la gauche écossaise est-elle organisée ?
La gauche écossaise est très fragmentée. Le Labour Party est probablement plus grand que le SNP en nombre de membres inscrits et il a ce lien organique avec les syndicats. Le Labour écossais est très à droite en termes sociaux-libéraux. Il est très surveillé par les dirigeants du Scottish Trade Union Council , très bureaucratisé et formaté par la collaboration de classe traditionnelle, bien que les syndicats tendent à être un peu plus à gauche que le Labour. Le Labour peut tenir à l’occasion un discours de gauche. Il est très fort dans les collectivités locales mais le SNP n’a cessé d’y progresser. Le SNP a plus de sièges au parlement. Depuis les années 1960, le Labour représentait l’Ecosse à la Chambre des Communes à Londres. Il gouvernait alors Glasgow. Le Labour a toujours eu une gauche mais pas autant qu’à Londres. Le Labour est absolument contre l’indépendance. Pour le Labour, c’est le gouvernement de Londres qui a toujours été le foyer du changement qu’il promet à ses électeurs. La direction est absolument pour l’union des deux royaumes. Elle participe avec le parti conservateur et le parti libéral-démocrate dans la campagne Better Together (Mieux ensemble) qui s’occupe d’effrayer les électeurs en leur martelant que l’Ecosse indépendante serait plus pauvre, qu’elle ne pourrait plus appartenir à l’Union européenne ; campagne de peur appuyée par l’Union européenne et par Barack Obama.
Environ un quart des travaillistes écossais sont pour l’indépendance et il y a une campagne Labour for Independence.
Il y a en Ecosse une forte influence d’une sorte de restes du Parti communiste. Le PC a été très fort en Ecosse, comme au Pays de Galles. En fait sa direction historique était écossaise, de Glasgow plus précisément. Le Parti communiste a éclaté en deux en 1992 entre les euro-communistes et les staliniens. Les eurocommunistes ont fondé Democratic Left qui n’est pas représenté au parlement écossais, ni les staliniens non plus.
Willie Gallacher de Glasgow, syndicaliste et héros de l’opposition des ouvriers des chantiers navals de la Clyde à la Première Guerre mondiale, fut le député communiste à la Chambre des Communes à Londres, élu par la circonscription de Fife, entre Glasgow et Dundee, de 1935 à 1950, seul de 1935 à 1945, avec un autre député communiste de 1945 à 1950.
Ces « restes » du PC ont une très forte influence dans les syndicats et ils contrôlent celui des employés des services publics. Il y a une empreinte dans la gauche écossaise de comment ils organisent, leur conception des fronts populaires, comment ils argumentent.
Il y a les Verts du Scottish Green Party, qui a eu jusqu’à 7 sièges entre 2003 et 2007. A Edinbourg les Verts sont assez à gauche.
Et qu’en est-il de la gauche anticapitaliste ?
Toute la gauche radicale a été réunie entre 2000 et 2006 dans le Scottish Socialist Party. Il a eu jusqu’à 6 sièges en 2003, l’année des sommets du mouvement anti-guerre. Il a été fondé par Militant, les trotskystes entristes dans le Labour, d’abord sous la forme de la Socialist Alliance. Le SWP a été le dernier groupe important à y entrer. C’était une force sérieuse, elle avait des élus locaux, un journal, des apparitions à la TV.
Le Parti socialiste écossais a éclaté en 2006 avec la pénible affaire Tommy Sheridan, le premier député du parti dans la législature 1999-2003. Pourchassé par la presse à scandale de Rupert Murdoch, et par la police, et peut-être par les services secrets, il a cru pouvoir nier des escapades sexuelles en faisant condamner News of the World pour diffamation en 2007. Mais il s’est retrouvé condamné en 2010 à trois ans de prison pour incitation à faux témoignages et parjure. Depuis 2007, le SSP n’a plus de députés et n’a plus qu’une existence résiduelle.
Le SWP, depuis notre sortie en 2013, a beaucoup perdu à Edinbourg mais reste fort à Glasgow qui historiquement avait été un de ses bastions. Beaucoup de ses membres en sont sortis sans rester avec nous pour autant. Nous sommes un petit groupe de 35 mais collaborons avec lui. En effet, malgré la crise pénible du SWP qui nous a vus le quitter en grands nombres, sa direction ne nous attaque pas publiquement et nous collaborons beaucoup avec ses membres, en particulier dans la campagne contre l’extrême-droite.
Y a-t-il une gauche pour le NON ?
Pas vraiment ! La gauche du Parti travailliste est pour le OUI. Les restes du PC sont très vivement pour le NON.
L’apparition en 2012 de la Radical Independence Campaign en dehors de tous les partis et groupes organisés, avec 900 personnes à sa première conférence nationale, a surpris tout le monde. Elle a été fondée par des ex-membres du SSP, un dirigeant Vert et des étudiants à Glasgow. Elle réunit tout un arc depuis une gauche du SNP jusqu’à la gauche anticapitaliste en passant par les Verts et le mouvement anti-guerre et anti-nucléaire. Nous en sommes tous membres à titre individuel. A sa conférence nationale de l’année passée, elle a réuni environ 1200 personnes. C’est énorme pour un petit pays.
La RIC a établi des sections locales partout, elle est allée faire campagne dans les quartiers ouvriers, elle mène une campagne de porte à porte pour que les gens s’inscrivent sur les listes électorales. Elle est organisée démocratiquement. En introduisant dans la campagne pour l’indépendance les intérêts de la classe ouvrière : emploi, welfare, NHS, elle a déplacé à gauche les termes du débat et a galvanisé la gauche politique.
C’est un phénomène de masse qui ne se compare qu’au mouvement anti-guerre de 2003 et au mouvement contre l’impôt de capitation (Poll Tax) de Margaret Thatcher au début des années 1990.
La campagne sur tout cela, il faut la mener efficacement avant le vote du 18 septembre pour être dans les meilleures conditions après le vote, quel qu’en soit le résultat. Ce mouvement aura une vie après le 18 septembre même si le NON gagne. Il a mobilisé des couches nouvelles dans des débats sur une autre politique économique, écologique et socialiste, sur l’impérialisme britannique, sur la nationalisation du pétrole de la Mer du Nord, la sortie de l’OTAN, l’impôt sur la richesse et les profits capitalistes, le capitalisme, la démocratie, …
La RIC a donc d’ores et déjà convoqué une conférence nationale en novembre prochain.
Il y a là une dynamique pour un nouveau parti à gauche. Non pas que la RIC puisse devenir ce nouveau parti. Elle est clairement constituée comme un front uni réunissant diverses composantes, comme la gauche du SNP et les Verts, et beaucoup de personnes non-organisées.
Allez-vous adhérer à un nouveau parti à gauche s’il s’en crée un ces prochaines années ?
En tant qu’organisation ? Bien sûr !
Qu’est-ce que la gauche du SNP ?
Le SNP est complètement un parti petit-bourgeois. Il a été fondé en 1928 par des médecins, des pasteurs de l’Eglise d’Ecosse, des petits entrepreneurs et commerçants, tous très hostiles au mouvement ouvrier mais aussi très hostiles au grand capital identifié à Londres.
Un des fondateurs du SNP en 1928, et une de ses figures de proue dans les années 1940-1950, fut le poète Hugh MacDiarmid (1892-1978), à la fois nationaliste écossais et communiste. Diarmid a eu une trajectoire politique bizarre mais c’est un très grand poète moderniste, très aimé en Ecosse, qui écrivait aussi bien en anglais, en scots, le dialecte anglais écossais, qu’en gaélique, la langue celtique parlée dans les Hébrides.
Depuis la Dévolution en 1998, et au gouvernement écossais depuis 2011, le SNP est devenu relativement plus social-démocrate, subissant la pression du mouvement de défense du secteur public et du mouvement anti-guerre et anti-nucléaire. En 1999, le SNP a pris position contre les bombardements de la Serbie par l’OTAN.
Dans la RIC, beaucoup de personnes pensent qu’elles peuvent transformer le SNP en le poussant à gauche. Je pense qu’elles se trompent. Il y a clairement une limite à gauche qu’un parti nationaliste petit-bourgeois comme le SNP ne peut pas franchir. Mais c’est possible d’avoir un dialogue avec les membres du SNP et d’agir à leur côté.
C’est plus facile qu’avec les Libéraux-Démocrates. Historiquement, le parti libéral a été le parti bourgeois dominant en Ecosse, depuis 1832. Le Labour est issu des rangs du parti libéral dans les années 1880-1890. En 1981, une droite du Labour a scissionné et a fusionné avec le Parti libéral pour former le Parti libéral-démocrate. En Ecosse, il y a eu une coalition formelle des Lib-Dem et du Labour au gouvernement écossais de 1999 à 2011.
En s’alliant à David Cameron à Londres pour donner une majorité parlementaire au gouvernement conservateur en 2010, les Lib-Dem se sont suicidés, en tout cas en Ecosse. Pour eux c’est très difficile de renaître. En Ecosse, leurs membres dégoûtés ont rejoint le SNP ou le Labour, surtout le SNP. En Ecosse, seuls le SNP et le Labour peuvent former un gouvernement.
Sur quel programme faites-vous campagne pour le OUI ?
En tant que socialistes révolutionnaires et non nationalistes, nous sommes confrontés à un choix entre le NON et le OUI dont nous n’avons pas choisi les termes. Entre une indépendance voulue par le SNP et l’Etat de la grande puissance impérialiste britannique. Le choix peut nous paraître une diversion des tâches urgentes de lutte contre l’austérité et de solidarité avec les opprimés. Mais nous sommes rarement gratifiés du luxe de pouvoir choisir le terrain sur lequel nous avons à combattre.
Notre choix est donc essentiellement de tactique et non de principes. Pourrons-nous mieux construire une gauche anti-capitaliste, socialiste-révolutionnaire, après une victoire du NON ou une victoire du OUI ? Dans une campagne pour le OUI ou pour le NON ?
Puisque la campagne pour le NON s’est calée sur la britishness la plus réactionnaire, en battant le rappel des valeurs conservatrices et impérialistes, notre choix est assez simple. On nous reproche de nous allier au nationalisme écossais, mais on oublie qu’il y a un nationalisme britannique, un nationalisme de la grande puissance impériale, qui a été imposé aux ouvriers écossais le 5 août 1914 ; le nationalisme de celles de ceux qui se sont opposés à nous quand nous avons exigé, et obtenu, que les festivités en Ecosse du centenaire de l’éclatement de la Première Guerre mondiale n’honorent pas seulement ceux qui se sont portés volontaires, ceux qui sont morts ou sont revenus blessés et invalides, mais aussi ceux qui se sont portés objecteurs de conscience, ont fait grève, ont été mis en prison, ont déserté, se sont mutinés et ont été fusillés ; ceux qui à la Noël 1914 ont fraternisé pendant quelques heures avec les soldats allemands en reprenant à la cornemuse le Oh Douce Nuit venu des tranchées allemandes.
Il y a ensuite une raison anti-impérialiste très concrètement écossaise. Tout près de Glasgow, dans l’estuaire de la Clyde, dans Loch Gare et Loch Long, se trouve la principale base de sous-marins lance-missiles stratégiques nucléaires d’Europe, la base de Faslane et Colport. Encore et encore, tant de fois depuis un demi-siècle, elle a été assiégée, et les sous-marins tachés de peinture, par les manifestants anti-nucléaires et anti-guerre qui s’affrontaient à la police.
Tommie Sheridan s’est rendu célèbre en 2000 et 2002 en faisant de la prison pour cela, condamné pour émeute.
De 1960 à 1991, c’était une base de la US Navy. C’est maintenant une base de la Royal Navy, le port de ses quatre sous-marins nucléaires lance-missiles, aux noms agressifs comme il se doit : HMS Vanguard, HMS Victorious, HMS Vigilant, HMS Vengeance. Mais comme les sous-marins britanniques portent des missiles Trident II de Lockheed, fournis par les Etats-Unis, à 48 têtes nucléaires chacun, le Pentagone garde un contrôle particulier sur ces navires britanniques, et pas seulement au travers des organes de l’OTAN.
Dans le programme du SNP, il y a la dénucléarisation du territoire écossais. Face aux cris d’orfraie de Londres et de Washington, le SNP affirme vouloir être un membre non-nucléaire de l’OTAN, comme l’Irlande.
Mais l’Irlande n’est pas membre de l’OTAN.
Certes, mais l’Irlande fonctionne pour l’OTAN qui utilise ses ports et aérodromes.
Nous faisons donc campagne pour une Ecosse indépendante non-membre de l’OTAN et pas docile comme l’Irlande. Et le OUI est donc une possibilité de casser un bout de l’Etat impérialiste britannique.
La perte de la base de Faslane préoccupe réellement la classe dominante britannique qui se fait du souci pour une victoire du OUI. Déplacer la base nucléaire ailleurs est difficile, prendra du temps et coûtera cher. Où trouver ailleurs dans les Iles britanniques qu’en Ecosse un estuaire abrité mais en eau profonde ?
Dans les journaux qui servent à la classe dominante britannique à réfléchir et débattre en son sein, le Daily Telegraph ou le Spectator, on peut lire toutes ces préoccupations. C’est aussi pourquoi le président Obama intervient si ouvertement pour le NON en Ecosse.
Paradoxalement, c’est un secteur de l’armée qui fait entendre une voix discordante, signalant que les fusées Trident sont vieilles, ne correspondent plus aux réalités stratégiques d’aujourd’hui, échappent à « notre » contrôle, et coûtent un argent qui pourrait utilement être consacré à améliorer l’armée pour les interventions extérieures « d’aujourd’hui ».
Pensez-donc, depuis 1914, il ne s’est pas écoulé une année sans action de guerre britannique quelque part dans le monde ; aujourd’hui en Afghanistan, entre autres.
La troisième raison est plus difficile à expliquer. Elle est, disons, démocratique.
La Dévolution en 1997 n’a pas été seulement une concession faite aux électeurs écossais. Elle était alors soutenue par bien des néolibéraux, The Economist par exemple. Elle a fait partie de toute une vague de création d’assemblées démocratiques : la nouvelle municipalité de Londres, le Parlement européen aussi, censées donner l’illusion de la démocratie alors que le néolibéralisme rétrécissait de plus en plus la marge de décision des élus. Soit que les institutions privatisées échappaient à leur compétence, soit que le vrai pouvoir était concentré dans des institutions centrales non-élues, la Commission européenne, le FMI, l’OMC,…
La nouvelle citoyenneté permettait désormais aux citoyens de choisir quels services publics seraient supprimés en premier, si la santé publique ou l’école devait être privatisée d’abord.
Si le NON l’emporte de justesse, la variante de la DévoMax (Dévolution maximum) deviendra une bonne solution pour la classe dominante britannique : accorder encore plus de compétences au parlement écossais, voire un véritable fédéralisme, pourvu que l’intégrité essentielle de l’Etat britannique soit préservé dans la défense, la diplomatie, et les décisions économiques-clés.
Aujourd’hui, le gouvernement écossais peut mettre les décisions impopulaires sur le dos de Londres, et se déresponsabiliser de la politique néo-libérale qui fait mal.
Il n’y a guère d’illusions à se faire sur les possibilités d’une Ecosse indépendante d’échapper aux contraintes du capitalisme mondial. Mais c’est la lutte pour le OUI qui incarne la volonté d’une grande masse de salariés écossais de décider vraiment démocratiquement en élisant des gouvernants qui ne pourront pas s’excuser et disant que, hélas, c’est de la compétence de Londres.
Dans les conditions actuelles, l’autogouvernement de l’Ecosse par les Ecossais ouvre un espace politique pour la gauche anticapitaliste.
Si le NON l’emporte, il y aura une crise dans le SNP car beaucoup de membres et électeurs ont avalé bien des couleuvres conservatrices pour rendre le OUI plus acceptable à l’opinion bourgeoise : conserver la monarchie, adhérer à l’OTAN, garder la livre sterling, etc.
Mais n’y a-t-il pas un groupe dominant capitaliste indigène à l’Ecosse ?
Plus vraiment. Il y avait à Glasgow une grande bourgeoisie, propriétaire des chantiers navals et de l’industrie lourde qui avaient fait sa gloire impériale. Tout cela a disparu entièrement. Ils ont vendu et sont partis.
L’industrie écossaise appartient à un petit groupe de multinationales, des Etats-Unis, ou Japonaises, ou britanniques, dont les propriétaires vivent à Londres ou à New-York, ou ailleurs.
Que l’Ecosse soit indépendante ou dans le Royaume-Uni, les multinationales s’en moquent passablement.
Il y a une classe écossaise de capitalistes petits et moyens. Elle soutient le SNP et l’indépendance. Et même des personnalités capitalistes aussi réactionnaires que Sir Brian Souter des bus Stagecoach ou Sir George Mathewson, ancien patron de la RBS, soutiennent l’indépendance.
Quelles sont les principales tâches que vous fixez à votre mouvement pour le court terme ?
Nous participons aux luttes, et en particulier à la lutte contre les fascistes de la Scottish Defense League qui descend dans les rues en chantant leur racisme, en faisant le salut nazi et en arborant le drapeau d’Aube Dorée pour attaquer des immigrés, particulièrement musulmans.
Mais en tant qu’organisation, c’est d’abord un travail de clarification politique et théorique, après notre sortie du SWP. Nous venons de publier le premier numéro de notre revue rs21.
Et de formulation de ce qu’on peut et doit faire pour attirer des gens à ne pas seulement s’engager dans des mouvements particuliers et des fronts unis mais à participer à la construction d’une organisation politique.
Neil Davidson a reçu en 2003 à Londres le Prix Isaac et Tamara Deutscher pour son livre Discovering the Scottish Revolution, 1692-1746 (Pluto Press, London 2003) – partagé avec Benno Tetschke récompensé pour son livre The Myth of 1648 : Class, Geopolitics and the Making of Modern International Relations (Verso, London, 2003). Neil Davidson enseigne l’histoire à l’Université de Glasgow.
Il a publié en 2012, chez Haymarket, How Revolutionary Were the Bourgeois Revolutions ? Neil Davidson est un des animateurs des nombreux militants qui sont sortis en 2013 du SWP et ont fondé récemment revolutionary socialism21 et, en Ecosse, International Socialists Scotland www.isscotland.org