Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les députés,
Je prends aujourd’hui lors de cette réunion historique la parole non seulement à titre symbolique mais également parce qu’il y a des raisons essentielles à cela.
D’abord et principalement pour porter hommage aux victimes de la deuxième guerre mondiale.
Et pour honorer la mémoire de tous ceux et celles qui ont donné leur vie pour la liberté de leurs pays.
Qui ont donné leur vie pour abattre le nazisme qui avait répandu sa nuée funeste sur les peuples du monde.
Je prends également la parole pour honorer les combattants de la résistance nationale grecque qui ont donné leur vie pour débarrasser notre pays de la barbarie nazie et de l’occupation.
Pour que nous ayons aujourd’hui une patrie libre et souveraine.
Certains nous disent à quoi bon vous soucier du passé ? Occupez vous plutôt de l’avenir.
Mais quel pays quel peuple peut prétendre à un avenir s’il n’honore pas son histoire et ses luttes ?
Quel peuple peut aller de l’avant en étouffant la mémoire collective sans que l’histoire reconnaisse ses combats et ses sacrifices ?
Du reste, mesdames et messieurs les députés, ce temps n’est pas si lointain.
Et sont encore brûlants dans la mémoire collective les images et les sons des tortures et des exécutions à Distomo et à Kaissariani, à Kalavryta et à Viannos.
Il est encore brûlant dans la mémoire de notre peuple le souvenir des crimes et les catastrophes provoqués par les armées du IIIe Reich d’un bout à l’autre du territoire grec et du reste de l’Europe.
Et ces souvenirs doivent être transmis aux jeunes générations.
C’est un devoir historique, politique et moral.
Non pour semer la défiance et la haine parmi les peuples mais pour qu’on se souvienne de ce que c’est que le nazisme et ce que c’est que le fascisme.
Pour que l’on se souvienne que quand la solidarité, l’amitié, la coopération et le dialogue entre les peuples cède la place aux velléités de domination et aux croyances en la fatalité historique , quand le respect cède la place à l’intolérance sociale et au racisme, la guerre et les ténèbres plantent leur drapeau noir.
L’Europe a goûté à ces ténèbres.
Elle les a vécus et elle les a détestés.
Et c’est pour cette raison que les peuples de l’Europe ont décidé ensemble, en 1957 de lancer le processus de la construction européenne pour que plus jamais ne hurlent les sirènes de la guerre.
Il nous faut également nous souvenir que le peuple allemand a lui aussi souffert de la barbarie nazie.
Et que le nazisme en Allemagne a accédé au pouvoir du fait de l’humiliation qu’avait subie précédemment le peuple allemand.
Cela naturellement ne justifie rien mais explique.
C’est la leçon du « court vingtième siècle » pour reprendre les termes de Hobsbawm.
Au sortir de la première guerre mondiale ce qui prédominait c’était la haine et la soif de la revanche.
Ce qui prédominait c’était une logique à court terme qui visait à humilier le vaincu pour ses fautes, qui visait à accabler et ruiner un peuple entier à cause de sa défaite.
Et le prix de ce choix a été plus tard le sang versé des jeunes du monde entier, y compris de l’Allemagne.
Les peuples d’ Europe et leurs gouvernants doivent se souvenir et tirer des enseignements de l’histoire contemporaine de l’Europe.
Parce que l’Europe ne doit pas, parce que l’Europe n’a pas le droit de répéter les mêmes erreurs que par le passé.
Mesdames et messieurs les députés,
On a su de fait tirer les bonnes conclusions.
L’Allemagne, en dépit des crimes du troisième Reich et des hordes hitlériennes qui ont mis le monde à feu et à sang, en dépit de l’abomination qui a constitué l’Holocauste a été aidée – et à bon droit – par toute une série des mesures.
Les plus emblématiques ont été la suppression de sa dette de la Première Guerre mondiale par la Convention de Londres en 1953, et bien sûr les énormes sommes déboursées par les Alliés pour sa reconstruction.
Cependant, la Convention de Londres reconnaît en même temps que la question des réparations allemandes pour la Seconde Guerre mondiale n’a pas été définitivement réglée en laissant à un traité de paix ultérieur le soin de résoudre ce problème. Or, ce traité de paix n’a été signé qu’en 1990, en raison de la partition de l’Allemagne.
La réunification des deux Allemagnes a créé les conditions juridiques et politiques nécessaires pour résoudre le problème, mais les gouvernements allemands qui ont succédé à partir de cette date ont choisi le silence, les subterfuges juridiques, l’ajournement et les moyens dilatoires.
Et je me demande Mesdames et Messieurs les députés :
Est-elle morale cette attitude ?
J’ai parlé des subterfuges juridiques et parce que ces questions sont vraiment critiques, je voudrais expliquer clairement ma pensée sans laisser l’ombre d’un doute.
Quand l’Allemagne accepte d’aborder la question de ses dettes à la Grèce liées à la Seconde Guerre mondiale, elle évoque un accord bilatéral de 1960 conclu de sa propre initiative avec le Royaume de Grèce qui a reçu 115 millions de Deutschemarks à titre de réparations en reconnaissant qu’il n’y aurait aucune autre revendication.
Toutefois, cet accord ne concernait pas les réparations pour les catastrophes subies par le pays mais uniquement pour les victimes du nazisme en Grèce.
Et il ne concernait en aucun cas ni le prêt forcé de l’occupation allemande [à la banque de Grèce en 1942 qui n’a jamais été remboursé] ni les demandes de réparations pour les crimes de guerre, pour l’anéantissement des infrastructures du pays et de son économie pendant la guerre et l’occupation.
Toutes ces questions, je le sais, sont extrêmement techniques et sensibles et ni le lieu ni le temps ne m’autorisent à en parler plus longuement.
Ce n’est pas moi par ailleurs, qui ferai les éclaircissements nécessaires et la préparation technique mais des spécialistes – juristes et historiens.
En revanche, je tiens à affirmer tant au peuple grec qu’au peuple allemand, que nous allons aborder le sujet avec le tact nécessaire, avec une attitude responsable et avec franchise, dans une optique de compréhension mutuelle et de dialogue.
Et nous souhaitons que le gouvernement allemand adopte la même attitude.
Pour des raisons politiques, historiques, symboliques et surtout éthiques.
Mesdames et Messieurs les députés,
Face à un ton moralisateur qui prédomine ces dernières années dans le débat public en Europe, nous ne choisissons ni la place de l’élève qui penche la tête et baisse les yeux en écoutant une leçon de morale, ni pour autant celle du professeur qui agite son doigt et admoneste le supposé pécheur en lui demandant d’expier ses fautes.
Au contraire, nous choisissons la voie de la négociation et du dialogue, de la compréhension mutuelle et de la justice.
Nous ne prétendons pas résoudre un problème de théodicée, mais nous ne renonçons pas non plus à nos revendications inaliénables.
Nous ne faisons pas de leçons de morale mais nous n’avons aucune leçon à recevoir de personne.
Parce que vous savez, ces derniers temps, en entendant un certain nombre de déclarations étrangères assez provocantes, il me vient à l’esprit le fameux passage du Sermon sur la Montagne de Jésus : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? »
Mesdames et messieurs les députés,
Madame la Présidente,
Au terme de ma brève intervention, je vous assure que le gouvernement grec va travailler sans relâche, dans l’intention d’aider à trouver une solution aux problèmes complexes auxquels l’Europe est confrontée, par un dialogue engagé sur un pied d’égalité et dans le cadre d’une négociation sincère.
Il travaillera afin d’honorer pleinement ses obligations. Mais en même temps, il travaillera pour assurer le respect de toutes les obligations non remplies envers la Grèce et son peuple.
Et comme nous nous engageons à honorer nos obligations, nous attendons la même attitude des tous les côtés.
Parce que la morale ne peut pas être à la carte. Elle ne peut pas être évoquée par intermittence. Le nouveau gouvernement grec soutiendra réellement et avec toutes ses forces, l’initiative pour la reconstitution, la reconstruction et la réhabilitation de la Commission sur les réparations allemandes pour la Grèce.
Nous la soutiendrons positivement et fortement et non pas à des simples fins de communication.
Nous sommes prêts à offrir l’assistance politique et juridique nécessaires pour assurer l’efficacité de son travail.
Pour qu’elle apporte dans le cadre de son mandat des résultats substantiels.
Pour honorer enfin ce devoir moral mais aussi matériel et historique non seulement envers le peuple grec mais aussi envers tous les peuples européens qui se sont battus, saignés pour vaincre le nazisme.
Nous le devons à notre histoire.
Nous le devons aux combattants de la Résistance Nationale.
Nous le devons aux victimes de la deuxième guerre mondiale.
Nous le devons à l’Europe et à ses peuples qui ont droit à la mémoire et à un avenir libéré de tout totalitarisme.
Je vous remercie.
Traduction :Vassiliki Papadaki
http://syriza-fr.org/2015/03/12/discours-da-tsipras-sur-les-reparations-allemandes/