Le meilleur intérêt de l’enfant, de quoi parle-t-on ?
Depuis le décès tragique d’une fillette à Granby, on a beaucoup parlé de la tension entre le meilleur intérêt de l’enfant et le principe qui veut qu’on le maintienne dans son milieu familial. Dans son document de consultation, la ministre LeBel, réaffirme, à l’instar du rapport Roy, la nécessité de préserver l’intérêt et les droits des enfants lorsqu’une union se termine. Mais de quel intérêt est-il question ? « Si les propositions soumises à la consultation visent assurément la sécurité économique des enfants lorsque leurs parents se séparent, à l’heure actuelle la notion du meilleur intérêt de l’enfant ne permet pas d’assurer la sécurité émotive, et parfois physique, des enfants exposés à la violence conjugale », souligne Chantal Arseneault.
Le Code civil du Québec (Art. 33) commande au tribunal de la famille de prendre des décisions en tenant compte du meilleur intérêt de l’enfant. Toutefois, malgré la littérature scientifique abondante sur les impacts de la violence conjugale sur les enfants et sur la poursuite de cette violence après la séparation, nombre de juges ordonnent des gardes partagées ou des modalités d’accès non supervisées, au lieu de prendre des mesures pour protéger les enfants. Et lorsque les mères réclament une meilleure protection, il est courant que juges et experts psychosociaux les soupçonnent de faire de l’aliénation parentale, ce qui risque de leur faire perdre la garde de leurs enfants. Dans un cas comme dans l’autre, ces enfants continuent d’être exposés à la violence, ce qui est bien loin de leur meilleur intérêt.
Prendre exemple sur d’autres juridictions pour définir l’intérêt de l’enfant
Depuis quelques années déjà, l’Ontario et la Colombie-Britannique ont saisi le problème et ont mieux défini le meilleur intérêt de l’enfant. Dans le projet de loi C-78 qui vise à modifier la Loi sur le divorce (actuellement à l’étude au Sénat), le législateur fédéral a, à son tour, proposé de définir de façon exhaustive le meilleur intérêt de l’enfant, en incluant parmi les critères la présence de violence conjugale et familiale. Le Barreau du Québec et maintes organisations, dont le Regroupement, ont accueilli favorablement cette mesure. « Aujourd’hui, nous demandons à la ministre de la Justice de modifier le Code civil du Québec de façon à ce que la violence conjugale et familiale soit prise en compte dans l’évaluation de l’intérêt de l’enfant » déclare Madame Arseneault. Le Regroupement propose également une série de mesures qui favoriseront sa mise en application : dévoilement de procédures criminelles ou autres à l’encontre des conjoints violents, formation des juristes, meilleur dépistage de la violence conjugale ou familiale, supervision des droits d’accès, etc.
Viser la cohérence, une occasion à saisir
La dernière grande réforme du droit de la famille a eu lieu en 1980. La ministre doit profiter de la réforme annoncée pour arrimer le droit existant aux efforts faits par le Gouvernement du Québec depuis la mise en œuvre de la Politique gouvernementale d’intervention en matière de violence conjugale Prévenir, dépister, contrer la violence conjugale (1995). Rappelons que ses principes directeurs stipulent notamment qu’il faut donner priorité à la sécurité et à la protection des femmes victimes et de leurs enfants et qu’il faut viser à atténuer les effets de la violence sur ces derniers. « À l’heure actuelle, le droit de la famille est incohérent avec les mesures de protection mises en place, il est temps d’opérer un rattrapage. La modification du Code civil que nous proposons, assorties de mesures de mises en œuvre, permettra de guider les juges et pourrait avoir un effet sur d’autres institutions comme la protection de la jeunesse », ajoute Madame Arseneault.
De par sa mission d’éducation, de sensibilisation et d’action, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale contribue à faire évoluer les lois et les politiques afin de rendre plus adéquates les mesures de protection pour les femmes et enfants victimes de violence conjugale. Dans une perspective de prévention, il déploie un éventail de stratégies pour aider tous les acteurs de la société québécoise à mieux comprendre, dépister et agir en matière de violence conjugale. En 2017-2018, ses maisons membres ont hébergé près de 2 800 femmes et plus de 2 200 enfants. Et c’est sans compter les femmes et les enfants qui ont reçu plus de 16 000 services autres que l’hébergement (consultations externes, accompagnement, suivi post-hébergement, etc.).
Pour plus d’information :
– Mémoire du Regroupement Droit de la famille : mettre l’intérêt de l’enfant au cœur de la réforme : http://maisons-femmes.qc.ca/wp-content/uploads/2019/05/memoire-Droit-de-la-famille-06-05-19-1-1.pdf
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