Ce programme doit être jugé sur ce qu’il a fait et défait depuis les années 1980. Son bilan économique, écologique et politique est catastrophique. Il est temps d’arrêter ceux qui osent encore dire : « si le marché ne va pas bien c’est parce qu’il n’y a pas encore assez de marché ». Ces porte-paroles doivent être compris pour ce qu’ils sont : des faiseurs de crises. Il y a tout simplement trop de logique marchande.
La récurrence des nombreuses crises et l’impossibilité d’en sortir démontrent que rien ne va plus, que ce programme néolibéral ne marche pas, et que de persister dans ce programme là est la véritable et sombre utopie. Les utopistes ne sont pas les gens qui manifestent dans la rue, mais plutôt ceux qui jugent que la situation générale actuelle peut continuer alors qu’on coure à la catastrophe : le climat peut continuer de se réchauffer, les banques peuvent continuer de socialiser leurs pertes et de capitaliser sur l’accroissement de notre endettement personnel et collectif, des millions de réfugiés de la globalisation peuvent continuer de fuir la dégradation de leurs conditions d’existence, les espèces vivantes peuvent continuer de disparaître les unes après les autres, nous pouvons rester dans le pétrole jusqu’en 2050, notre vie peut être encore plus enchaînée à la productivité, parce que le temps c’est de l’argent et qu’il n’y a pas d’autre monde possible.
Or du temps nous en n’avons plus, et ce monde s’enferme sur lui-même jusqu’à l’asphyxie, dans une lutte concurrentielle de tous contre tous, au grand plaisir des élites déracinées qui en tirent de vertigineux profits.
Cette « révolution culturelle » comme l’a nommée Raymond Bachand, a bel et bien échoué. N’en déplaise à ses supporteurs, l’échec est évident. Ils n’ont plus rien à offrir que ça, un échec lamentable ; l’échec comme programme politique et comme mode de développement de la société qui mène inexorablement à des crises sociale, environnementale, économique et politique.
La conclusion est dès lors celle-ci : la révolution néolibérale, qui a consisté à laminer toutes les institutions de la société et à leur substituer des organisations privées, est à bout de souffle ; elle ne peut se poursuivre qu’au prix d’une intervention autoritaire de l’État et de manipulations des réactions instinctives de la population.
Que faire devant la situation ? Pour l’instant, il n’y a que deux points de vue qui semblent envisageables : soit vouloir, devant la crise du « modèle québécois », en revenir nostalgiquement à la Révolution tranquille, soit s’entredéchirer dans une réaction aux accents autoritaires – laquelle se pointe déjà à l’horizon, en Europe comme dans les Amériques. Manifestement, aucune de ces deux perspectives ne propose une solution viable et vivable.
À l’encontre de ces deux impossibles sorties de crise, une autre possibilité s’offre nous : une transition vers un monde plus égalitaire et plus écologique. Cette transition est déjà en route, dans la mesure où dans la crise il y a un ralentissement qui est une façon de lutter contre cette crise et une façon de donner la possibilité d’indiquer une autre voie. Il s’agit de saisir ce moment qui s’offre à nous. Le mouvement social initié par la détermination des étudiants et étudiantes en grève est un premier pas de cette transition qui doit absolument être prolongée par une transformation générale de notre modèle sociétal désuet et mortifère. Nous appelons à l’unité du peuple québécois, dans toutes ses différences, toutes catégories sociales confondues, à inaugurer ensemble cette nécessaire et inéluctable transition.
Nous avons été expropriés du pouvoir. Il est temps de mettre un terme à cette dépossession de nos vies. Nous sommes le peuple. Nous sommes le pouvoir. Nous appelons le peuple à reprendre pouvoir sur sa vie, à se réapproprier ce qui lui appartient déjà, et saisir l’instant présent afin de commencer dès maintenant à réaliser ensemble la transition inéluctable, nécessaire et indispensable à la survie de notre commune humanité. Ensemble, soyons les artisans de la brèche et les défenseurs de la société.
Que notre commun élan en soit un exemple !
Benoît Coutu, chargé de cours, sociologie, UQAM,
Michel Ratté, chargé de cours, sociologie, UQAM,
François L’Italien, chercheur post-doctoral, Université Laval,
Éric Martin, professeur, philosophie, Édouard-Montpetit,
Maxime Ouellet, professeur associé, école des médias, UQAM,
Jean-Michel Marcoux, chercheur indépendant,
Daphnée Poirier, professeure, sociologie, St-Jean-sur-Richelieu,
Éric Pineault, professeur, sociologie, UQAM,
Jacques-Alexandre Mascotto, professeur associé, sociologie, UQAM