Édition du 5 novembre 2024

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Médias

De Twitter à X : Comment Elon Musk façonne la conversation politique américaine

En achetant Twitter pour en faire X, Elon Musk a radicalement modifié le paysage des médias socionumériques et a confirmé leur empreinte croissante sur la politique américaine. Musk joue désormais un rôle inédit dans l’arène politique américaine, influençant les perceptions et menant les débats autour de l’élection présidentielle.

Cet article examine comment ces changements affectent la portée des discours en ligne. Il s’intéresse également à l’influence de Musk, qui par son engagement tend à polariser la sphère publique et à désolidariser l’espace public.

21 octobre 2024 | Photo : Le candidat républicain à l’élection présidentielle, Donald Trump, serre la main d’Elon Musk lors d’un événement de campagne le 5 octobre 2024. (AP | Evan Vucci)
https://theconversation.com/de-twitter-a-x-comment-elon-musk-faconne-la-conversation-politique-americaine-238747

En tant que professeures associées à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, enseignant notamment dans le programme de Médias numériques, nous portons une attention particulière à l’instrumentalisation des médias socionumériques dans le contexte électoral américain.

Quand la Silicone Valley s’immisce dans la politique

Les principales plates-formes de médias socionumériques, notamment les entreprises du groupe GAMAM (Google-Alphabet, Meta, Apple et Microsoft), entretiennent des relations étroites avec les instances politiques aux États-Unis et à l’international.

Alors qu’une part importante des droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression, est souvent soumise aux décisions de ces mégaentreprises, rappelons que Mark Zuckerberg a activement fait pression contre TikTok auprès des autorités américaines. De plus, Facebook et Google ont été mêlés à des pratiques de censure sur le marché vietnamien, qu’elles cherchaient à conquérir.

Or, le cas de l’achat de Twitter par Elon Musk illustre manifestement que la « liberté d’expression » se confond avec un simple slogan publicitaire lorsqu’elle doit passer par le filtre des algorithmes et s’adapter à la vision néolibérale de la direction du réseau. Musk, après avoir endossé Obama en 2008 et 2012, ce qui a permis à Tesla de bénéficier de subventions gouvernementales, Hillary Clinton en 2016, puis Joe Biden en 2020, a réorienté son soutien en 2024 pour offrir un appui sans réserve à Donald Trump.

Il a même créé un comité d’action politique (PAC) en faveur du candidat républicain, faisant la promotion de ce soutien sur son propre profil.

Promotion du PAC sur le profil d’Elon Musk
Profil X d’Elon Musk. (https://x.com/elonmusk)

En octobre, il avait atteint la limite de contribution pour un donateur unique, soit132 millions de dollars.

L’achat de Twitter par Musk : une partie d’échecs en public

Elon Musk a acquis Twitter pour environ 44 G$ USA (61 G$ CAN). La transaction débute en avril 2022, sous la forme d’une apparente « prise de contrôle hostile », car Musk acquiert alors publiquement 9 % des actions du réseau social. Pour éviter cette prise de contrôle, les dirigeants proposent au milliardaire un siège au conseil d’administration. Musk répond par une offre d’achat pour l’ensemble des actions, à un prix supérieur à leur valeur marchande.

En juin, l’homme d’affaires joue son prochain coup : il souhaite reporter la transaction, invoquant la nécessité d’évaluer le nombre de faux comptes sur la plate-forme.

https://x.com/Reuters/status/1514679888933896198?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1514679888933896198%7Ctwgr%5E75c0586f4e5ddc0981914668f2af14a27f09f931%7Ctwcon%5Es1_c10&ref_url=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fde-twitter-a-x-comment-elon-musk-faconne-la-conversation-politique-americaine-238747

Néanmoins, ses vis-à-vis sont déterminés à conclure et engagent une action en justice. La partie d’échecs prend fin le 27 octobre 2022 et Musk, avec le soutien de la firme bancaire Morgan Stanley, procède à l’achat. Il souhaitait, dès ses premières manifestations d’intérêt pour Twitter, tirer parti du potentiel de la plate-forme.

Twitter : influencer le monde en temps réel

Musk connaissait bien le potentiel de Twitter pour influencer les marchés, ayant lui-même manipulé le cours de l’action Tesla, ce qui lui a valu une amende de 20 millions de dollars de la SEC en 2018. Il a également fait bondir le Bitcoin en 2021 en ajoutant #bitcoin à sa bio.

En outre, des événements comme le Printemps arabe en 2011 avaient révélé le rôle central de Twitter dans la mobilisation sociale et la diffusion rapide de l’information, redéfinissant aussi le journalisme par la brièveté et la vélocité de ses messages.

L’expertise universitaire, l’exigence journalistique.

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Le réseau a permis aux chercheurs, comme la professeure de communication à La Sorbonne, Virginie Julliard, d’analyser des corpus de conversations autour de mots-clics tels que #théoriedugenre. Politiciens, fonctionnaires, journalistes et chercheurs ont reconnu en Twitter un outil d’analyse sociale par mots-clics, renforcé par son moteur de recherche performant, développé avec l’entreprise russe Yandex en 2012.

C’est ce pouvoir d’influence établi que Musk cherchait à acquérir.

De Twitter à X : vers une logique algorithmique opaque et centralisée

Avant que Musk n’acquière Twitter, le réseau se distinguait par la transparence de son algorithme, lequel laissait aux utilisateurs le choix entre un affichage antéchronologique ou une présentation des messages les plus populaires.

Depuis, l’algorithme s’est complexifié et le lancement du « crochet bleu » payant a transformé la valeur de ce badge, autrefois réservé aux personnalités publiques et aux journalistes vérifiés. Aujourd’hui, pour une dizaine de dollars, Musk permet à chacun de modifier ses publications, d’écrire jusqu’à 10 000 caractères et, surtout, d’obtenir une visibilité accrue.

En réduisant le rôle de la modération, il délègue à la communauté la responsabilité de contrer la désinformation et de vérifier les « faits » grâce à la fonctionnalité Notes. Ces transformations incarnent une rupture avec la philosophie initiale de Twitter, où la transparence et l’accessibilité étaient au cœur de l’expérience utilisateur.

Cette évolution reflète une tendance plus large des médias socionumériques où la gestion algorithmique, amorcée par Facebook en 2009, puis adoptée par Twitter, Instagram et LinkedIn dans les années suivantes, transforme la manière dont l’information circule.

Selon la docteure en sciences juridiques Antoinette Rouvroy, cette logique algorithmique tend à favoriser une hypertrophie de la sphère privée au détriment de l’espace public.

Les algorithmes de ces plates-formes, qualifiés de « boîtes noires » par les chercheurs et observateurs, amplifient certaines voix tout en en rendant d’autres invisibles, segmentant les utilisateurs dans des contenus personnalisés et affaiblissants la notion même de « commun ». Sur X, cette logique est poussée à l’extrême : Elon Musk a un statut de superutilisateur et ses messages sont imposées à tous les utilisateurs, qu’ils le suivent ou non.

Loin des valeurs du Web 2.0, qui prônait une culture participative, ouverte et gratuite, X incarne désormais une vision néolibérale du droit de parole. Au sein de celle-ci, la visibilité devient une marchandise monétisée et centralisée. L’espace public s’en trouve quant à lui régi par des logiques algorithmiques et des intérêts économiques qui redéfinissent les frontières de la participation démocratique en ligne.

Un spectacle de la liberté d’expression façon Musk

Sur X, les utilisateurs baignent dans la sphère privée de son dirigeant, Elon Musk, où ses idées politiques sont omniprésentes et où sa conception de la liberté d’expression remplace celle d’un véritable espace public. Se disant « absolutiste de la liberté d’expression », Musk a rétabli, par un vote populaire sur son compte, certains comptes ayant été suspendus pour violation des règlements du réseau.

Parmi eux, l’ex-président Trump, banni après avoir soutenu les « patriotes »lors de l’insurrection du 6 janvier 2021 et Marjorie Taylor-Green, exclue en 2022 pour des publications répétées de désinformation sur la Covid-19.

Avec Musk à la tête de X, il ne s’agit plus seulement de gouvernance technologique, mais d’un contrôle direct sur les conditions mêmes de l’expression. En décidant de ce qui est amplifié ou réduit au silence, Musk redéfinit non seulement les contours de la liberté d’expression sur la plate-forme, mais aussi dans la société en général. Dès lors, parler de liberté devient dans ces conditions problématique, puisqu’étant dirigée, cette liberté n’est précisément pas libre.

D’un espace public à la tribune privée de Musk

Après avoir soutenu des candidats démocrates, Elon Musk a publiquement donné son appui à Donald Trump pour cette élection, tout en amplifiant des idées conservatrices, voire conspirationnistes. Ses contributions, tant financières que communicationnelles dans la campagne de l’ex-président, notamment par une entrevue en direct avec Trump sur X, illustrent clairement sa volonté d’influencer directement la scène politique.

Cette implication montre comment Musk utilise X pour promouvoir ses positions personnelles et donner la parole à ceux qui partagent sa vision. Conscient du pouvoir d’influence de la plate-forme, il a sciemment imposé sa propre définition de la « liberté d’expression ». La reconfiguration de l’algorithme et des fonctionnalités de X afin de maximiser la visibilité de ses idées, souvent au détriment de la diversité d’opinions, en est un exemple éloquent.

Ainsi, X ne fonctionne plus comme un espace public d’échanges démocratiques, mais comme une sphère privée façonnée par les choix idéologiques et commerciaux de Musk. En amplifiant certaines voix et en réduisant d’autres au silence — par des algorithmes opaques —, il exerce un contrôle direct sur les conditions d’expression sur la plate-forme.

Dès lors, une question se pose : une « liberté d’expression » dirigée par un individu, restreinte à sa sphère privée, ne représente-t-elle pas un danger pour la démocratie ?

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