Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Laïcité

Courage Dalila !

Quand Louise Mailloux parle de poursuite-bâillon, elle erre. Les poursuites-bâillons se font à coup de millions, comme lorsque une minière a poursuivi Alain Denault. Le livre qu’il a écrit est interdit de publication. Que je sache, Louise Mailloux continue de sévir sur plusieurs tribunes, si le but de la poursuite était de la faire taire, c’est raté.

J’ai rencontré Dalila avant les événements de la charte des valeurs, je ne la connaissais pas et elle ne doit pas me connaître non plus. Elle prenait les inscriptions pour l’école d’été des cahiers du socialisme. Je l’ai remarquée, parce qu’elle est une personne colorée aux antipodes de la modestie qu’on trouve parfois chez les filles voilées. Nous n’avons pas vraiment parlé et ce n’est que plus tard que je l’ai reconnue quand elle a passé à Tout le monde en parle. Dans la vie de tous les jours, elle ressemble à cette personne que l’on a connue à la télévision : elle est calme, posée, souriante et très gentille. Que l’on ait voulu la faire passer pour une intégriste véhiculant l’idéologie des moudjahidines iraniens, elle et Amir Khadir, tient du délire.

Quel mépris, quelle méconnaissance de la culture d’autrui ! Dalila est libanaise d’origine. Ce pays a connu un conflit entre chrétiens et musulmans dans les années 80. Aujourd’hui, le sud Liban est souvent attaqué par Israël, parce que des Palestiniens s’y retrouvent en grand nombre. Le groupe radical dans ce coin de pays, c’est le Hamas, qui a gagné des élections démocratiques en Palestine mais n’a pas été reconnu par la communauté internationale. On considère que le Hamas est un groupe terroriste.

En Iran, on parle le farsi et ce n’est pas la même culture ni le même peuple qu’au Liban. Les Iraniens appartiennent à l’ancienne culture perse et ont été conquis par les Arabes, puis islamisés, mais il y a encore beaucoup d’entre eux qui demeurent attachés aux racines perses. Il est difficile de dire si l’islam a été instrumentalisé à des fins politiques pour mettre fin au régime du Shah en 1979 (il était considéré comme une marionnette de l’Occident) ou si c’est le religieux qui a investi le politique pour le dominer. Dans tous les cas, nous avons un régime totalitaire où le religieux est très présent.

Donc, à supposer que Dalila serait une intégriste, ne serait-il pas plus logique qu’elle soit près des gens du Hamas ? Tant qu’à inventer une histoire, il vaudrait mieux qu’elle tienne la route.

On a voulu faire la démonstration que Dalila a des connections avec des intégristes, autrement dit, elle serait coupable par association. Attention, elle connaît Adil Charkaoui et tel, et tel iman. Suis-je une fondamentaliste catholique, parce que je connais mon curé par son prénom, qu’il a baptisé mes enfants et que je vais à la messe de noël ? L’explication plus plausible ne serait-elle pas que Charkaoui a été gravement lésé dans ses droits fondamentaux (il a eu deux certificats de sécurité contre lui et par deux fois, on n’a rien pu prouver de ses liens allégués avec des terroristes) et que c’est aussi le cas pour Dalila ? N’est-ce pas qu’ils se sont victimes d’islamophobie ?

L’autre élément fondamental : est-ce illégal d’être un intégriste ? Pour l’instant, non. Quand bien même elle serait une radicale convaincue, a-t-on le droit d’attaquer sa réputation et de faire circuler des informations erronées à son sujet ? Voilà le nœud du problème : certains militants de la laïcité sont en guerre contre les religions et tous les moyens sont bons pour faire reculer la progression de l’islam. L’ennui, c’est que nous sommes dans une société démocratique qui garantit les droits de TOUS, qu’on les aime ou non, qu’on les considère des radicaux, des salauds, des terroristes. Ils sont protégés et doivent l’être jusqu’à qu’il y ait crime. Et encore, on doit les reconnaître coupables hors de tout doute raisonnable, dans un procès. Les lois ne jugent pas les opinions, mais les actions. C’est bien ainsi, comme cela on peut protéger les minorités. Si l’on se met à créer différentes classes de citoyens en fonction de leurs idées, c’est tout le système qui se disloque : où tirer la ligne ?

Quand Louise Mailloux parle de poursuite-bâillon, elle erre. Les militants écologistes, dont je suis, savent ce qu’est la menace d’une poursuite de cette nature et ils se préparent : ils parlent au conditionnel, ils posent des questions et ont des sources solides pour chacune de leur affirmation. Malgré toute la prudence, si une compagnie estime qu’elle a besoin de faire taire un opposant, elle le fera, parce que l’essence de ce genre de poursuite est d’être futile et que l’entreprise qui l’utilise le sait, mieux elle détourne l’instance judiciaire pour en faire une arme. Ce que l’on remarque, c’est la disproportion des moyens des deux protagonistes.

Madame Mailloux n’a aucune prudence et s’est permis de faire des affirmations à partir de suppositions, de raccourcis. Qu’on lui demande de se rétracter dans ces conditions est tout à fait normal. Examinons aussi les montants en cause. Les poursuites-bâillons se font à coup de millions, comme lorsque une minière a poursuivi Alain Denault. Le livre qu’il a écrit est interdit de publication. Que je sache, Louise Mailloux continue de sévir sur plusieurs tribunes, si le but de la poursuite était de la faire taire, c’est raté. Le PQ s’est même permis de lui offrir une motion d’appui unanime à la dame. À leur place, je me serais gardé une petite gêne, d’autant qu’un de leurs députés a déjà intenté une poursuite de 700 000$ contre Sylvain Lafrance de Radio-Canada qui l’avait traité de « voyou ». Péladeau aurait le droit de protéger sa réputation mais pas Dalila Awada ?

Supposons un instant que cette dame m’énerve et que je me dis que son discours est néfaste pour la société et qu’on doive absolument la faire taire. Aurais-je le droit de dire que je suis certaine qu’elle a mis la main dans le pantalon de plusieurs étudiants à qui elle a enseigné ? Avec des photos floues à l’appui. Je pourrais fonder un site sur les laïques frustrés se défoulant sur les jeunes gens. Ce serait un bon moyen de m’en débarrasser, n’est-ce pas ? Heureusement pour nous tous, Madame Mailloux est protégée contre la diffamation et l’atteinte à sa réputation. Faut jouer fair play.

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