La conférence « Construire des alliances entre les mouvements ouvrier et pour la justice climatique » du 18 juin (Global Ecosocialist Network, You Tube streams, Building alliances between Labour and the Climate Justice movements) organisée par le Global Ecosocialist Network a spécialement mis en évidence la remarquable interaction entre le mouvement Fridays for Future (FfF) et le Syndicat du transport public d’Allemagne lors de la journée du 3 mars dernier combinant la grève en cours de ce syndicat et la grève mondiale pour le climat lancée par le mouvement initié par Greta Thunberg (Franziska Heinisch et Julia Kaiser, Les premiers signes d’une lutte de classe écologique en Allemagne, Presse-toi-à-gauche, 4/04/23). Les interventions d’Afrique du Sud, des ÉU et des Philippines ont respectivement traité des stratégies de luttes locales, de la nécessité de démocratisation et non seulement de l’étatisation des pourvoyeurs d’énergie, de transition ouvrière débouchant sur la prise du pouvoir. Cette perspective situe la réflexion et l’action des travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) du Québec qui tentent avec courage et persévérance de marier lutte climatique et lutte syndicale.
De la prédominance locale dans les pays impérialistes à celle mondiale dans ceux dépendants
En Allemagne, préparée de longue date dans une trentaine de villes, FfF avait dû gagner la confiance d’un syndicat sceptique mais frustré par des bas salaires et de pénibles conditions de travail. Pendant des mois, FfF, aussi à la recherche d’une stratégie pour se sortir du cul-de-sac de grandes manifestations sans lendemains, avait compris que pour gagner la confiance du syndicat il fallait organiser des actions de soutien à la grève comme des assemblées publiques et des distributions de tracts. Ainsi prenait corps concrètement le slogan « Justice climatique, Justice sociale ». La prochaine étape est le rendez-vous de la grève générale du transport public en 2024. Cette unité qui rompt la tradition des grèves corporatives a été vertement dénoncée par la bureaucratie syndicale. Elle a permis d’attirer l’attention sur la puissance de la « grève sociale ». Ce premier succès, à consolider, est une passerelle vers le secteur névralgique, en Allemagne, des véhicules routiers beaucoup plus difficile à pénétrer à cause de ses meilleures conditions de travail et parce que requérant une transformation (sans compter la question difficile de l’électrification avec ou sans transformation de ce type de production).
Aux ÉU s’active l’organisation Labor Network for Sustainability (site web). Sa stratégie est de participer à de grandes alliances autour d’enjeux pointus de type gagnant-gagnant… sauf les partisans des hydrocarbures. Le Green New Deal de la ville de Boston, y compris faciliter les véhicules privés électriques, appliqué par le récent conseil municipal élu annonce un succès de cette approche (Jeremy Brecher, The Green New Deal in the Cities – Part 1 : Boston, Labor Network for Sustainability, 1/06/23). Quand se présente la nécessité de fermer des centrales électriques mues aux énergies fossiles, en particulier le charbon, le point central de cette stratégie en devient d’assurer des emplois alternatifs comme l’illustre l’exemple de Brayton Point au Massachussetts (Jeremy Brecher, Protecting Workers and Communities –From Below, Labor Network for Sustainability, 31/03/23). On remarque qu’ici la contradiction se situe entre l’extractivisme des hydrocarbures et le nouvel extractivisme tout-électrique. Le conférencier a souligné la nécessité de rattacher les luttes locales à la lutte globale sous peine de sabotage possible des premières par exemple par le gouvernement Trump qui a failli causer l’échec de la fermeture-reconversion de Bretton Point ou encore la guerre commerciale ÉU-Chine qui fait grimper le prix des panneaux solaires.
La conférencière d’Afrique du Sud charbonnière a souligné que les travailleurs cols bleus se méfient de la militance écologique classe moyenne soupçonnée de les instrumentaliser dans leurs campagnes sans compter l’obstacle des bureaucraties syndicales qui font de la crise climatique une question secondaire. La faillite du monopole étatique producteur d’électricité non seulement à se verdir mais aussi à assurer une production fiable d’électricité tellement la corruption sabote les investissements nécessaires, n’a rien pour convaincre du bien-fondé de la propriété publique, ce qui pose la nécessité de son contrôle démocratique. La conférencière de conclure que le rapport de forces très défavorable d’un pays dépendant face à des puissances mondiales nécessite une organisation intersyndicale, par exemple panafricaine, pour affronter le capitalisme tout en se libérant des énergies fossiles sans tomber dans le piège de l’impérialisme vert.
Le conférencier des Philippines d’insister qu’il faut s’assurer que la transition, ce dont le capitalisme est aussi convaincu à sa manière, se fasse dans l’intérêt du monde ouvrier et populaire par exemple, que la réforme du transport collectif philippin n’entraîne pas la disparition de la myriade de petits transporteurs à leur compte. Plus généralement cependant, il faut réaliser que du point de vue de la lutte pour des réformes, gagner une réforme entraîne comme des dominos des réformes dans les autres secteurs. En découle un changement global, soit le socialisme, ce pour quoi il faut une alliance du mouvement ouvrier avec le mouvement climatique. Est cruciale la capture du pouvoir politique.
L’épreuve des faits : une modeste percée de TJC sous une douche froide mue par la peur
Au Québec comme ailleurs malgré la multiplication des coups de boutoir des extrêmes climatiques, ou par peur d’elle ce qui invite à enfouir sa tête dans le sable, ou bien à cause de l’obnubilation par la crise du coût de la vie à commencer par celle du logement, monte le scepticisme climatique quand ce n’est pas son déni (Étienne Leblanc, Le déni climatique gagne du terrain, Radio-Canada, 8/06/23). S’en ressent la tentative des TJC de marquer des points au dernier congrès de la CSN (après avoir tenté d’introduire une clause de comité paritaire pour la carboneutralité dans les demandes syndicales du Front commun). Les diverses propositions, soit modérées (Conseil central du Montréal-métropolitains) soit plus corsées ou touffues (certains syndicats de professeurs de cégeps), de prise en charge concrète de la « transition juste » par le centrale, en argent sonnant et en temps de permanence, s’est heurtée à une réaction parfois forte de certains syndicats particulièrement industriels. Le congrès a tout de même promis une coordination confédérale sur le sujet regroupant des élus. Sa concrétisation reste à voir.
Après avoir battu à plates coutures la plus modérée de ces propositions, le congrès a référé au Conseil confédéral la proposition de l’exécutif de la CSN de prendre en compte la transformation des emplois pour raisons d’environnement, d’automation et d’intelligence artificielle. Peut-être parce que le terrain avait été labouré, le Conseil confédéral suivant, plus restreint que le congrès, a voté presque unanimement une proposition contenant un amendement de recension des syndicats touchés par des transformations d’emplois y compris par la crise climatique. En post mortem, l’assemblée générale des TJC a constaté un verre mi-vide mi-plein et surtout la nécessité d’un travail à la base. Il ne faut pas compter sur l’exécutif de la CSN qui a la tête ailleurs par exemple le maraudage. Et il faut se méfier de l’attitude suffisante de celui ou celle qui sait. Les gens sont plus informés que l’on pense sur la crise climatique mais ils craignent de perdre leur emploi pour lequel ni le mouvement écologique ni celui syndical n’ont d’alternatives crédibles à proposer.
Ces peurs alimentent celles du mouvement syndical lui-même telle la peur du maraudage et celle de la désaffiliation. D’expliquer un document des TJC :
Allouer des sommes significatives à la transition supposerait d’augmenter les cotisations syndicales, ce que les centrales hésitent à faire par crainte de perdre des membres. Toute augmentation des cotisations vient avec le risque que des syndicats quittent une centrale pour aller vers une autre qu’ils jugent “moins dispendieuse”.
Chaque fois que l’ambition monte d’un cran, certains syndicats, dont les emplois pourraient être touchés plus durement, menacent de se désaffilier et ce, avant même d’ouvrir la conversation sur ce que la transition pourrait signifier pour leurs emplois. Pour éviter de perdre des membres (et donc des cotisations), les centrales tendent à suivre le rythme du plus petit dénominateur commun : les syndicats opposés à la transition dictent le rythme de tous les autres.
Au-delà des manifestations sans lendemain, des principes stratégiques pour la grève climatique
Selon les TJC, « [l]es centrales syndicales québécoises se mobilisent de plus en plus autour de la notion de transition juste. Parmi les avancées significatives, mentionnons la création de La Planète s’invite au travail, rebaptisée depuis Réseau Intersyndical pour le Climat (RIC), un espace d’échanges et de mobilisation. Depuis sa création, le RIC a participé à l’organisation de plusieurs manifestations et a organisé des activités de formation et de discussion. Mentionnons aussi la campagne ‘’Vers des collectivités durables’’ du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes et les ‘’Laboratoires de transition juste’’ récemment mis sur pied par la FTQ pour accompagner les milieux de travail dans la création de projets de transition. »
Par contre, le RIC tend à porter des positions qui font consensus au sein des différentes centrales, d’où un certain manque de radicalité et pour ne pas dire une volonté minimaliste de mobiliser comme on l’a vu lors de la manifestation ratée de l’automne 2021. Il manque des « ressources financières allouées à la transition juste. Dans le mouvement syndical, les enjeux écologiques (climat et biodiversité) continuent à être perçus comme des enjeux de ‘’deuxième front’’ (celui des luttes sociales) et reposent presque exclusivement sur des bénévoles. La CSN (350 000 membres) compte une personne salariée qui s’occupe de ces enjeux à temps partiel. La FTQ (600 000 membres) compte pour sa part deux personnes dédiées à temps plein à la question de la transition juste. »
Quant aux TJC, l’organisation « a été lancée en novembre 2021 par des syndiqué.es qui avaient participé à la grève climatique de septembre 2019 et qui souhaitaient utiliser une nouvelle fois cette tactique, au sortir de la pandémie de COVID-19, afin de relancer le mouvement québécois pour la justice climatique. Leurs efforts ont mené au 23 septembre 2022, où 15 000 travailleurs et 150 000 étudiantEs se sont dotés d’un mandat de grève. Les membres de TJC se sont aussi mobilisés pour faire cheminer des résolutions syndicales dans plus d’une cinquantaine de syndicats. » Comme pour le mouvement FfF allemand, les TJC ont fait le constat des limites des manifestations déconnectées d’un plan d’action visant des réformes cumulant vers un mouvement de grève climatique. Les principales stratégies sont les suivantes :
Transformer le milieu de travail. La négociation de la convention collective est le premier espace où les travailleur.ses peuvent faire valoir leur volonté de transformer leur milieu. TJC a déjà développé plusieurs clauses pouvant être intégrées aux conventions. Dans le cas, de plus en plus fréquent, où l’employeur s’est déjà fixé un objectif de neutralité carbone, la première étape est la création d’un comité paritaire afin que les travailleur.ses puissent participer à toutes les conversations à ce sujet et s’assurer que les efforts d’écologisation sont faits de bonne foi. Les cas d’abus sont nombreux : pensons à toutes ces entreprises (dont les pétrolières) qui se vantent d’être carboneutres, mais qui ne calculent que les émissions directes (portée 1 et 2) alors que la vaste majorité des émissions, dans la plupart des secteurs, sont liées aux émissions indirectes (portée 3). Pensons aussi à l’enjeu des crédits carbone, au sujet desquels il n’existe aucune norme fiable et dont les promesses d’impact doivent faire l’objet d’une surveillance constante (le journal The Guardian révélait récemment que 90% des crédits vendus par la firme Verra, l’une des plus importantes dans le secteur, n’avaient aucun impact). Pensons enfin à ces employeurs qui, en transformant le milieu de travail sans consulter les travailleur.ses, prennent des décisions qui ont un impact négatif sur leur quotidien. […]
Transformer les secteurs d’activité. Pour cheminer vers les transformations systémiques dont nous avons besoin, il ne suffira pas d’inviter chaque milieu à devenir carboneutre. Dans certains secteurs, à commencer par le secteur pétrolier, l’atteinte de la carboneutralité est impossible ; ces secteurs devront se contracter et, pour certains d’entre eux, disparaître ou à tout le moins se reconvertir. Pour d’autres secteurs, l’atteinte de la carboneutralité, bien qu’importante, est secondaire : il est plus important d’amener les transports en commun à se développer que de voir les autobus actuels être remplacés par des autobus électriques. Finalement, il y a des secteurs, comme l’éducation ou les communications, pour lesquels la contribution la plus importante relève de la diffusion des connaissances et des idées liées à la transition. […]
Élargir le droit à la grève. Au Québec, depuis que le droit de grève a été protégé par la loi, il a aussi été sévèrement restreint. Selon le code du travail, un syndicat ne peut pas faire la grève en dehors des périodes de négociation collective. Un syndicat qui vote la grève dans d’autres circonstances s’expose à des sanctions sévères (25 à 100$/jour pour un travailleur ; 1000 à 10 000 $/jour pour un membre de l’exécutif syndical ; 5 000 à 50 000$/jour pour le syndicat lui-même). Dans le secteur privé, l’employeur peut en plus poursuivre le syndicat pour lui avoir fait perdre les profits qu’il aurait normalement réalisés si les travailleur.ses étaient resté.es en poste.
Si le droit de grève a été à ce point encadré, c’est précisément parce qu’il est efficace. C’est par ce moyen qu’ont été conquises la plupart des grandes avancées en matière de droit du travail. Notre objectif, rappelons-le, est de transformer l’économie pour la rendre compatible avec les limites planétaires. Jamais nous ne pourrons construire le pouvoir politique dont nous avons besoin sans des grèves de grande envergure. En 2019 et en 2022, TJC a lancé des appels à la grève climatique auxquels plusieurs syndicats ont répondu, mais la crainte des poursuites a empêché le mouvement de prendre une plus grande ampleur. […]
Collectiviser ou nationaliser les entreprises pour envisager leur transformation. Un syndicat fort peut certes obtenir de nombreuses concessions de l’employeur, mais il est peu probable qu’un syndicat de l’industrie pétrolière ait jamais la capacité de transformer l’activité principale de son employeur. Certaines transformations pourraient passer par l’État (qui aurait le pouvoir de nationaliser certains secteurs pour les transformer), mais le transfert de propriété de l’entreprise aux travailleur.ses ou à la communauté pourrait, lorsqu’il est réalisable, permettre une transformation des activités qui garantirait la protection des personnes immédiatement concernées. Notons aussi que le dernier rapport du GIEC s’est aventuré sur la question de la décroissance en soulignant que la meilleure façon de respecter la cible de l’Accord de Paris tout en garantissant des conditions de vie décentes pour toutes et tous (le cœur du concept de transition juste) est de réduire la consommation, à commencer par la consommation excessive des personnes les plus riches. Réduire la consommation implique forcément de réduire la production, et donc de rompre avec le dogme de la croissance, socle de l’économie moderne. C’est une autre raison pour laquelle nous considérons qu’une économie écologique doit explorer des façons de remettre en question la propriété privée des entreprises : de nombreuses études ont révélé que les entreprises collectives arrivent plus facilement à équilibrer les impératifs de rentabilité et les enjeux environnementaux.
Une rentrée automnale climatique baignant dans l’incertitude… à moins que le Canada s’en mêle
À court terme, cependant, la rentrée automnale baigne dans l’incertitude. De fortes rumeurs laissent entendre que la manifestation climatique devenue rituelle de la fin septembre serait remise en question suite à des tensions entre la FTQ / Mères au front et le mouvement étudiant en réorganisation. Cette manifestation pourrait être remise au printemps. Signalons que le Front commun ou certaines de ses composantes pourraient alors être en grève sans compter la possibilité de massives manifestations du Front commun dont celle prévue pour le 23 septembre. Est-ce que ce sera une occasion perdue de synergie climat-syndicat ? La lutte pour l’amélioration des salaires et des conditions de travail des travailleuses et travailleurs des services publics, indépendamment de clauses spécifiques sur la carboneutralité, est en soi une lutte climatique, plus précisément écoféministe, parce que ces emplois basés sur des rapports personnels requièrent un minimum d’énergie mécanique donc fossile et surtout boostent le secteur prendre soin de la société. Cette richesse de rapports sociaux que multiplierait la hausse des ratios travailleuse-bénéficiaire, ce qui nécessite une hausse des salaires, est un antidote au consumérisme et au productivisme de la standardisation soi-disant efficiente des méthodes d’enseignement ou des soins.
Ce report pourrait être toutefois un mal pour un bien. Les organisations canadiennes Council of Canadians et 350.org, avec le SCFP, sont à organiser une manif-action pour une transition juste les 3-4 novembre prochain, plus spécifiquement contre le « Plan pour des emplois durables » du gouvernement fédéral (site web). Selon 350.org, le gouvernement fédéral n’admet pas
…qu’une véritable action climatique signifie mettre fin à l’expansion des combustibles fossiles dès que possible. Bien que le plan mentionne une « demande en baisse », il indique également que « la production et l’utilisation du pétrole et du gaz se poursuivront pendant de nombreuses décennies ». Le gouvernement dit explicitement qu’il ne prévoit pas d’élimination réglementaire des combustibles fossiles, malgré le succès de cette approche avec le charbon. […] Deuxièmement, le plan n’engage qu’une fraction des fonds publics que les experts disent que le Canada doit investir si nous voulons que cette transition se produise à la vitesse et à l’échelle exigées par la crise climatique. […] Comme toujours, le lobby pétrolier et gazier travaille dans les coulisses pour retarder les progrès climatiques tout en faisant pression pour tirer encore plus d’argent des deniers publics pour de fausses solutions comme la capture, l’utilisation et le stockage du carbone. Le lendemain de la publication par le gouvernement de son plan pour des emplois durables, la Pathways Alliance – une organisation d’écoblanchiment composée des six plus grands producteurs de sables bitumineux du Canada – a fait la une du Toronto Star dans une publicité massive vantant son « leadership climatique ».
(350.org-Canada, Does Trudeau’s sustainable jobs plan pass the climate test ?, 27/02/23)
Les TJC comptent tester des appuis pour une action en coalition pour un volet québécois. Nul doute qu’une action conjointe pancanadienne dans la rue s’avérerait un pas en avant unitaire, pour ne pas dire internationaliste, de la lutte climatique par définition globale. Par la bande, les TJC ont à l’œil certaines initiatives de directions de cégeps pour obtenir des passes gratuites de transport en commun en faveur des étudiantes et étudiants et parfois du personnel. Il pourrait aussi avoir un intérêt pour « sortir du gaz » certaines institutions.
Marc Bonhomme, 19 juin 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c
Un message, un commentaire ?