Édition du 12 novembre 2024

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Canada

Comment le Canada est-il devenu l’un des principaux marchands d’armes au monde

Depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux en 2015, les ventes d’armes canadiennes à l’échelle mondiale ont augmenté chaque année.

10 septembre 2023 | tiré de Canadian dimension | Photo : VBL-25 du 12e Régiment blindé, 14 janvier 2012. Photo gracieuseté du Corps des Marines des États-Unis/Flickr.

Pendant plusieurs décennies, les gouvernements libéraux et conservateurs n’ont cessé de militariser le Canada. Depuis la fin de la guerre froide, le nombre de missions de la paix a diminué, tandis que les contributions canadiennes aux interventions militaires à l’étranger ont augmenté (Irak, Somalie, ex-Yougoslavie, Afghanistan et Libye). Le Canada seclasse aujourd’hui au 70e rang des 122 États membres des Nations Unies qui contribuent aux opérations de maintien de la paix. Parallèlement, le Canada est devenu le 17e vendeur d’armes au monde, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.

Le gouvernement Trudeau a poursuivi ces tendances à long terme. Depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux en 2015, les ventes mondiales d’armes canadiennes ont augmenté chaque année, à la seule exception de 2020, dont le total était encore « au moins le double de celui de presque toutes les années entre 1978 et 2017 ». Bien que 2020 ait été un creux pour le gouvernement Trudeau, elle reste la troisième année la plus importante pour les exportations militaires Du Caanada. Les deux seules années au cours desquelles le Canada a vendu plus d’armes à l’étranger ont également eu lieu sous le gouvernement Trudeau : 2018 (plus de 2 milliards de dollars) et 2019 (près de 4 milliards de dollars).

Pendant la « guerre contre le terrorisme », les discours alarmistes à l’égard des groupes terroristes ont justifié une militarisation rampante de la politique intérieure et étrangère du Canada. Dans ce contexte, Ottawa a augmenté ses budgets militaires et approuvé plus de ventes d’armes que jamais auparavant.

Maintenant que la guerre contre le terrorisme est pratiquement terminée et que nous sommes entrés dans ce que l’ancien secrétaire américain à la Défense, James Mattis, a appelé une ère de « concurrence entre grandes puissances », les terroristes ont été supplantés par de nouveaux ennemis de la liberté et de la démocratie : à savoir, la Chine et la Russie.

Les médias canadiens reprennent sans critique les affirmationsdes responsables de la défense selon lesquelles la Chine et la Russie ont l’intention d’envahir l’Arctique. Les organes de presse parlent du scandale de « l’ingérence chinoise » comme si des sources anonymes du SCRS étaient irréprochables. Dans ce climat de peur et d’anxiété fabriquées de toutes pièces, il n’est guère surprenant que la plupart des Canadiens pensent qu’Ottawa devrait augmenter ses dépenses militaires pour atteindre l’objectif de deux pour cent de l’OTAN.

Comme je le souligne dans mon livre Canada in Afghanistan : A story of military, political and media failure, 2003-2023, les entreprises d’armement canadiennes et américaines ont très présentes à Ottawa et font pression sur tout le monde, des fonctionnaires du ministère de la Défense nationale au Cabinet du Premier ministre. La pollinisation croisée entre l’industrie et le gouvernement est une réalité croissante. De nombreux fonctionnaires à la retraite travaillent ensuite pour des fabricants d’armes. Depuis l’intérieur de ces entreprises, ils utilisent leur connaissance des rouages de l’État pour faire pression plus efficacement sur le gouvernement fédéral pour obtenir des fonds supplémentaires et des réglementations favorables.

Les fabricants d’armes canadiens sont profondément liés au militarisme américain par le biais de mesures tellesl’Accord sur le partage de la production de défense. En vertu de cet accord bilatéral, les entreprises américaines envoient une partie de leur production militaire au Canada pour « compenser » les achats canadiens d’équipements militaires américains. Comme je l’écris dans mon livre :

... le gouvernement américain a explicitement cherché à lier étroitement les industries de défense canadienne et américaine au milieu du XXe siècle. Washington espérait que le renforcement de l’interdépendance économique accrue des deux pays conduirait le gouvernement canadien à soutenir le militarisme américain, car les entreprises canadiennes en bénéficieraient également. Comme l’indique un document de 1958 sur la sécurité nationale des États-Unis, Washington considérait qu’il était important de maintenir « ... l’industrie canadienne de la défense sdaine », afin que les États-Unis « reçoivent la même excellente coopération dans l’effort de défense commun qui a prévalu dans le passé ».

Washington a obtenu ce qu’il voulait : les entreprises d’armement canadiennes sont liées à l’industrie de l’armement américaine, et Ottawa s’est profondément impliqué dans les efforts américains pour étendre ou préserver son hégémonie dans le monde entier. Les tensions persistantes avec la Chine représentent la nouvelle étape de cette histoire.

Alors que Washington adopte des mesures visant à affaiblir l’économie chinoise, le Canada a suivi le mouvement. Nous sommes maintenant au coeur de ce que de nombreux observateurs appellent une « nouvelle guerre froide » avec la Chine. Les déclarations diplomatiques d’Ottawa à l’égard de Pékin sont souvent provocatrices, tandis que les navires canadiens participent régulièrement à des transits et à des exercices militaires dirigés par les États-Unis directement au large des côtes chinoises. Pire encore, la « Stratégie indo-pacifique » d’Ottawa appelle le Canada à jouer un rôle encore plus militarisé dans la région.

Nous pouvons d’ores et déjà constater cette évoluton. En juin de cette année, Anita Anand, alors ministre de la Défense a annoncé que le Canada « renforcera considérablement sa présence militaire dans l’Indo-Pacifique ». Cela comprendra « le déploiement annuel d’un navire de guerre supplémentaire dans la région, une participation accrue du Canada à des exercices internationaux et un renforcement des relations avec les partenaires régionaux grâce à une coopération accrue en matière de sécurité ».

Anita Anand a également annoncé la signature d’un protocole d’accord avec le gouvernement d’extrême droite de la Corée du Sud, visant à « permettre aux scientifiques de la défense [au Canada et en Corée du Sud] de partager des informations et d’identifier de futurs partenariats potentiels » et à « faciliter la collaboration entre nos organisations de défense respectives, ce qui peut inclure l’échange d’informations, de scientifiques et d’ingénieurs ».

Écrivant sur le refus du ministère de la Défense nationale de jouer un rôle militaire de premier plan dans une autre occupation d’Haïti, Yves Engler commente : « Bien que proche de leurs homologues américains, les militaires canadiens ne veulent pas des missions secondaires de Washington. Ils veulent des déploiements agressifs, plus clinquants, axés sur l’OTAN (ou la Chine). » Cela semble évident compte tenu de l’orientation indo-pacifique du gouvernement canadien.

Pendant ce temps, la guerre en Ukraine augmente les profits des fabricants d’armes canadiens. Prenons l’exemple suivant : Ottawa a récemment octroyé un contrat d’une valeur de 165 millions de dollars à la succursale canadienne de General Dynamics Land Systems. Stefan Christoff écrit : « Le montant total de ces 39 véhicules blindés légers a été entièrement couvert par des fonds publics. Cet argent aurait pu aller à l’éducation ou aux soins de santé. » C’est l’un des nombreux exemples de la façon dont la militarisation du Canada va de pair avec le sous-investissement du gouvernement dans les services publics essentiels.

Le projet d’Ottawa d’acquérir des avions de chasse F-35 de fabrication américaiane pour 19 milliards de dollars, avec un coût du cycle de vie estimé à 76,8 milliards de dollars, est encore plus flagrant. Comme si cela ne suffisait pas, Irving Shipbuilding, qui appartient à l’une des familles les plus riches du Canada, a récemment reçu 463 millions de dollars des contribuables pour construire une nouvelle flotte de navires de guerre. Ce projet de près d’un demi-milliard de dollars n’est que la pointe de l’iceberg : le projet des navires de combat de surface canadiens est désormais l’achat le plus important de l’histoire du gouvernement canadien. Avec un coût initial de 26 milliards de dollars, les dépassements de coûts ont porté le coût total à 84,5 milliards de dollars. Tout cela alors que l’économie canadienne, véritable « château de cartes » semble constamment au bord de l’effondrement. Comme David Moscrop l’a récemment écrit dans Jacobin :

Le pays est littéralement en feu et fait face à des menaces extraordinaires et croissantes du changement climatique. Il s’agit d’une montée de l’extrémisme, d’une polarisation toxique rampante et d’une faible confiance. Les inégalités de richesse sont en hausse. Son système fédéral présente des failles, particulièrement en ce qui concerne la relation entre l’Alberta et le gouvernement national. Les oligopoles et les monopoles se déchaînent, exploitant les consommateurs. [Il y a aussi] la crise du logement du pays, l’endettement des consommateurs et les taux d’intérêt élevés – et potentiellement en hausse. Prises ensemble, [ces réalités] brossent le tableau de travailleurs qui regardent des vies qu’ils ne peuvent pas se permettre au quotidien. Ce scénario infernal persiste, peu importe à quel point les gens travaillent dur, et peu importe à quel point ils suivent rigoureusement les règles du jeu – les règles dont on leur a dit qu’elles étaient justes et équitables.

Apparemment, personne en position d’influence ne fait le lien entre la crise économique canadienne et le surinvestissement dans des exercices militaires lointains, l’acquisition d’armes et la production d’armes.

Dans une récente tribune du National Post, l’ancien ministre de la Défense Peter MacKay a demandé à Ottawa de faire « des investissements importants dans la production [d’armes] nationales » afin que le Canada puisse continuer à armer l’Ukraine. Il a également appelé à « augmenter les effectifs et les capacités globales [de l’armée] » afin que « la démocratie et la liberté soient préservées pour nos citoyens et pour ceux que nous nous sommes engagés à défendre au niveau international ».

Peu de gens se demandent ce que signifie cette « préservation de la démocratie et de la liberté ». La guerre avec la Russie ? La guerre avec la Chine ? Les représentants du gouvernement ne le disent pas franchement, mais c’est ce que laissent entendre des articles comme celui de MacKay et des déclarations émanant de hauts responsables de la défense.

Le fait évident que la réduction des déploiements militaires dans le monde réduirait le risque de guerre n’est jamais mentionné. Le débat se limite aux positions suivantes : devons-nous continuer à dépenser des sommes excessives pour l’armée, ou devons-nous dépenser encore plus ? Le fait que la militarisation elle-même augmente les tensions n’est jamais discuté.

Qu’est-ce que les Canadiens gagnent de la militarisation de la politique intérieure et extérieure du Canada ? Très peu, si ce n’est un sous-investissement continu dans les services publics, une plus grande précarité quotidienne et une plus grande probabilité d’événements météorologiques catastrophiques alimentés par notre refus de nous attaquer aux causes du changement climatique – ce qui inclut sans doute notre dépendance à l’égard des investissements militaires. Alors, qui en profite ? La réponse est simple : les entreprises d’armement américaines et canadiennes, et nos grands frères et sœurs à Washington.

Owen Schalk est un écrivain du Manitoba rural. Il est l’auteur de Canada in Afghanistan : A story of military, diplomatic, political and media failure, 2003-2023.

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