Édition du 17 décembre 2024

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Comment la CAQ entend enterrer la question nationale et comment nous allons la combattre

En déposant le projet de loi 96 «  sur la langue officielle et commune du Québec, le français  », François Legault et Simon Jolin-Barrette ont voulu porter un grand coup. À leur manière habituelle, les médias complaisants ont repris le refrain du gouvernement en comparant cette manœuvre vide en substance et forte en mots à une «  deuxième loi 101  ». Le ministre a par la suite ajouté une cerise sur le sunday en suggérant que Québec pourrait modifier unilatéralement la partie V de la constitution canadienne afin d’y insérer le fait que «  le français est la seule langue officielle du Québec ». Et ainsi la loi 96 aurait, selon Jolin-Barette, une portée à la fois politique et juridique, « en respect, a-t-il affirmé, de l’autonomie québécoise, puis des droits collectifs associés à la nation québécoise [1].

Qui a pris cela au sérieux ?

Le discours grandiloquent n’a pas impressionné grand monde, à commencer par Yvan Lamonde, historien et ex-professeur à l’Université McGill : « ce que propose la loi 96, c’est symbolique, ça n’a pas de mordant. […] Tant qu’une nation n’a pas demandé, n’a pas obtenu, ce principe dit “des nationalités”, c’est un mot qui n’est pas très dangereux » [2]. Il compare le projet de la CAQ aux jérémiades du Chanoine Lionel-Groulx qui applaudissait les discours sur l’ «  autonomie provinciale » des Duplessis et des autres, tout en s’opposant fermement à l’idée d’indépendance. C’est d’ailleurs pour cela que le projet de « changer la constitution  » a été bien accueilli à Ottawa par les partis fédéralistes. En fin de compte, ce prononcé inoffensif va en droite ligne dans la tradition léguée par Stephen Harper qui avait déclaré que le « Québec était une nation… dans le Canada ».

Tout changer pour que tout reste pareil

Autrement dit, comme l’écrivait Michel David dans le Devoir, «  Dans le cadre de son projet de refonte des dispositions de la Charte de la langue française, le gouvernement Legault entend, par ce coup de théâtre sans conséquence, inscrire en douce dans la Constitution canadienne le fait que les Québécois forment une nation et que le français est, pour eux, la langue officielle » [3]. Quoiqu’il en soit, le redoutable stratège qu’est Legault espère avec cette loi va fermer la porte pour longtemps à la remise en question de son cher statu quo. Comme « produit dérivé  », Legault espère porter le coup de grâce à un PQ qui est à la porte de l’unité des soins palliatifs.

Rentrer dans le rang

En ce moment pour beaucoup de monde, il n’y a plus d’attraction pour un « grand projet ». Comment expliquer cette évolution ? Une partie de la réponse réside dans la marche du PQ. À l’époque, la flamme social-démocrate qui donnait du vent dans les voiles s’était dispersée, en bonne partie par la «  bonne gouvernance » perpétuée dans l’adhésion au néolibéralisme, la défense de l’Accord de libre-échange canado-états-uniens, jusqu’au «  déficit zéro » de Lucien Bouchard dans les années 1990. Et puis, pendant plus de 10 ans avec le retour au pouvoir du PLQ, on a eu un gouvernement de choc fédéraliste et néolibéral qui a sévèrement affaibli le secteur public, bloqué toute amélioration des conditions de travail pour permettre au 1 % de s’enrichir comme jamais, tout en se faisant le larbin d’Ottawa sur les grands dossiers où le Québec est plus souvent qu’autrement un spectateur. Le PQ s’est par la suite réessayé, en tenant ses distances face au mouvement populaire de 2012, pour imaginer la pire stratégie possible avec sa «  Charte des valeurs » en ravalant l’élan de l’émancipation à la vulgate identitaire. Toujours astucieux, Legault a capitalisé sur l’écoeurite face au PLQ et sur le déplacement des électeurs péquistes pour parvenir à ses fins.

Pas de grand projet, mais un gros plan d’«  affaires »

Depuis son élection en 2018, il a manœuvré pour ne rien faire sinon que d’affaiblir ses adversaires péquistes et libéraux. Il tourne le PLQ en dérision, ce qui est facile puisque ce parti est devenu un « parti ethnique », pour reprendre une malheureuse expression. Face au PQ, la rumeur urbaine est qu’au moins la moitié du triste caucus péquiste pourrait passer armes et bagages chez leur ami François en 2022. De plus, Legault a su « gérer  » la pandémie devant une population effrayée, atomisée, épuisée. Le résultat n’est en rien honorable, puisque le Québec a connu, per capita, des taux d’infection et de mortalité assez comparables à ceux qui ont sévi dans les pays occidentaux. Mais le cheuf a réussi avec son ton paternaliste de porter le blâme sur les citoyens, en les entourloupant de sorte qu’ils ne voient pas les causes structurelles de la catastrophe, comme la terrible gestion du système de santé. Son autre avantage est l’affaiblissement du mouvement syndical, pendant longtemps le «  navire-amiral » du mouvement social. Legault a bien joué ses cartes en séduisant des syndicats corporatistes et en divisant les autres.

Rien n’est réglé (et réglable)

Ne nous faisons pas d’illusion, il y a comme une tendance lourde qui met le Québec au diapason du virage à droite prédominant dans notre monde ultra globalisé. Cependant, cette évolution est toute sauf stable dans le contexte de la crise des crises qui ne cesse de heurter le projet de la contre-révolution, tranquille ou pas tranquille. Comme nous l’a expliqué Robert Brenner lors de sa spectaculaire prestation à la Grande transition, le capitalisme mondial a perdu son élan. Les politiques néolibérales avec leurs offensives antipopulaires et leur négligence totale des enjeux environnementaux ne peuvent plus répondre aux urgences du moment. La gouvernance se réduit à des manœuvres dilatoires. C’est ce que nous promet François Legault.

Et la question nationale ?

Quant à l’enterrement espéré de la question nationale, Legault ne devrait pas retenir son souffle devant un État fédéral déterminé à centraliser davantage la fausse «  confédération ». La sacro-sainte « autonomie provinciale » risque de devenir de plus en plus une coquille vide avec les politiques «  nationales » qui s’esquissent dans tous les domaines, y compris la santé et l’éducation. La logique extractiviste perverse qui sévit au Canada forcera l’État fédéral, quel que soit le parti, de garder les provinces dans le rang. C’est sans compter ce qui se prépare avec l’alignement du Canada derrière la nouvelle guerre froide des États-Unis, ce qui implique toujours plus de militarisation qui va généralement de pair avec la restriction des droits et libertés. Avant longtemps, le « plan d’affaires » de Legault aura l’air de qu’il est, un appareil pour étouffer le peuple.

La balle est dans le camp solidaire

Par rapport au projet de loi 96, Ruba Ghazal a excellé en apportant une critique vive et concrète, en expliquant que le projet échoue là où cela fait très mal, dans la langue de travail : « Ce n’est pas normal qu’en 2021, des Québécois soient privés de l’accès à un emploi pour lequel ils sont qualifiés simplement parce qu’ils ne parlent pas anglais. Les entreprises ont une grande responsabilité dans ce dossier, mais l’État québécois doit aussi faire son bout de chemin en élargissant la portée de la Charte à tous les milieux de travail ». Tout en rappelant la vérité de la Palice à l’effet qu’un Québec indépendant et républicain est la seule alternative réaliste à la provincialisation du Québec et l’affaissement de son droit à l’autodétermination, Ruba a mis de l’avant plusieurs mesures concrètes que Legault tentera de flusher. Quand le pragmatisme de Legault s’échouera sur les récifs acérés du néolibéralisme et du fédéralisme centralisateur, les propositions de QS apparaîtront nécessaires pour une grande partie du peuple québécois.

Décomplexer la lutte d’émancipation

Lors d’un débat organisé par les associations de Limoilou et de Jean-Lesage de Québec Solidaire, les participant-es-es ont remis sur la table la centralité du combat pour l’indépendance. Selon Benoit Renaud [4], le projet a été à l’origine ancré à gauche : « à l’époque des Patriotes, l’indépendance était liée à la suppression du système seigneurial et l’émancipation des paysans, à l’égalité pour les nations autochtones ». Cette radicalité du projet a conduit les élites québécoises à commencer par le haut-clergé dans les bras de la réaction. Aujourd’hui, il n’y a plus d’élite cléricale, mais le noyau restreint de Québec Inc. qui fait tout pour éviter l’essor d’un nouveau «  grand projet ». Pour la députée solidaire de Limoilou Catherine Dorion, l’histoire d’un projet indépendantiste «  ni de gauche ni de droite  » ne tient pas la route : «  l’indépendance pour l’indépendance, ça ne fait plus de sens ». Dit autrement, «  l’indépendance selon l’essayiste Éric Martin [5], ce n’est pas pour reproduire le Canada en miniature ». Dans la lignée des animateurs de la revue Parti Pris, il estime que le projet d’indépendance doit être construit sur le socialisme autogestionnaire, en combattant l’ensemble des formes de domination. Pour Benoit Renaud, il faut «  réinventer une république basée sur les nations qui habitent le territoire, à commencer par les peuples autochtones  ». « Cela sera la troisième vague du « grand projet », vers une société écosocialiste, décoloniale féministe  ».


[1Entrevue avec Marco Bélair-Cirino. Le Devoir, 22 mai 2021.

[2Idem.

[3Michel David, Le Devoir, 27 mai 2021.

[4Auteur d’Un peuple libre. Indépendance, laïcité et inclusion, Écosociété 2020.

[5Auteur d’Un peuple libre.Indépendance, laïcité et inclusion, Écosociété 2020.

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