Tiré de Le grand Soir.info
Peter Mertens. « L’Union européenne s’était préparée pleine d’assurance à signer un accord de libre-échange avec le Canada. Bien que cet accord, le CETA, ait des conséquences extrêmes pour l’Europe, pour ses habitants et pour le climat, l’establishment européen n’avait pas vraiment l’intention de gaspiller beaucoup de salive pour parler de ce traité. Jusqu’au moment où le gouvernement wallon est venu tout gâcher. Il a quand même lancé le débat sur la question et, du coup, la presse internationale s’est précipitée vers Namur et Bruxelles. La Belgique se retrouvait dans l’œil du cyclone avec, aux premières loges, le ministre président socialiste Paul Magnette.
Cette affaire est très révélatrice de la façon dont fonctionne l’Union européenne : on commence par de longs mois de négociations secrètes pour, ensuite, imposer en un minimum de temps un accord qui est à prendre ou à laisser et, pour finir, exercer du chantage et des pressions politiques sur les récalcitrants. Quel débat de fond y a-t-il eu en Flandre sur cet accord ? Aucun, en fait. Pas plus que dans d’autres pays. Nous pouvons être heureux que le gouvernement régional wallon ait tiré le signal d’alarme et qu’il ait au moins permis un débat démocratique. La crainte du débat chez les partis de l’establishment est significative. On veut imposer un comportement grégaire : tout le monde le fait, donc ce sera bien. Eh bien, non ! Dès le début, des milliers d’ONG, des syndicats, des organisations de consommateurs et de protection de l’environnement ont fait entendre des critiques de fond. Dans toute l’Europe, des millions de personnes ont manifesté contre le CETA et son grand frère le TTIP, le traité de libre-échange avec les États-Unis. Et, maintenant que, du coup, un débat de fond apparaît c’est la pagaille dans le poulailler. »
Comment voyez-vous le blocage politique ?
Peter Mertens. « L’attitude du gouvernement wallon est correcte et courageuse. Le députés du PTB au sein du Parlement wallon soutiennent la résistance et les critiques de fond contre le CETA. Le ministre président Magnette et le gouvernement wallon se font désormais attaquer de tous côtés et mettre sous pression par les pions du Big Business belge, européen et canadien. C’est une caricature du processus démocratique. Ce sont les nationalistes flamands qui ont toujours réclamé qu’on accorde plus de compétences aux gouvernements régionaux. Mais, si une région utilise ses compétences, ça ne va pas non plus. On ne doit pas se lamenter à ce propos. Il n’y a pourtant aucune base favorable à cet accord parmi la population, ni en Wallonie, ni dans le reste du pays, ni en Europe. »
Dans les autres pays, il y a quand même bien un accord politique sur le CETA...
Peter Mertens. « Oui... au sein de la caste politique. Là, c’est la grande pensée unique qui règne. Mais ce n’est pas parce qu’il y a une grande unanimité entre les murs de certains parlements qu’il existe une base porteuse au sein de la population, n’est-ce pas ? Il ne faut pas commettre cette erreur. On devrait organiser un référendum européen sur des traités aussi importants, mais on ne le fait pas. Non, on veut tordre le bras de la Région wallonne en sortant la grosse artillerie. Le mépris à l’égard des processus démocratiques régionaux ou nationaux en Europe est énorme. Nous l’avions déjà constaté quand le « non » français à la Constitution européenne a tout simplement été jeté à la poubelle – le même texte revenant sous un autre nom et sans référendum. Nous l’avions aussi vu avec la Grèce, qui n’a pas pu opérer ses propres choix pour sa propre économie. Finalement, on a même asséché les banques grecques pour faire passer envers et contre tout cette absurde politique d’austérité et de privatisations. Maintenant, on veut faire pareil avec la Wallonie. Ils ont même déjà préparé une « déclaration interprétative » qui serait jointe au traité. Voilà qui fait bien rire dans les quartiers généraux des multinationales. Une telle déclaration n’a pas la moindre valeur juridique, ce que confirment tous les experts en droit et commerce internationaux. Au cours des prochaines heures et des prochains jours, je m’attends à ce que d’autres changements purement cosmétiques soient proposés à Magnette pour trouver une porte de sortie. »
Le PTB connaît une phase nettement ascendante, dans les trois parties du pays, mais surtout en Wallonie. Le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders (MR), affirme que la montée du PTB dans les sondages en Wallonie, qui pousse le PS à se profiler plus à gauche, est la cause de l’opposition du PS au CETA. Est-ce exact ?
Peter Mertens. « Certains commentateurs politiques et des blablateurs font volontiers passer la Wallonie pour la grande exception en Europe. Les partis gouvernementaux flamands estiment que c’est un scandale et y voient surtout une attitude d’opposition au gouvernement fédéral de droite, au sein duquel le PS ne siège pas. Encore une fois : que l’on organise donc un référendum européen. Qu’on laisse s’exprimer le citoyen. En septembre 2016, il y a eu en Allemagne 320 000 manifestants contre les accords de libre-échange avec les États-Unis (TTIP) et le Canada (CETA) ; à Bruxelles, le 20 septembre, ils étaient plus de 10 000. La majorité des Français estiment que les négociations du TTIP doivent cesser. Outre les gouvernements wallon, bruxellois et de la Communauté française, le Sénat irlandais a également conseillé à son gouvernement de voter contre le CETA. Et en Autriche, en Slovénie, en Pologne et en Allemagne, on n’a pas encore donné définitivement le feu vert pour le traité. Une pétition européenne a récolté plus de 3 millions de signatures, un record en Europe. »
Mais le PTB est-il la cause du « non » wallon au CETA ?
Peter Mertens. « Non, donc, nous n’en sommes pas la cause. Le mouvement de protestation est très large : mutualités, mouvements Nord-Sud, syndicats, organisations de consommateurs, PME, agriculteurs, mouvements de femmes, activistes climatiques, juges… et la liste est longue. Naturellement, au PTB, nous avons toujours soutenu la résistance, tout comme le fait le groupe parlementaire européen de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL), d’ailleurs. Et, bien sûr, il y a aussi la situation spécifique en Wallonie et à Bruxelles où, selon les sondages, notre parti deviendrait le troisième parti en importance, avec jusqu’à 16 % en Wallonie. Cela joue, naturellement, dans la prise de position du Parti socialiste qui a du mal à jouer un double jeu. Le précédent gouvernement, sous la direction de ce même PS, n’a absolument eu aucun problème pour mandater notre pays pour les négociations autour des accords de libre-échange avec les États-Unis et le Canada. Le Premier ministre Di Rupo y avait même apposé sa signature. Cela, le Parti socialiste n’ose plus le faire aujourd’hui, probablement en partie parce qu’il sent le souffle chaud du PTB dans son cou. Mais l’essentiel reste que la résistance est portée par une très large base. La pression vient d’en bas et c’est une bonne chose. »
Pourquoi rejeter des accords comme le CETA et le TTIP ?
Peter Mertens. « Ce n’est pas ainsi que nous allons sortir de la crise européenne. C’est une illusion, une fausse solution, une fuite en avant. L’un des éléments de base de la crise européenne réside dans la politique des bas salaires et dans l’austérité qui est appliquée partout en Europe à la demande de l’Allemagne. Le bilan est très mauvais. Qui pense sérieusement aujourd’hui que nous allons résoudre le problème via un traité de libre-échange avec le Canada ?
La Tufts University américaine a réalisé une étude sur les retombées du CETA pour l’emploi et a conclu que 200 000 jobs passeraient à la trappe. Le phénomène du dumping social, que nous voyons déjà en Europe, continuera à s’accroître. Au lieu d’une harmonisation des normes et des règles vers le haut, pour protéger les travailleurs, la santé et l’environnement, nous risquons de continuer à glisser vers le bas.
Les mouvements citoyens du Canada eux-mêmes nous mettent en garde contre ce risque, parce qu’ils en ont fait l’amère expérience quand leur pays a conclu un accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique, l’Alena. Résultat : fermetures, restructurations, réduction des salaires et détérioration des conditions de travail. La spirale descendante. Le siège de Caterpillar au Canada a fermé ses portes et est allé aux États-Unis, où l’on payait des salaires moindres, pour ensuite fermer là-bas et partir pour le Mexique, où les salaires sont encore plus bas. Sans aucune entrave. Est-ce cela que nous voulons ? La même chose vaut pour les normes que nous utilisons en matière d’environnement et de santé. Derrière ce traité se tient la très dure logique de concurrence et cela, les libéraux comme De Gucht ne peuvent le nier. Cela signifie que toutes les normes seront poussées vers le bas, et non vers le haut. »
La campagne contre le CETA et le TTIP met également en garde contre les tribunaux spéciaux qui sont prévus par ces accords (L’« Investment Court System » pour le CETA, l’« Investor State Dispute Settlement » pour le TTIP)...
Peter Mertens. « D’ici peu, les multinationales pourront traîner un pays devant un tribunal spécial si la législation de ce pays porte atteinte à leurs intérêts. C’est sur la base de ce genre de traités commerciaux que l’Égypte a été attaquée par la multinationale Veolia lorsque le pays a introduit un salaire minimum. L’entreprise suédoise Vattenfall a exigé de l’Allemagne un dédommagement de 4,7 milliards d’euros parce nos voisins avaient décidé de sortir du nucléaire, au lendemain de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Et l’entreprise américaine Ethyl Corporation a attaqué les autorités canadiennes après que celles-ci avaient voulu interdire la très nocive substance MMT dans le mazout.
En tout, à l’échelle mondiale, il y a eu près de 700 procès dans lesquels des entreprises ont attaqué des autorités d’État. Cela coûte des milliards d’euros aux États en frais de procès et dix fois plus encore pour les réparations qu’ils doivent payer aux multinationales. Ces tribunaux spéciaux opérant pour les grandes entreprises sont des tribunaux d’exception et ils n’ont absolument rien à voir avec la démocratie. On ne peut faire aucune concession, sur ce plan, à moins, naturellement, qu’on veuille que les simples citoyens n’aient plus rien du tout à dire. »