19 décembre 2022 | tiré de mediapart.fr
Il était présenté comme l’accord de la dernière chance, celui qui scellerait quatre années de débats pour la protection de la biodiversité à l’heure d’une sixième extinction de masse provoquée par l’humain. Lundi 19 décembre, les 196 pays présents à Montréal dans le cadre de la COP15 pour la biodiversité sont parvenus à un accord.
Le texte comporte 23 cibles et quatre grands objectifs mondiaux à l’horizon 2050 : les menaces sur la biodiversité, son utilisation et sa gestion durable, l’accès et le partage des avantages issus des ressources génétiques et les moyens de mise en œuvre de l’accord. Elle avait pour but de faire émerger un nouveau cadre mondial pour la protection de la biodiversité et de renforcer la série d’objectifs établis par les accords d’Aichi de 2010 au Japon, considérés comme un échec neuf ans après.
Protection de 30 % de la planète, un fonds pour la biodiversité renforcé, une réduction de moitié des risques liés aux pesticides, ce texte, signé dans la nuit de dimanche à lundi, est considéré comme historique par les dirigeants du monde entier pour « arrêter et inverser la perte de la biodiversité » d’ici à 2030. Initialement prévue en 2020 à Kunming en Chine, cette COP a été repoussée à de multiples reprises en raison de la pandémie de Covid-19. Finalement, c’est au Canada qu’elle s’est déroulée ce mois-ci, toujours sous présidence chinoise.
Les pays se sont engagés sur une feuille de route visant notamment à protéger 30 % des terres, océans, zones côtières et eaux internationales d’ici à 2030. Une ambition portée par la Coalition pour une haute ambition, dont la France et le Costa Rica ont été « les meneurs clés » pendant les discussions selon Sébastien Treyer, directeur de l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Ces 30 % d’aires protégées sont au niveau planétaire, chaque pays ne devra pas atteindre 30 %, « la biodiversité est mondiale mais les États sont souverains, chacun doit faire de son mieux », précise-t-il.
Sujet à controverse pour le Brésil et l’Argentine, friands d’herbicides pour leurs cultures du soja, la réduction à 50 % des risques liés aux pesticides a été validée par les 196 pays. Le but étant de « réduire le risque de pollution à un niveau qui ne sera plus nuisible pour la biodiversité », souligne le texte. Une proposition à nuancer pour Sébastien Treyer : « Le fait qu’on soit sur le risque et non pas la quantité peut être une mauvaise chose si on pense à l’Argentine ou le Brésil qui pourront, à tout moment, évoquer leur difficulté à mesurer les risques liés à leurs pesticides, ce qui retardera l’échéance. »
L’accord aborde aussi la réorientation des subventions publiques nuisibles pour la nature qui s’élèvent à au moins 1 800 milliards de dollars par an. Une « réduction d’au moins 500 milliards de dollars par an d’ici 2030 » est prévue mais elles resteraient « à identifier d’ici 2025 ». Pourtant, elles sont déjà bien connues du public : les subventions aux énergies fossiles, à la surpêche ou à l’agriculture intensive.
Écoblanchiment
À l’égal de sa cousine pour le climat, la COP pour la biodiversité s’est divisée sur le sujet des financements par les pays du Nord vers les pays en développement. 30 milliards de dollars (environs 28 milliards d’euros) d’aide annuelle à la conservation pour les pays en développement ont finalement été débloqués.
Un montant bien en deçà des volontés du groupe africain et plusieurs pays en développement qui demandaient depuis mars 2022, « 100 milliards par an dans un premier temps pour ensuite atteindre les 700 milliards de dollars d’ici 2030 et au-delà ».
Les grandes entreprises devront aussi montrer patte blanche. L’accord exige qu’elles « surveillent, évaluent et divulguent les risques et impacts sur la biodiversité de leurs portefeuilles, opérations et chaînes d’approvisionnement et de valeur » afin de fournir au public la possibilité de faire des choix écoresponsables éclairés.
Une mesure contrebalancée par la notion de « solutions fondées sur la nature » présente dans le texte pour l’ONG Les Amis de la Terre. Nele Marien, coordinatrice du programme Forêts et biodiversité de l’organisation estime que ce point promeut « l’écoblanchiment et permet de compenser la destruction de l’environnement ».
Julien Rochette, chercheur, l’avait souligné dans un entretien à Mediapart : « À l’Iddri, nous plaidons pour qu’au-delà des objectifs soit mis en place un système de transparence qui permette, d’ici 2030, de regarder régulièrement la trajectoire des pays en matière de biodiversité. » Dans ce sens, le texte signé à Montréal prévoit que tous les deux ans les États signataires soient évalués sur les progrès effectués individuellement. Sébastien Treyer précise cependant que ce laps de temps sera trop court pour permettre d’élaborer une deuxième stratégie si nécessaire et qu’il n’existe pas « de mécanisme demandant le rehaussement de l’ambition des pays. Si on voit que la trajectoire n’est pas bonne, les États pourront aller plus loin mais ce n’est pas une obligation ».
« Ça sauve les meubles »
Lors de la séance plénière, Huang Runqiu, ministre chinois de l’écologie et de l’environnement et président de la COP15, a qualifié l’accord d’« ambitieux et équilibré ». La validation du texte est cependant loin d’avoir fait l’unanimité. Avant son adoption, la République démocratique du Congo a pris la parole et s’est prononcée contre la validation du texte à la suite du refus de création d’un fonds spécial pour la biodiversité à destination des pays du Sud. Une « ligne rouge » pour la France, selon un tweet du coordinateur de l’ONG Avaaz, Oscar Soria. Finalement, la Colombie a proposé une solution intermédiaire, un fonds dédié sous l’égide de celui pour l’environnement mondial.
Le Cameroun, lui, a dénoncé « un vice de procédure » et condamne un « passage en force » de la loi par la Chine. Tout comme l’Ouganda, le pays estime n’avoir pas pu exercer son « droit souverain ». En effet, différentes décisions ont été acceptées ensemble, comme un « paquet », et non séparément.
En France, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, représenté sur place par Christophe Béchu à Montréal, salue l’adoption de l’accord mais regrette 􉎥« l’absence d’engagement chiffré sur l’augmentation de la surface des espaces naturels d’ici 2050, des engagements insuffisants sur la protection des espèces » ainsi que « l’absence d’objectifs chiffrés pour la réduction de l’empreinte écologique ainsi que le respect des limites planétaires ».
Du côté de Greenpeace, An Lambrechts, cheffe de la délégation de l’organisation à la COP15, estime que « dans l’ensemble, la COP15 n’a pas réussi à fournir l’ambition, les outils ou les financements nécessaires pour mettre fin à l’extinction massive ». Si l’objectif de 30 par 30 consiste à protéger 30 % des terres d’ici 2030, le texte ne présente pas d’interdiction d’activités nuisibles sur ces zones protégées. « En l’état ce n’est qu’un chiffre vide. »
Dans un communiqué, l’association Bloom appuie sur le fait qu’« aucune mention de la pêche industrielle comme première source de destruction des écosystèmes marins » n’est présente dans le texte. Elle blâme également l’absence d’« interdiction des activités industrielles au sein des aires marines à restaurer ou à protéger ». Toujours selon l’association, la France aurait « réussi à saboter l’accord mondial sur la biodiversité », alors qu’elle consacre « près de la moitié de son temps à exploiter les aires marines dites “protégées”. »
Sur France Info, Pierre Cannet, directeur des campagnes à WWF, estime que cet accord « ne casse pas la baraque mais sauve les meubles » même s’il salue que « des problèmes sont pointés du doigt – comme les pollutions des pesticides – et des solutions comme l’agroécologie sont avancées ». L’ONG appelle les États à se mobiliser « au plus haut niveau » et à « redoubler d’efforts et accélérer leurs actions nationales ».
Jade Bourgery
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