Quelques semaines seulement avant la levée du bannissement de l’interdiction de conduire faite aux femmes, le gouvernement saoudien a arrêté plusieurs militantes féministes très en vue dont des femmes qui se battaient depuis des années pour le droit de conduire. Sarah Aziza a travaillé comme reporter depuis l’Arabie saoudite en liaison avec le Centre Pulitzer pour les reportages sur les crises. Son dernier article à été publié sur le site The Intercept et a pour titre : Jamal Khashoggi n’est pas le premier ; l’Arabie saoudite poursuit ses dissidents à l’extérieur de ses frontières depuis des décennies.
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Amy Goodman, DN : (…) Beaucoup se demandent pourquoi le Président Trump fait du travail de relation publique en faveur de l’Arabie saoudite. Il dit que ce sont probablement des « éléments voyou » (alors que les événements se passent) dans un bâtiment officiel du gouvernement saoudien en Turquie, son consulat. M. Khashoggi y disparaît le 2 octobre, sa fiancée l’attendant à l’extérieur pendant des heures. Il n’en est jamais ressorti. Dans un premier temps l’Arabie saoudite dit qu’il a quitté le consulat, maintenant, 15 jours plus tard, elle change ses explications.
Sarah Aziza : Oui, absolument. Cette histoire est choquante tant elle est incroyable dans ses détails. Mais, il ne s’agit que d’une différence de degré plutôt que de manière. J’ai pu mesurer ce dont ce pays est capable au fil des ans (j’y ai travaillé) et surtout ce dont le prince dirigeant actuel est capable. Comme votre reporter le soulignait, plusieurs militants.es et journalistes se sont vu retirer leur droit de parole d’une manière ou d’une autre, ou ont été mis sous pression même à l’extérieur du pays. Ce qui vient de se passer avec M. Khashoggi ne fait que renforcer ce que tant de militants.es, écrivains.es, étudiants.es et de simples citoyens.nes ressentent, même hors de leur pays. Leur gouvernement est toujours présent à leurs côtés. Et comme il a été dit, M. Khashoggi n’était même pas un dissident. Il était très clair à ce propos de son vivant. C’était un réformiste. Il a longtemps été un loyaliste. Et, ce n’est que depuis peu …
A.G. : Il a même été critiqué par plusieurs dissidents.es.
S.A. : Oui. Exactement, parce qu’il n’allait pas assez loin. Il voulait même croire que Mohammed bin Salman aurait pu remplir certaines de ses promesses plus tôt. Ce n’est que lorsqu’il a constaté que le prince engageait des actions contraires à ses promesses de réforme et de libéralisation qu’il a senti qu’il devait partir. Alors, oui, nous avons déjà vu cela en un certain sens. J’ai parlé à plusieurs saoudiens.nes qui ont vécu à l’étranger qui se sont exilés.es volontairement parce qu’ils et elles sentaient, comme M. Khashoggi que leur sécurité n’était plus garantie à cause de leurs discours ou de leurs écrits. Mais, à ce moment là, comme certains.es membres de la famille Khashoggi en ont fait l’expérience, des membres de leurs familles ont été placés.es en résidence surveillée, interdits.es de voyage, menacés.es ou harcelés.es par le gouvernement. Alors, non, rien de cela n’est nouveau à bien des égards.
Vous avez parlé de la réponse du Président Trump. Malheureusement, nous l’avons vu très, très volontiers se montrer flexible avec la vérité, changer son histoire, ne pas être vraiment honnête, avoir l’air de chercher la vérité mais, en fait chercher des explications en concordance avec les justifications qu’il veut donner et ce qu’il veut faire.
Juan Gonzalez DN : Beaucoup d’attention a été portée dans la presse mondiale à l’autorisation de conduire que le Prince héritier ben Salman a donné aux Saoudiennes. Mais, en ce moment, qu’elle est la situation des dissidentes en Arabie saoudite ?
S.A. : Merci de me poser cette question. Ceux et celles d’entre nous qui avons suivi cette histoire au cours de l’été, ont été éberlués.es par l’attitude du monde entier quand Mohammed ben Salman a fait tout un tabac avec cette décision. Jusqu’à l’an dernier, les Saoudiennes étaient les seules sur la planète à ne pas avoir ce droit.
Mais c’était très symbolique, sans changement réel pour beaucoup de femmes (de ce pays) mais le monde a préféré ignorer qu’au même moment, le Prince héritier emprisonnait celles qui avaient lutté pendant des années voire des décennies pour obtenir ce droit parmi d’autres droits humains pour les femmes.
Loujain al-Hathloul, Aziza al-Youssef parmi d’autres, Hatoon al-Fassi, d’éminentes militantes, qui ont pour certaines travaillé depuis les années 1970 pour l’égalité des femmes. Elles ont été emprisonnées sans aucune accusation. Dans certains cas comme celui de Loujain al-Hathloul, le gouvernement a répandu la rumeur qu’elle et d’autres étaient des agentes de pouvoirs étrangers, notamment du Qatar.
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A.G. : Durant cet été vous avez publié un brillant article quand la décision a été rendue publique. (Vous expliquiez) que ces femmes qui s’étaient battu pendant des années pour avoir le droit de conduire se retrouvaient derrière les barreaux. Elles ont reçu des appels, leur disant de ne pas s’exprimer et de ne pas « tweeter » à ce propos. Mme al-Hathloul a reçu cet appel.
S.A. : Absolument. Prenons une minute pour parler de Loujain. Elle est une éminente militante pour les droits des femmes. Elle était à Ryad quand cette nouvelle a été annoncée de la part du Prince ben Salman ou du roi Salman, mais comme une réalisation des promesses du Prince héritier. Elle se trouvait à Ryad simplement parce que, quelques mois plus tôt, elle avait été enlevée aux Émirats Arabes Unis et forcée de rentrer à Ryad. Elle faisait sa maitrise là-bas. On lui a interdit de voyager, elle n’avait plus le droit de quitter l’Arabie saoudite et quelques mois plus tard, on l’a arrêtée.
En fait, elle savait depuis quelques jours que l’annonce allait avoir lieu. La Cour royale l’avait appelée personnellement pour la prévenir et lui dire de garder le silence, de ne pas s’exprimer publiquement même pas pour saluer l’événement. Le message devait être contrôlé étroitement. C’est une des occasions où on voit à quel point le Prince héritier est tellement obsédé par le contrôle du discours à sa droite comme à sa gauche.
A.G. : Même pas pour faire l’éloge….
S.A. : En effet. Il ne voulait pas avoir l’air de donner quelque chose aux militantes, de répondre aux militantes.
(…) Par la suite, elle a « tweeté » Al-Hamduililah, ce qui veut dire Dieu merci (…) Oui Dieu merci ! Vous savez, pour le droit de conduire. Mais très vite, quelqu’un de la Cour royale lui a envoyé un message lui rappelant qu’on lui avait demandé de ne rien dire et si elle savait ce qui était bon pour elle, elle, se tairait.
A.G. : La semaine prochaine une autre femme, Mme Israa al Ghomgham, subira un procès et fera face à la peine de mort.
S.A. : Oui. Plusieurs personnes vont subir des procès la semaine prochaine dont Israa et qui feront face à la peine de mort. Les procureurs demandent cette peine. Vraisemblablement, il y aura des appels…
A.G. : De quoi l’accuse-t-on ?
S.A. : Simplement dit, de fragiliser l’État. Elle est en lien avec des militants.es de groupes minoritaires dans le royaume. Spécialement sous la gouverne de Mohammed ben Salmane, le royaume a élargi sa définition du terrorisme. Il attaque les lois sur la cyber sécurité en utilisant les mots ’ fausses nouvelles’.
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