Le résultat de l’élection présidentielle autrichienne ne sera connu que lundi, mais quel que soit le résultat, le pays risque d’être changé durablement par ce scrutin présidentiel.
Il faudra donc attendre lundi 23 mai dans l’après-midi pour savoir qui sera le futur locataire du palais de la Hofburg à Vienne, siège de la présidence fédérale autrichienne. Ce dimanche soir, seuls sont disponibles les résultats issus des urnes. Mais le score est si étroit que le dépouillement du vote par correspondance (700.000 voix) décidera de l’issue du scrutin. Dimanche soir, le vote physique donnait le candidat du parti d’extrême-droite FPÖ Norbert Hofer en tête avec 51,9 % des voix contre 48,1 % au candidat indépendant Alexander van der Bellen, ancien président des Verts. Les projections des instituts de sondages donnaient cependant celui-ci vainqueur au final de quelques milliers de voix, entre 2.000 et 4.000, sur un total de 4,41 millions d’électeurs. Bref, du 50/50...
Poussée historique de l’extrême-droite
Quel que soit le résultat, ce vote de dimanche signe un changement historique pour l’Autriche. Certes, les grands partis au pouvoir, SPÖ social-démocrate et ÖVP conservatrice n’avaient donné aucune consigne de vote, mais Alexander van der Bellen bénéficiait de leur appui tacite. La semaine dernière, le très impopulaire chancelier SPÖ Werner Faymann, avait même cru bon démissionner pour réduire le risque d’une victoire de Norbert Hofer. Malgré tout, ce dernier a montré qu’il disposait de réserves de voix lui permettant de s’approcher de la majorité. Cette poussée de l’extrême-droite permet déjà de parvenir à certaines conclusions.
La fracture entre Vienne et le reste du pays
Ce que cette élection a révélé, c’est un pays fracturé entre ses pôles urbains et ses zones rurales, entre ses jeunes et ses personnes âgées, entre ses diplômés et ses non-diplômés, entre ses femmes et ses hommes. Le résultat des votes et des enquêtes post-électorales le montrent clairement. Deux Länder seulement ont donné la majorité à Alexander van der Bellen : Vienne (à 63 %) et le Voralberg (à 56,4 %), Land traditionnellement « différent » du reste du pays, au point qu’en 1919, sa population avait par référendum réclamé de devenir un canton suisse à 81 % pour ne pas rejoindre la république autrichienne. « Vienne la Rouge » prouve donc une nouvelle fois sa singularité et met donc en avant le paradoxe de la petite Autriche issue du traité de Saint Germain : pays rural enclavé doté d’une métropole démesurée (un cinquième de la population du pays) et mondialisée depuis des siècles.
Ville contre campagne
Mais, en entrant dans le détail des résultats, on constate que l’opposition est plus large, c’est celle des centres urbains et des campagnes. Quelques exemples illustrent ce fossé. Le Land de Salzbourg a donné une majorité de 55,07 % à Norbert Hofer, mais la ville de Mozart a voté pour Alexander van der Bellen à 56,33 %. En Styrie, on a voté pour le candidat d’extrême-droite à 56,88 %, mais dans la capitale Graz, l’ancien chef des Verts obtient une majorité de 61,89 %. C’est dire si la fracture est forte entre les centre-villes dominés par les populations diplômées, bénéficiant de la mondialisation et de l’évolution numérique de la société et les zones rurales et périurbaines (à Graz, par exemple, la banlieue a voté à 59 % pour Norbert Hofer), peuplées de personnes moins diplômées, fragilisées par la mondialisation et la numérisation de l’économie.
Division de classes
Cette division est aussi une division de classe. Selon un sondage de la télévision publique ÖRF, 86 % des ouvriers ont choisi Norbert Hofer ainsi que 53 % des travailleurs indépendants. A l’inverse, 60 % des employés, 55 % des fonctionnaires et 51 % des pensionnés ont choisi Alexander van der Bellen. Dans un pays où les salaires ouvriers sont élevés et où le chômage reste faible (le taux de chômage harmonisé est de 5,9 %), ces résultats peuvent paraître étonnants. Ils ne le sont pas réellement. Comme dans le reste de l’Europe, les populations ouvrières sont moins nombreuses et leur position est fragilisée par la concurrence. L’Autriche perd de la compétitivité sur ses produits industriels, le chômage progresse, il est à un niveau record dans son calcul national.
Chauffés à blanc par le discours de la FPÖ, les ouvriers autrichiens s’inquiètent de la concurrence à bas coûts des migrants, ils ne voient plus de moyen d’amélioration de leur situation. Ils craignent une déchéance et voient dans l’option nationaliste le seul moyen d’éviter cette déchéance. Le vote de ce dimanche est un échec de la social-démocratie autrichienne qui n’a pas été capable de prouver que l’Europe et la mondialisation était une chance pour la classe ouvrière. En cela, c’est un coup de semonce pour l’ensemble de la social-démocratie européenne.
Fin de la culture du compromis d’après-guerre
La division est donc complète entre les deux Autriche. Depuis la fin des années 1940 et le traité de paix de 1955, le pays s’est fondé sur la recherche du compromis. La longue domination de la grande coalition entre les Sociaux-démocrates de la SPÖ et les Conservateurs de l’ÖVP illustre ce fait. La petite Autriche, fière de sa neutralité, cherchait alors à définir une nouvelle identité nationale. Il s’agissait aussi d’oublier un entre-deux-guerres marqué par une ambiance de quasi-guerre civile où les heurts sanglants étaient fréquents. En 1927 et 1934, les manifestations social-démocrates furent réprimées dans le sang.
Défi considérable du nouveau chancelier
Ce 22 mai signe la naissance d’une nouvelle Autriche, avec deux pays opposés qui se font face et qui vont devoir cohabiter alors qu’ils sont à égalité. Deux pays que tout oppose : le rapport à l’économie, à la mondialisation, à la culture, à la nation, à l’Europe. Le défi du nouveau chancelier Christian Kern (SPÖ) sera considérable : il devra gérer cette nation coupée en deux en prenant garde de ne pas creuser encore davantage le fossé. Ce sera une gageure tant les deux Autriche semblent ce soir irréconciliables.
L’élection de ce dimanche prouve en tous cas que la FPÖ est désormais capable de mobiliser au-delà même de son électorat. Si ce parti n’a obtenu que 20 % des voix en 2013, si les sondages ne lui donnent qu’un tiers des voix, il sait désormais que sa « sphère d’influence » déborde clairement de ce niveau. L’extrême-droite autrichienne pèse pour la moitié de son électorat. Ceci signifie qu’elle peut arriver un jour au pouvoir.
A qui la faute ?
Les raisons internes et propres à l’Autriche sont sans doute les plus nombreuses. C’est l’échec du modèle républicain de l’après-guerre et de la gestion par ce pays de son passé nazi et habsbourgeois qui le hante en permanence. C’est aussi l’échec d’un modèle de développement basé sur la financiarisation des flux vers l’Europe centrale et sur un secret bancaire qu’il a fallu abandonner. Mais c’est aussi l’échec de l’Union européenne à laquelle l’Autriche a adhéré en 1995. Le modèle économique et social de l’UE n’est pas apparu comme un moyen de protection pour les populations les plus fragiles et ceux qui se sentent menacés. D’où ce réflexe nationaliste. Les leçons des dirigeants bruxellois sur les migrants, la démocratie ou la mondialisation n’ont pas su freiner ce réflexe par manque de crédibilité. Un nouveau front s’ouvre pour l’Europe. Ce n’est peut-être pas le dernier compte tenu de la situation politique de la plupart des Etats membres.