L’article de Gord Henderson sur les réductions salariales devant être imposées aux travailleurs de l’automobile (Windsor Star du 20 novembre 2008) présente une orientation complètement fausse comme nous l’a appris la crise des années 30. Les coupures salariales des ouvriers de l’industrie ne font qu’aggraver la dépression. Henderson répond aux arguments du Président des Travailleurs canadiens de l’automobile Ken Lewenza défendant les salaires des ouvriers par une boutade facile : « Dites cela aux travailleurs de l’automobile mexicains ». Mais qu’est-ce qu’il veut dire au juste ?
Face aux préoccupations des consommateurs qui retardent leurs investissements faut-il préconiser que les travailleurs de l’automobile acceptent des salaires inférieurs et voient diminuer leur pouvoir d’achat ? Et quelle notion de progrès et quelle vision d’avenir l’invitation à viser les normes salariales mexicaines suggère-t-elle ? Le salaire horaire canadien dans l’industrie automobile est maintenant en dessous de celui des États-Unis, au même niveau que celui du Japon et n’arrive pas aux trois quarts de la rémunération horaire des travailleurs allemands. (U.S. Bureau of Labour data pour 2006, ajustées aux taux de change courants). Puisque l’industrie canadienne est intégrée à l’industrie américaine, le Canada est affecté par les coûts plus élevés aux États-Unis, en particulier pour ce qui est des soins de santé. Mais ici, aussi, la réponse c’est qu’il ne s’agit pas de blâmer les ouvriers, mais d’indiquer plutôt la stupidité sociale et économique des États-Unis qui n’ont pas de système de santé publique alors qu’on le retrouve dans le reste du monde développé.
Faiblesses syndicales
Ce pour quoi le syndicat peut être blâmé, ce n’est pas pour ce qu’il a réalisé pour les travailleurs, mais pour son refus de jouer un rôle essentiel dans la remise en question de l’orientation prise par l’industrie automobile, particulièrement en ce qui concerne sa lenteur à produire des voitures économes en combustible et non polluantes.
Le renflouement des entreprises ne suffira pas pour sauver les emplois et se préoccuper également des milliers d’emplois déjà perdus par des anciens membres. Cela exige de corriger un point faible de l’industrie et cela selon deux modalités précises. D’abord, il est absolument essentiel de comprendre que le renflouement ne met pas fin à la crise de l’industrie automobile, même si les compagnies à Detroit redessinent leurs modèles. Et cela parce que l’industrie a des capacités de production excédentaire considérables et une croissance modérée caractérisera la situation durant les prochaines années, sinon au-delà. Ceci signifie qu’au moment même où le syndicat demande de renflouer l’industrie, il doit présenter des propositions qui vont au-delà du secteur automobile. Il doit commencer à réfléchir à l’utilisation des installations en place et des qualifications pour la production d’un ensemble diversifié de biens. Ici, l’environnement est pris en considération, mais plutôt que de se voir réduit à une menace pour l’emploi, il ouvre la possibilité de création d’autres emplois. Si l’environnement est sérieusement pris en compte dans le siècle actuel, il ne suffira pas de changer le type de voitures que nous conduisons et leur mode de locomotion, mais tout ce qui concerne la façon dont nous travaillons, nous consommons, nous nous déplaçons et que nous vivons… À cet effet, les lignes de montage, les outils, les entreprises d’usinage et les qualifications des travailleurs et des travailleuses de cette industrie sont des richesses qui peuvent être converties pour produire des éoliennes, des panneaux solaires, des pièces pour des véhicules de transport en commun, des outillages industriels et des appareils ménagers moins énergivores.
Deuxièmement, nous devons déplacer nos préoccupations du sauvetage de l’industrie automobile au sauvetage de l’économie des communautés. L’industrie automobile est concentrée dans les communautés particulières qui, comme à Windsor, étaient entrées en crise bien avant que GM ait demandé un renflouement. La solution n’est pas de simplement s’accrocher à des emplois dans l’industrie automobile alors que la productivité continue de se développer ce qui continuera à diminuer le nombre d’emplois même si un renflouement des grandes entreprises est réalisé. La solution repose également sur le développement de grands travaux qui mobilisera tous ceux et celles qui sont déjà sans emploi ou qui sont à la recherche d’un premier emploi.
Pour aborder cette crise et répondre aux besoins de la communauté, il ne s’agit pas seulement de produire de nouveaux modèles de voiture, mais d’opérer une conversion industrielle du vaste potentiel productif de Windsor et d’améliorer l’infrastructure détériorée de Windsor et des autres municipalités. Windsor a une longue liste de projets dans ses cartons, visant à satisfaire les besoins sociaux qui transforment des villes en communautés (des ressources pour les équipements publics et les sports, convertir des terrains vagues en parcs et jardins publics ; construire des garderies et des centres d’accueil pour les personnes âgées).
Faire confiance au marché ou favoriser une planification démocratique ?
Il devrait être évident que de tels projets ne se réaliseront pas si on les laisse aux caprices du marché ou à une intervention publique sans plan d’ensemble. La réalisation de tels projets exige la planification sérieuse nationale et municipale ; une planification qui s’appuie sur des structures démocratiques pour encourager et faciliter la participation populaire.
Ceci nous mène bien au-delà de l’industrie automobile et beaucoup pourraient nous dire : « désolé, je suis trop occupé à penser à tout ça » Ce type de réponse explique pour une bonne part pourquoi les travailleurs de l’automobile sont dans la situation fâcheuse qu’ils connaissent aujourd’hui. S’il y a quelque chose que le passé récent nous enseigne, c’est que si nous ne commençons pas à construire le futur dès maintenant, si nous pensons qu’il prendra forme sans nous, il sera trop tard pour éviter des problèmes qui seront d’une plus grande envergure. La survie et l’avenir exigent de l’audace pour penser et agir à la hauteur de nos aspirations dès aujourd’hui. Quel pays voulons-nous ? Dans quel type de communauté voulons-nous vivre ? Comment y arrivons-nous ?
Sam Gindin fut le conseiller de deux ex -présidents des Travailleurs canadiens de l’automobile. Il est actuellement enseignant au département Social Justice à l’Université York.
Tiré du journal Windsor Star
Traduction : Bernard Rioux