Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Au-delà de propositions concrètes, quelles stratégies déployer face à l’urgence climatique

Début juin, la mouvance écologiste recevait deux textes importants : la version non officielle (1.9) diffusée aux fins de consultation de la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité, ledit Québec ZéN, zéro émission nette du Front commun pour la transition énergétique - FCTÉ et 101 idées pour la relance, les bases d’un plan d’action pour une transition verte et juste du Pacte pour la Transition piloté par Laure Waridel et Dominique Champagne. Pour les militant-e-s de Québec solidaire qui s’étaient déjà penchées sur Maintenant ou jamais, plan de transition économique que la direction de Québec solidaire, avait présenté dans le cadre des dernières élections québécoises, il y a là matière à réflexion.

Une convergence certaine sur les thèmes abordés et sur les pistes proposées

Avec ces 119 pages, la feuille de route du FCTÉ ne manque pas de propositions concrètes que ce soit au niveau du cadre politique de la transition, sur les chantiers transversaux : Économie, Énergie , Territoire et la biodiversité ou sur les chantiers sectoriels : Transports, Industrie, Bâtiments, Agriculture et Déchets.

Ces propositions sont pour l’essentiel adressées aux gouvernements fédéral et provincial, sans oublier les municipalités. L’action citoyenne est également interpellé, mais sur un mode mineur sous la forme de démarches individuelles qui se doivent d’être conformes au respect de l’environnement et en faveur de la transition.

Les 101 idées pour la relance apparaissent comme une copie moins élaborée, mais tout à fait conforme à la Feuille de route du FTCÉ. Les chapitres se déclinent à peu de choses près recouvrent les mêmes thèmes avec des titres identiques : Énergie, Transports, Industrie, Bâtiments, Agriculture et alimentation, Déchets et matières résiduelles, Biodiversité et protection des milieux naturels ; milieux de la santé et de l’éducation au cours de la transition.

Les propositions des divers plans reprennent les mêmes thèmes, une loi et un budget carbone pour contraindre les gouvernements et les municipalités à s’assurer la diminution des émissions des gaz à effet de serre ; le passage vers les énergies renouvelables, la réduction des déplacements, la préférence au transport public, la réduction de l’utilisation de l’automobile individuelle, l’élimination des systèmes de chauffage utilisant des énergies fossiles, la rénovation durable des bâtiments. Pour ce qui est de l’alimentation, on propose la diminution de la production et de la consommation de viande, la promotion de l’agroécologie et de l’agriculture de proximité. Pour ce qui est de la gestion des déchets, on souhaite, la réduction de l’enfouissement, la réduction du gaspillage, et le zéro déchet. Pour protéger la biodiversité, on souhaite protéger les milieux naturels. Enfin, la pandémie récente a sans doute poussé à placer les milieux de la santé et de l’éducation au coeur de la transition et à poser la nécessité de produire local pour répondre à des besoins essentiels, particulièrement en matière de santé. Les plans n’oublient pas d’esquisser des pistes sur les sommes importantes qui devront être investies pour parvenir à réaliser les propositions avancées.

Sur toutes ces questions, des propositions les plus concrètes les unes que les autres, démontrent l’ampleur de la réflexion et et la possibilité de faire autrement dans tous les secteurs abordés si le « modèle économique dominant » ne nous entraînait pas à faire des choix économiques et à élaborer des politiques qui mènent à la destruction de l’environnement et nous prépare à un avenir qui peut s’avérer catastrophique.

Le document de Québec solidaire, s’il aborde des sujets similaires et fait des propositions qui s’apparentent aux autres plans de transition est beaucoup moins élaboré et il présente certaines fausses pistes qu’il faudra écarter. Il est plus strictement économique et les propositions sont loin d’être aussi détaillées que les plans du FCTE ou du Pacte pour la transition. Mais en somme, ces plans sont des contributions importantes à la lutte aux changements climatiques et à la transition.

Des angles morts partagés

S’il est une caractéristique commune à ces plans, c’est le refus d’analyser le caractère systémique de la crise écologique et l’articulation de cette dernière au système économique capitaliste. Le mot même de capitalisme est absent de ces plans [1] L’important dans ce biais, c’est que les intérêts des acteurs capitalistes (les multinationales, les grandes banques, les grands commerces, les grands monopoles médiatiques) ne sont jamais définis comme des acteurs qu’il faudra affrontés et ni ne sont identifiées les modalités que devra prendre ses affrontements. Il n’y a aucune tentative de tirer au clair comment, ces acteurs vont chercher et cherchent déjà à s’opposer aux propositions écologistes mêmes si les scientifiques n’arrêtent pas de leur répéter que les stratégies d’accumulation capitaliste, la volonté de croissance sans fin, leurs choix concrets à tous les niveaux mèneront l’humanité à un désastre.

La défense de leurs intérêts privés demeure leurs motivations essentielles et les a conduits pendant toute une période à investir des sommes considérables pour nier la réalité de la crise climatique. Il ne s’agit pas d’un manque d’informations des « décideurs », mais d’intérêts matériels. Ils refusent que leurs propriétés dans les énergies fossiles ou leurs entreprises qui produisent des moyens de transports polluants et énergivores ou des armes de destruction massives soient mises à la casse avant amortissement. Aujourd’hui, face à l’évidence de la crise, certains secteurs de la classe capitaliste cherchent encore à gagner du temps et tentent de présenter les mécanismes du marché comme étant les meilleurs moyens de gérer la crise climatique et ils rejettent les mesures contraignantes avec la dernière énergie. Cela, c’est sans oublier que les climatosceptiques à la Trump ou à la Bolsonaro sévissent encore dans des positions de pouvoir importantes.

Les plans n’offrent également aucune analyse sur le fait que les gouvernements en place refusent maintenant depuis des décennies de prendre des mesures nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour nous sortir des énergies fossiles. Le plan du FCTE parle bien de « l’influence excessive de la haute finance , et de la grande industrie sur les États, les accords de libre-échange qui empêchent les États de mettre en œuvre des politiques environnementales contraignantes et le problème chronique et de l’évasion fiscale qui les privent de ressources financières substantielles. » [2], mais cela n’empêche pas les plans d’appeler à la nécessité d’un dialogue social et à la mise en place d’un plan d’action gouvernemental au niveau du Québec comme du Canada.

On ne tire pas les conclusions qui s’imposent de remarques qui demeurent incidentes. Ces gouvernements sont dirigés par des politicien-ne-s liés aux élites économiques qui défendent leurs intérêts. Dans des périodes où les rapports de force favorisent les classes dominées, ils sont obligés de faire certaines concessions, mais les classes dominantes cherchent toujours à modifier ce rapport de force en leur faveur pour pouvoir élargir leurs capacités de faire des affaires et d’augmenter leurs profits. Les plans ne font aucune analyse claire et explicite de la nature de la période économique et politique du capitalisme dans laquelle nous vivons, le néolibéralisme, et aucune caractérisation sérieuse de la logique de leurs politiques : privatisation des services publics (santé et éducation), diminution des droits du travail, fiscalité de plus en plus inéquitable, politique commerciale de libre-échange, répression et criminalisation des mouvements sociaux. Toute une série de mesures qui permettent le renforcement des inégalités et la poursuite de leurs politiques en défaveur de l’environnement.

C’est pourquoi la lutte pour la transition écologique et économique ne passera pas à côté de la lutte de classe visant la mise en place de nouvelles formes de production, de nouveaux types de consommation, d’une réelle redistribution de la richesse et par la création de rapports de force qui heurteront les intérêts de la classe dominante. Toutes les propositions aussi intéressantes les unes que les autres présentées dans les plans de transition nécessiteront pour s’imposer les mobilisations les plus larges, les formes d’action les plus déterminées afin de casser la volonté des décideurs de continuer à nous imposer leur économie capitaliste basée sur la croissance infinie et leurs politiques destructrices de l’environnement.

Une funeste convergence stratégique : remettre l’essentiel des actions aux gouvernements et aux décideurs avant même d’apprécier leur volonté de les mettre en oeuvre

Au lieu de poser dans le cadre de la lutte et des affrontements prévisibles avec les forces capitalistes et ses alliés politiques et hiérarchiser les objectifs pour parvenir à mobiliser le plus largement possible la majorité populaire, on place l’action gouvernementale au centre et on invite à une concertation sociale au niveau national comme au niveau régional de tous les décideurs : représentants des citoyens, des entrepreneurs, des employeurs, des syndicats, des acteurs de l’économie sociale et des groupes communautaires. C’est comme si un intérêt collectif s’était déjà imposé largement au-dessus et au-delà des intérêts privés de la classe dominante et que la transition pouvait se produire sans conflit de manière progressive, dans une optique de bien commun.

La réalisation de plans de transition ambitieux et même révolutionnaire qui rompt avec la logique économique capitaliste actuelle est confiée aux « décideurs » et à l’action de gouvernements (fédéral et provincial) qui sont dirigés par des partis néolibéraux. La réalité des ruptures nécessaires et des luttes politiques incontournables pour leur arracher le pouvoir n’est malheureusement pas identifiée. Il suffirait comme le propose le texte les 101 idées pour la relance de créer des institutions comme un « Conseil national pour la transition », des « chantiers régionaux pour la transition » et un super fonds pour la transition » pour pouvoir se mettre à l’oeuvre. Le moment des luttes, des affrontements et des ruptures est escamoté de la réflexion tout comme le moment de la lutte politique pour que la majorité populaire puisse assurer sa souveraineté politique sur les grandes décisions économiques et environnementales.

Le plan de Québec solidaire définit, lui, sa possibilité de réalisation par la prise du pouvoir par un parti qui décline les propositions qui seraient mises de l’avant par un gouvernement cherchant à représenter les intérêts de la majorité populaire, mais il ne conteste malheureusement pas la nécessité qu’un tel projet s’articule à l’organisation et à la mobilisation du camp populaire.

Des débats incontournables pour établir les conditions politiques de la mise en œuvre des propositions avancées par les plans de transition proposés

Il faut refuser d’écarter les discussions sur les dimensions stratégiques et politiques de la lutte dans un contexte d’urgence climatique. Les débats qui doivent s’ouvrir autour de tous ces plans de transition r doivent chercher à :

a. donner la priorité aux combats les plus mobilisateurs dans le contexte actuel : comme la défense du secteur public et particulièrement la nationalisation-socialisation intégrale des services de santé et des entreprises qui lui sont liées

b. approfondir l’analyse des fondements systémiques (capitalistes) de la crise climatique qui est nécessaire pour préciser les obstacles qui seront rencontrés et les solutions à avancer pour être à la hauteur de l’enjeu d’une transition véritable.
c. reconnaître que les voies de la décroissance (ou sur la sobriété) dans la production et la consommation ne peuvent être ignorées.

d. Éclairer les conditions de la démocratie économique qui permettra à la majorité populaire de faire les choix essentiels sur les productions (types, quantités, techniques) et les formes de la consommation essentielles à l’élaboration démocratique d’un plan de transition et refuser d’écarter la question des rapports de propriété des moyens de production

e. préciser que les luttes à mener aux niveaux local, régional, national et international doivent être des dimensions du plan de transition. Le problème de la crise climatique et environnementale est planétaire et une dialectique des luttes doit s’instaurer à tous ces niveaux.

f. établir que les modalités de financement de la transition doivent être définies indépendamment de la volonté de mainmise du capital financier sur cette dernière.

g. s’assurer qu’un plan de transition solidaire et démocratique soit à la fois un plan d’action visant la mobilisation populaire et un plan d’initiatives d’un gouvernement solidaire.


[1une exception tout de même significative dans la feuille de route pour la transition vers la carboneutralité du FCTÉ" Ne pas tenir compte des différents systèmes de domination présents dans nos sociétés, tels que le colonialisme, le racisme, le sexisme, le capitalisme, le capacitisme, l’hétérosexisme et toutes les autres formes de discrimination systémique, ainsi que de leur imbrication et incidence sur la réalisation des droits humains." Page 36.

[2Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité, page 18

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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