Édition du 17 décembre 2024

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Nucléaire

Au Japon, timide transparence sur les conséquences de l’accident de Fukushima

Quelque chose a changé dans l’information donnée aux Japonais sur la crise nucléaire de Fukushima. Après deux mois passés à minimiser les dangers encourus, à éluder les questions sur la gravité réelle de l’accident survenu après le séisme et le tsunami du 11 mars dans quatre des six réacteurs de la centrale, le gouvernement, la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco), mais également les chercheurs auparavant parties prenantes du puissant lobby nucléaire nippon, commencent à faire preuve d’un peu plus de transparence.

Preuve de cette évolution, sensible mais timide, le porte-parole du gouvernement Yukio Edano s’est engagé à faire « tout son possible pour garantir la transparence de l’information » lors de la visite du 24 mai au 2 juin d’une équipe d’enquêteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Un aveu qui en dit long sur la politique suivie jusque-là.

De même, les documents rendus publics le 16 mai par Tepco témoignent du chaos à la centrale immédiatement après le tremblement de terre de magnitude 9 qui a frappé le Tohoku, le nord-est du Japon. Il ressort de ces compte-rendu que, contrairement à ce qu’affirmaient l’entreprise et la plupart des experts « officiels » repris par les grands médias japonais, l’accident nucléaire a commencé avant l’arrivée du tsunami, preuve que l’installation, pourtant construite selon des normes considérées comme les plus strictes du monde, a mal résisté au tremblement de terre. Le tsunami n’a fait qu’aggraver la situation.

Dangerosité persistante

De même, les annonces de Tepco, selon lesquelles les cuves des réacteurs étaient intactes et le combustible avait partiellement fondu, étaient erronées et surtout bien loin d’une réalité qui confirme la dangerosité persistante d’une situation d’autant plus précaire que la région reste soumise à de violentes répliques sismiques comme celles de magnitudes 5,8 et 4,6, qui ont touché l’est du Japon vendredi 20 mai. Les nouvelles données hypothèquent également l’engagement de Tepco, pris le 17 avril et réaffirmé le 17 mai, de reprendre le contrôle de l’installation d’ici six à neuf mois.

Mais ce qui inquiète le plus les Japonais aujourd’hui est l’information sur les niveaux de contamination. Le ministère des sciences tient à jour des mesures réalisées dans toutes les préfectures du pays.

Plusieurs chercheurs, comme le professeur Kunihiko Takeda, expert en enrichissement de l’uranium, contestent la manière dont elles sont réalisées. Il regrette notamment qu’elles soient effectuées à 18 m de hauteur. A ses yeux, il vaut mieux effectuer des mesures au niveau du sol, pour connaître l’exposition réelle de la population. Mais, à ce niveau elles devraient être plus élevées.

Une parte des zones contaminées

L’autre critique porte sur la gestion de la contamination des aliments. Malgré la découverte de hauts niveaux de radiations dans du lait ou des légumes à feuilles (épinards, persil...), les ventes ne sont pas systématiquement interdites.

Autrement, le gouvernement a rendu publique à deux reprises, une fois en avril, puis le 17 mai, une carte des zones contaminées. Pour les zones les plus touchées, qui s’étendent jusqu’à une quarantaine de km en direction du nord-ouest de la centrale et dont les populations, environ 80 000 personnes, doivent être évacuées avant la fin mai, il a fixé des niveaux acceptables de radiation à 20 milliSieverts (mSv) par an, une décision qui a incité l’expert en radioprotection, et professeur à l’université de Tokyo Toshiso Kosako à démissionner le 29 avril de son poste de conseiller du gouvernement.

« Il est rare que des travailleurs du nucléaire soient exposés à 20 mSv de radiation en un an. D’un point de vue académique et humain, je ne peux pas accepter que des enfants le soient », avait-il déclaré, en larmes, lors de la conférence de presse donnée après avoir quitté son poste. Il avait également critiqué le gouvernement pour la lenteur des autorités à activer le système de prévision de diffusion des radiations Speedi et à dévoiler les informations collectées par la suite. « Le gouvernement a ignoré la loi, avait-il ajouté. Il a pris des mesures au coup par coup, échouant à reprendre rapidement le contrôle de la situation. »

Évolution des discours

Le mécontentement de M. Kosako est révélateur d’un malaise. Lui-même a toujours été un fervent défenseur du nucléaire. Il faisait notamment partie des critiques du sismologue Katsuhiko Ishibashi, l’un des rares à avoir dénoncé la vulnérabilité des centrales nucléaires japonaises aux tremblements de terre. Inventeur en 1997 du concept de « Genpatsu-Shinsai » – un puissant séisme suivi d’un accident nucléaire – le Pr Ishibashi a toujours critiqué l’aveuglement des décideurs dans leur volonté de construire des centrales à tout pris dans des zones extrêmement dangereuses sur le plan sismique, c’est à dire, à ses yeux, dans tout le Japon.

Toshiso Kosako n’est pas le seul à avoir fait évoluer son discours. Même le président de la Commission de sûreté nucléaire Haruki Madarame, lui aussi grand promoteur de l’atome et très critique des positions du Pr Ishibashi, a reconnu le 1er avril, au côté de 15 experts pro-nucléaires, le danger de l’accident de la centrale de Fukushima.

De même, le 20 mai, l’organisme qu’il dirige a organisé une conférence de presse sur le « malentendu » suscité par la fixation de la limite des 20 mSv par an, pour préciser qu’il « était mieux de limiter l’exposition au maximum », tout en regretant que « certains aient pris l’information du gouvernement comme le signal qu’être soumis à 20 mSv par an était acceptable ».

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