Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/06/07/assistance-sexuelle-le-cheval-de-troie-de-la-prostitution-entre-au-ministere-des-solidarites-et-de-la-sante/
L’AVFT était invitée par le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), lundi 6 février 2023, à un débat public sur le thème « Quelle vie intime, sexuelle et affective pour les personnes handicapées ? » pendant lequel les intervenant.es de diverses associations spécialistes du handicap [1] se sont acharné.es à faire du recours à la prostitution un accès aux soins, proposant la mise en place d’une « assistance sexuelle ».
Un pseudo débat
Le Ministère des Solidarités et de la Santé a donc abrité un débat sur la prostitution, sans que ne soit présente parmi les intervenant.es la moindre association féministe et/ou association représentant des personnes concernées par la prostitution, ne laissant la parole qu’aux associations défendant le droit d’y recourir.
Dans la salle, l’ambiance est bon enfant. On fait quelques blagues, on rit. Céline Poulet, secrétaire générale du Comité Interministériel du Handicap, anime la conférence tel un jeu télévisé. D’une voix enjouée, elle demande aux personnes présentes en visio « allez les jeunes on lève les bras ! », les invitant à manifester leur présence – d’une façon festive. Quand on parle d’asservissement sexuel des femmes, le cœur est à la ola.
Entretenir le flou
Présenté comme un débat public, il s’agit plutôt d’une conférence, pendant laquelle les différent.es intervenant.es exposent leurs constats sur la vie affective, intime et sexuelle des personnes handicapées puis font des propositions sur la façon de mettre en place un projet « d’assistance sexuelle ».
Pendant environ trois heures, les sujets abordés sont très larges : accès à un logement digne, formation des professionnel.les de santé aux différents handicaps, facilitation de l’accès aux soins médicaux, notamment gynécologiques et urologiques, accès à la mammographie, à de l’information médicale, à l’éducation sexuelle…
L’ « assistance sexuelle » se retrouve noyée dans la diversité de ces sujets, une stratégie permettant de créer une confusion. De quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’« assistance sexuelle » ? De prostitution, d’éducation sexuelle, d’accès aux soins ?
Les intervenant.es refusent d’ailleurs d’utiliser le terme « prostitution ». Le médecin de l’UNESCO estime même, sans étayer son propos, et pour cause, qu’« on ne peut pas rapprocher ces services (sic) de la prostitution ». Pourtant, Ingrid Geray, avocate membre du comité exécutif de la chaire UNESCO santé sexuelle & droits humains, explique au contraire qu’il faut trouver « un coin du droit dans lequel on articule le droit au respect de la dignité des personnes handicapées et celui des victimes de la prostitution ».
Ce flou entretenu volontairement a pour but de faire de la prostitution un soin, de l’accès au corps d’autrui un droit, et ainsi d’empêcher une opposition.
La malhonnêteté est à son comble quand, à la fin de l’évènement, Jerôme Boroy, président du CNCPH, demande à ce qu’un sondage soit fait dans la salle. La question est « êtes-vous d’accord avec les propositions qui vous ont été faites aujourd’hui ? ». Une personne dans l’audience demande « toutes les propositions ? Ou juste celle sur l’assistance sexuelle ? » et Jerôme Boroy de répondre « l’ensemble des propositions, sans distinction ». Ainsi est-il demandé à l’audience de se prononcer à la fois sur l’accès à un logement digne, aux soins médicaux, à l’éducation sexuelle, et au projet « d’assistance sexuelle », dans une grossière tentative d’égalisation des problématiques.
Instrumentaliser les revendications des personnes handicapées
La façon dont les propos des personnes handicapées sont récupérés constitue l’escroquerie majeure de ce pseudo débat. Un mini-reportage nous présente Alexandre, un homme handicapé, qui raconte : « on a honte de ressentir du désir, on a l’impression d’être monstrueux, la sphère politique doit s’en préoccuper, ça touche à la dignité humaine ». Ce témoignage met en lumière le discrédit jeté sur les personnes handicapées qui légitime leur exclusion, les multiples discriminations dont iels font l’objet, et la privation de leurs droits et libertés.
Ce témoignage démontre à lui seul que le projet d’assistance sexuelle ne répond pas à la déshumanisation dénoncée depuis trop longtemps par les personnes handicapées, dont les revendications sociales et politiques se retrouvent finalement instrumentalisées pour défendre le système proxénète [2]
Comme l’explique dans son manifeste l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) qui lutte pour les droits des femmes handicapées et en particulier contre les violences sexuelles commises à leur encontre, la possibilité pour les personnes handicapées d’avoir une sexualité est surtout entravée par le manque d’accès à l’ensemble de leurs droits.
FDFA revendique notamment une éducation affective et sexuelle hors des schémas pornographiques dès le plus jeune âge, la déconstruction des idées reçues sur le handicap, par une sensibilisation dans les établissements scolaires et une mixité entre enfants handicapé.es et valides dans le même espace social, l’accès universel aux lieux de loisirs, de sports, de travail et de vie sociale et le développement d’aides techniques pour favoriser la vie quotidienne.
Ces revendications traduisent, comme la parole d’Alexandre, un refus de naturaliser le handicap et la nécessité de lutter contre l’entreprise de déshumanisation qui en découle. C’est le contre-pied absolu des échanges du jour qui, par leur approche médicale plus que politique et situationnelle du handicap, véhiculent une vision dominante et aliénante de celui-ci.
Ainsi, y répondre par la possibilité d’acheter un acte sexuel est un aveu d’abandon de l’ensemble des revendications des personnes handicapées.
Dans ce contexte où les problématiques et les revendications exprimées par les personnes handicapées sont ignorées voire manipulées, il n’est pas étonnant que le fait que les femmes handicapées soient très exposées aux violences sexuelles soit traité à la légère par les intervenant.e.s.
Ils et elles ne se soucient non seulement pas d’étayer ce sujet, mais démontrent en plus leur incompétence en recourant à des chiffres bien en dessous de la réalité, heureusement corrigés par l’association FDFA, représentée dans l’audience, qui a dû rappeler que 80% des femmes handicapées étaient victimes de violences sexuelles masculines. Par ailleurs, ce chiffre monte à 88,4% chez les femmes autistes. [3]
Leur solution pour lutter contre les violences sexuelles subies par ces femmes ? Avoir recours à l’« assistance sexuelle ». Les intervenant.es semblent défendre l’idée selon laquelle « encadrer » (entendre également, « normer »…) la sexualité des femmes handicapées par le biais de l’« assistance sexuelle » les protégerait des violences sexuelles.
Cette proposition revient, d’une part, à confondre la sexualité et les violences sexuelles et, d’autre part, à estimer que les violences sexuelles subies par les femmes handicapées pourraient être évitées par un changement de comportement de leur part, notamment en s’insérant dans un rapport marchand.
Il est en outre bien difficile de ne pas y voir un contrôle exercé sur le corps et la sexualité des femmes handicapées en plus de les savoir confrontées à de nouvelles violences de la part de leur « assistant sexuel », qui bénéficierait d’une carte d’impunité supplémentaire pour agresser dans les établissements spécialisés, là où les femmes handicapées sont les plus exposées, et alors même qu’aucune solution concrète n’est proposée pour lutter contre ces violences. En prétendant chercher à empêcher la commission de violences sexuelles sur les femmes en situation de handicap, « l’assistance sexuelle » les y exposerait en réalité bien davantage, et ce dans un cadre où les violences seraient encore plus difficiles à dénoncer. Les « assistants sexuels » mis en cause n’auraient qu’à emprunter les « arguments » des soignants accusés de violences sexuelles, qui se défendent en arguant de la confusion, par les patientes, de gestes de soin avec des violences sexuelles. [4]
On ne peut d’ailleurs faire silence sur le fait que le handicap féminin constitue une « niche » pornographique à part entière.
Vers un Etat proxénète ?
A l’ouverture de l’événement, Karine Lefeuvre, vice-présidente du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) qui avait été saisie en 2020 par Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, explique : « le CCNE estime qu’il n’y a pas d’obstacle éthique à répondre à la demande des personnes qui sont empêchées physiquement d’accéder à la vie affective et sexuelle mais que cela requiert une évolution du cadre légal pour prévoir une exception tout à fait spécifique » et parle de « droit d’accès effectif à la vie sexuelle ». Cette évolution du cadre légal, c’est une casse de l’ensemble des lois visant à protéger les femmes des violences sexuelles.
Il s’agit là d’un revirement de doctrine du CCNE, qui affirmait en 2012 : « Il ne peut être considéré comme éthique qu’une société instaure volontairement des situations de sujétion même pour compenser des souffrances réelles. Le CCNE considère qu’il n’est pas possible de faire de l’aide sexuelle une situation professionnelle comme les autres en raison du principe de non utilisation marchande du corps humain. »[5]
Les bien nommés droits de l’homme
Après avoir exposé des recommandations permettant d’améliorer les conditions de vie des personnes handicapées, une liste de propositions est établie sur la mise en place de ce fameux projet d’« assistance sexuelle ». Avant tout, il faut définir le terme. Il est question « d’accompagnement des gestes du corps », de « découverte de son propre corps et du corps de l’autre », d’« expériences sexuelles agréables », d’« aide physique pour permettre la masturbation ».
En d’autres termes, l’« assistance sexuelle » est une forme de prostitution, peu importe les jolis mots qui la déguisent. C’est d’ailleurs parfaitement assumé par l’association APPAS (Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel), mentionnée plusieurs fois pendant la conférence, qui explique sur son site qu’il s’agit d’une « prostitution spécialisée ». Elle décrit notamment dans la restitution de ses dernières études, que la première attente exprimée lors d’une « demande d’accompagnement sexuel » est « l’acte sexuel ». Il n’y a donc aucun doute à avoir quant à la signification de l’« assistance sexuelle ».
L’avocate Ingrid Geray fait valoir la légitimité de ce projet en mobilisant la Convention Européenne des Droits de l’Homme : « le droit d’entretenir des relations sexuelles est reconnu comme un droit fondamental consacré par la notion d’autonomie personnelle ». Or, ce concept juridique peut concerner la possibilité d’entretenir des relations sexuelles, mais certainement pas de pouvoir obtenir un acte sexuel par la contrainte économique d’autrui, peu importe comment l’avocate le présente.
« 95% des demandes d’assistance sexuelle sont formulées pour des hommes » rappelle FDFA, pendant la minute qui lui est cédée. Ce chiffre, contesté par Julia Tabath, administratrice AFM Téléthon, est pourtant le même que celui des études menées… par l’APPAS sur sa propre activité, publiées sur son site ! Sans surprise, ce chiffre rejoint ceux obtenus des diverses études sur la prostitution…
Avec tout le pragmatisme propre aux défenseurs du système proxénète, vient se poser la question des conditions de l’organisation de l’assistance sexuelle.
On assiste alors à des échanges cyniques :
Une personne dans l’audience demande comment trouver des « assistant.es sexuel.les ». On parle alors de « recrutement ». Sebastien Claeys, responsable de la communication et du débat public de l’Espace éthique Île-de-France, répond particulièrement enjoué « ah ! Ça, c’est une vraie bonne question ! ». Après avoir réitéré son enthousiasme, la question reste sans réponse. Pourtant, elle vaut son pesant d’or. Comment ces différentes organisations comptent-elles participer à la mise en prostitution des femmes ?
Financer la prostitution et la promouvoir
Ingrid Geray explique vouloir « autoriser une assistance sexuelle à titre dérogatoire, pour que les bénéficiaires du service jouissent de la protection de l’article 122-4 du code pénal », c’est à dire que ne soient pas considérées comme pénalement responsables les personnes handicapées ayant recours à la prostitution d’autrui. Mais par quel tour de passe-passe ce qui n’est pas considéré comme socialement acceptable, car interdit par la loi, le deviendrait-il dès lors que les « clients » sont des personnes en situation de handicap ? Le handicap constituerait-il une dispense à l’éthique ? Comment est-ce possible que, tout à coup, dans une société aussi validiste et déshumanisante à l’encontre des personnes handicapées, le handicap permette de déroger à des textes fondamentaux ? Quels intérêts cela sert ?
Les idées continuent à fuser : un projet de formations régulières du secteur médico-social à la thématique de l’assistance sexuelle est proposé.
De telles formations mettraient en danger les victimes de la prostitution, et plus généralement, les victimes de violences sexistes et sexuelles.
Le discours d’un.e soignant.e ou d’un.e travailleur.euse social.e qui a été formé.e à penser la prostitution comme un travail, le sexe comme un dû et le refus d’un rapport sexuel comme la privation d’un soin serait extrêmement préjudiciable aux victimes de la traite, de la prostitution, ou de toutes autres violences sexuelles qui viendraient le/la solliciter pour de l’aide. Ainsi, le sens même du travail des professionnel.les du médico-social serait altéré, distordu par l’idéologie sous-jacente d’un tel projet, à contre-sens de la nature même de ces métiers, qui pourraient pourtant être déterminants dans l’accompagnement des victimes de violences sexuelles.
L’idée de financer le projet d’« assistance sexuelle » par le biais de l’assurance maladie et la formation par le fonds social de formation est présentée par Sebastien Claeys. Il a également été question d’un financement par la prestation compensatoire du handicap (PCH). La marchandisation du corps des femmes, une compensation ? Sans commentaire.
Une prostitution financée par les contribuables ne manque pas de nous questionner quant à la responsabilité de l’Etat, qui deviendrait alors promoteur du délit de proxénétisme.
Les intervenant.es ont laissé entendre que ces propositions pourraient être débattues dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale en 2024.
Inspiré par l’ouverture du champ des possibles de ces propositions, Pascal Simon Cauchin, prenant la parole « au titre de la CGT », évoque son soutien au projet, allant donc à l’encontre de la position abolitionniste du syndicat, comme rappelé par une représentante de la CGT, et demande si les « mineurs à partir de 15 ans » pourraient en être « bénéficiaires ». La minorité, un pas que les promoteurs.trices de « l’assistance sexuelle » se garderaient bien de franchir, ne serait-ce que pour optimiser l’acceptabilité de ce projet ? Mais pas du tout ! L’avocate Ingrid Geray lui répond que le projet ne concerne que les personnes majeures…« pour l’instant ». Une réponse qui n’est pas sans rappeler les derniers tweets du STRASS, organisation qui soutient que la prostitution serait un travail, qui partageait en décembre 2022 : « Pour rappel, la majorité sexuelle est à 15 ans pour tout le monde. SAUF pour les TDS puisque notre consentement est jugé inopérant quel que soit notre âge », après la publication d’un article du Parisien sur la prostitution des mineur.es, ayant pour titre lunaire : « Hausse de la prostitution des mineures : « celles qui sont forcées représentent une minorité » »
…Quand il s’agit de prostitution, l’adage « les femmes et les enfants d’abord » prend tout son sens.
Violences sexuelles au travail et contrainte économique : l’avocate de l’UNESCO ne voit pas le rapport
L’« assistance sexuelle » est un projet misogyne et validiste fondé sur l’idée que les hommes auraient des besoins sexuels irrépressibles, que les personnes handicapées ne seraient pas désirables, qu’un acte sexuel subi du fait de la contrainte économique pourrait être librement consenti. Toutes les femmes en font les frais.
Vous avez dit « sexualité » ?
Le consentement, abordé lors des diverses réflexions menées autour du projet d’« assistance sexuelle » est réduit par Fabrice Zurita, directeur du centre ressource IntimAgir Normandie, à une simple « autorisation », une réponse à une question. Cette définition en dit long sur sa perception des violences sexuelles, de la sexualité, et des relations humaines… Les intervenant.es réutilisent régulièrement le terme « consentement » tout au long de la conférence, sans jamais soulever ce qui permet et ne permet pas de le garantir (comme… la contrainte économique !).
En plus d’une absence totale de réflexion et d’inclusion des personnes LGBTI dans les constats et propositions qui concernent l’éducation sexuelle et l’accès aux soins, la perception de la sexualité des différent.es adhérent.es au projet semble sortir tout droit d’un livre de 1950. Ainsi, le médecin de l’UNESCO répond à la question posée par un homme handicapé « comment on fait les bébés ? » par « en ayant des rapports sexuels » puis « si vous avez du plaisir, vous saurez avoir une sexualité procréative ». Est-il nécessaire de commenter ?
Un impact sur toutes les victimes de violences sexuelles
La question de la contrainte – économique, sociale, médicale, administrative – est au cœur de l’activité de l’AVFT, puisque c’est précisément ces différentes formes de contraintes qui favorisent la commission de violences sexuelles et qui réduisent les marges de manœuvre des victimes.
En 2014, nous avions été alertées par des syndicalistes CGT de ce qu’une cadre de santé d’un EHPAD souhaitait mettre en place un projet de projection de films pornographiques auprès d’un résident, par l’entremise des auxiliaires de vie, quasi-exclusivement des femmes, qui devaient choisir le film, installer le résident nu dans son lit puis revenir pour la toilette après le visionnage. L’AVFT avait alors exprimé sa consternation par le biais d’une lettre [6] adressée au directeur de cet EHPAD, expliquant qu’il pouvait voir sa responsabilité engagée en ce qu’un tel projet exposerait son personnel à des agissements qui pourraient être qualifiés de harcèlement sexuel.
En 2021, nous analysions en quoi le fait de considérer la prostitution comme un travail constituait « un puissant frein à la lutte contre les violences sexuelles au travail »[7] : abaissement des standards de sécurité psychique et physique au travail, difficulté voire impossibilité de faire reconnaître que la « contrainte, élément constitutif du délit d’agression sexuelle et du crime de viol, puisse être de nature économique ».
Nous l’illustrions par deux décisions, une ordonnance de non-lieu du TGI de Grenoble du 12 décembre 2018, et un arrêt de la chambre sociale de la Cour d’appel de Toulouse du 10 mai 2019 [8]. La première rejetait la qualification de viol au motif que « si la notion de viol « sous contrainte économique » était effectivement retenue par le droit pénal français, cela reviendrait, notamment, à poursuivre et punir l’ensemble des personnes ayant recours aux services de prostituées, dans la mesure où le consentement de celles-ci aux actes sexuels pratiqués n’aurait, nécessairement, pas été obtenus de manière totalement libre et éclairées, mais parce que ces dernières y sont, le plus souvent, contraintes économiquement. […] De plus, Mme X. a affirmé que M. Z avait tenu ses engagements à son égard en lui confiant le poste de comptable qu’elle convoitait et en lui faisant bénéficier d’augmentations de salaire […] de sorte que cela signifie clairement qu’il y avait eu un « arrangement » entre eux quant à la contrepartie à donner aux actes sexuels obtenus ». Pour cette juge d’instruction, le viol sous contrainte économique est donc un « arrangement ».
L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse, lui, déboutait une auxiliaire de vie qui demandait la condamnation pour harcèlement sexuel de son employeur, un homme handicapé, qui lui avait demandé de le masturber. Elle avait été licenciée après lui avoir opposé un refus.
Estimant qu’il s’agissait d’une demande entrant « dans le cadre de ses fonctions d’auxiliaire de vie », la Cour d’appel de Toulouse avait considéré qu’un acte de nature sexuelle pouvait faire partie de la fiche de poste de la salariée.
En prétendant que des actes sexuels peuvent être contractualisés, le projet d’« assistance sexuelle » viendrait officialiser, banaliser, généraliser, ce type de décisions scandaleuses qui privent les femmes de l’exercice de leurs droits et les découragent à obtenir justice.
C’est ce que tentait d’expliquer lors de ce « débat » Tiffany Coisnard, juriste à l’AVFT, estimant que tout le contentieux des violences sexuelles commises du fait de la contrainte économique serait marqué par un tel projet. Elle rappelle que notre association est régulièrement saisie par des femmes du secteur médico-social victime de violences sexuelles, ce secteur cumulant des facteurs de risques importants, et que le projet d’assistance sexuelle les y exposerait encore plus. Elle donne pour exemple « un employeur handicapé qui demande un acte de nature sexuel à son aide à domicile, c’est du harcèlement sexuel. Que se passe-t-il pour elle ? On estime qu’il s’agit d’une extension de son poste ? », faisant référence à la décision précitée. L’avocate Ingrid Geray répond « mais non pas du tout… Ça n’a pas de rapport ».
La carte joker du « cadre »
Malgré les haussements de sourcils méprisants, les grimaces et les interruptions qui lui sont opposées par les intervenant.es, Tiffany Coisnard insiste : « qu’est-ce qui se passe pour une auxiliaire de vie qui travaille dans un établissement, qui doit accueillir la demande d’assistance sexuelle, qui doit ensuite nettoyer le résident après l’acte sexuel ? » puis conclut « tout ce qui constitue votre projet contrevient aux lois sur le harcèlement sexuel au travail ».
Elle se voit juste répondre « c’est pour ça qu’il faut un cadre ». Cette idée de « cadre », revenue plusieurs fois sur la table, n’a jamais été détaillée. Elle n’a été qu’une carte joker agitée à tout va en réponse à chaque question portant sur les enjeux éthiques et juridiques de l’assistance sexuelle.
Fabrice Zurita répond quant à lui que l’auxiliaire de vie de cet exemple serait justement protégée par la mise en place d’une « assistance sexuelle », puisqu’elle ne serait plus que l’intermédiaire entre « l’assistante sexuelle » et « son bénéficiaire ».
D’abord, il est inconcevable que ce qui constituerait une violence sexuelle à l’encontre d’une auxiliaire de vie deviendrait soudainement un travail lorsque subi par une autre femme. Cette division des femmes est bien connue : elle repose sur le postulat que des femmes aient pour fonction même d’être violentées, et sur la déshumanisation des femmes prostituées, à l’encontre de qui il serait socialement acceptable de commettre toute violence.
Ensuite, Fabrice Zurita refuse de comprendre le problème à faire d’une auxiliaire de vie la complice de la mise en prostitution d’autrui, les conséquences que cela pourrait avoir sur son propre travail, et le fait que cela constituerait en soit du harcèlement sexuel, puisqu’elle serait exposée à des propos et comportements à connotation sexuelle, dirigés ou non à son encontre, portant atteinte à sa dignité.
Cette négation n’est pas particulièrement étonnante de la part d’un homme qui, un peu plus tôt, avait considéré que « l’assistance sexuelle » se situait dans « dans un flou juridique » – alors même que la loi est parfaitement claire quant à l’interdiction d’achat d’actes sexuels, peu importe la situation de la personne qui y a recours – et qui déplorait le fait qu’une personne handicapée exprimant « un besoin sexuel » ne trouve pas de réponse : « les aides à domicile, les auxiliaires de vie, les infirmières, elles répondent toutes « c’est pas mon métier » ». Mince alors ! Elles pourraient faire un effort…
Interrogée sur la notion de contrainte du fait du lien de subordination entre « l’assistante sexuelle » et le « bénéficiaire » par une représentante de la MIPROF, qui a précisé son engagement abolitionniste et le refus de ce projet, Ingrid Geray explique que l’« assistante sexuelle » devra avoir une activité principale afin d’éviter que la majeure partie de ses revenus ne provienne de cette deuxième activité. Celle-ci ne serait « qu’accessoire », ce qui préviendrait qu’elle ne soit contrainte.
Autrement dit, Ingrid Geray réussit l’exploit de faire croire qu’avoir un emploi si précaire qu’il nécessite de se prostituer pour arrondir ses fins de mois permet de garantir le libre consentement.
Quelques autres organisations ont pris la parole pour s’opposer au projet, notamment, Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), la Fondation Scelles et une représentante de la CGT, qui a rappelé que « pour la CGT, ce n’est pas un travail ».
Ce sont donc sept minutes trente (une minute trente par personne) sur un événement de 4h qui ont été consacrées au sort des femmes, pourtant premières concernées. Elles sont restées le non-sujet de l’événement.
L’équipe de l’AVFT.
Notes
[1] Noms des organisations et intervenant.es présent.es : Jérôme Boroy, président du Comité National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH). Céline Poulet, secrétaire général du Comité Interministériel du Handicap (CIH). Karine Lefeuvre, vice-présidente du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE). Agnès Bourdon-Busin, membre du Comité Parentalité des Personnes en situation de Handicap. Marylène Fournier, directrice d’une maison d’accueil spécialisée (MAS). Julia Tabath, administratrice AFM Téléthon et secrétaire du Collectif Handicap et Sexualité Ose (CH(s)OSE). Fabrice Zurita, directeur du Centre Ressource IntimAgir Normandie. Sébastien Claeys, responsable de la communication et du débat public de l’Espace éthique Ile-de-France. Isabel Da Costa, vice-présidente APF France Handicap. Ingrid Geray, avocate et membre du Comité exécutif de la Chaire UNESCO Santé sexuelle & Droits humains.
[2] Terme utilisé dans le sens que Marie-Victoire Louis, cofondatrice de l’AVFT, lui a donné, comme englobant toutes les personnes tirant un bénéfice de la prostitution d’autrui, ceux que l’on nomme les « clients » y compris. Voir Abolir la prostitution ? Non, abolir le proxénétisme, Marie-Victoire Louis, 2005.
[3] 39 femmes autistes sur 10 victimes de violences sexuelles : l’étude de 2018 enfin publiée ! – AFFA Association Francophone de Femmes Autistes (femmesautistesfrancophones.com)
[4] Violences sexuelles : un neurochirurgien (finalement) poursuivi par ses pairs – Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (avft.org)
[5] sources, avis 118 CCNE PROJET DE TEXTE V8 relue BW relue FB relu XL relu AMD le 14 mai (ccne-ethique.fr)
[6] https://www.avft.org/2015/01/26/lettre-au-directeur-dun-ehpad-au-sujet-de-lutilisation-de-la-pornographie-comme-methode-therapeutique
[7] Violences sexuelles au travail : de notables avancées contrariées par des freins idéologiques, M. Baldeck, in Violences sexuelles, en finir avec l’impunité, sous la direction d’Ernestine Ronai et Edouard Durand, éditions Dunod, mars 2021.
[8] CA Toulouse, 10 mai 2019, RG :17/02966
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