Le plus inquiétant, c’est que le nouveau règlement du travail chez Actiris semble bien faire tache d’huile. Déjà des projets dans ce sens se sont fait entendre au sein de l’administration de la Région de Bruxelles-Capitale tandis qu’au CPAS de Namur une proposition d’autorisation du port du foulard suscite des oppositions (3). Il s’agit justement de services publics qui devraient être attentifs à montrer l’exemple de la non discrimination. Même si ces mesures discriminatoires ne sont pas systématiquement appliquées, elles pourront l’être à la moindre occasion, offrant aux employeurs toute latitude pour embaucher ou licencier à leur gré en alléguant le règlement. L’interdiction de port de signes religieux pourrait alors devenir un dispositif de régulation du marché du travail.
Quel est alors l’avenir des femmes sur un marché du travail déjà segmenté et profondément inégalitaire ? Le récent monitoring socio-économique (4) conclut que « Les données semblent indiquer que les femmes d’origine étrangère font face à une double discrimination : le fait d’être une femme et le fait d’être d’origine étrangère ». Les femmes les plus désavantagées sur le marché du travail sont originaires du Maghreb ou des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, dont certains majoritairement musulmans, comme la Turquie. L’interdiction du foulard ne fera que rajouter une discrimination supplémentaire aux obstacles déjà existants.
A l’école comme au travail, ces mesures d’exclusion ne touchent que des personnes de sexe féminin. Le principe de neutralité ne sert ici qu’à s’acharner contre une catégorie de femmes minoritaires, vulnérables socialement et économiquement. L’interdiction du port du foulard, puisque c’est bien cela qui est visé, n’apportera aucune réponse aux vrais problèmes touchant les écoles (réputation de l’école, autorité contestée des enseignant-e-s, sexisme et machisme) ou les entreprises publiques (crispations et divergences entre employeurs et employé-e-s, entre syndicats, entre travailleur-e-s).
Ce qui compte à nos yeux, c’est la neutralité des actes, pas celle des apparences. Il n’est pas impossible de penser autrement, de sortir de cette alternative stérilisante (pour ou contre le port de signes convictionnels). Si notre souci commun est bien l’émancipation des femmes, la possibilité de choisir leur vie, nous savons que cela passe obligatoirement par l’accès aux études et à l’emploi (deux des plus anciennes revendications féministes). Mais pour cela, il faut pouvoir s’écouter et travailler ensemble à ce que le principe de neutralité auquel toutes et tous nous tenons, puisse être défini de manière positive et non par des exclusions. A la peur, la méfiance, la suspicion nous préférons l’espoir, la confiance et le dialogue.
A l’initiative de féministes, cette lettre a été signée par diverses associations et une centaine de personnes du monde associatif, politique et académique.
Notes :
(1) Les premières signataires : Elisabeth Cohen, Ouardia Derriche, Irène Kaufer, Nadine Plateau, Gratia Pungu, Farida Tahar.
(2-) Une employée dans ce cas de figure a reçu son préavis et a entamé une action.
(3)- La direction du CPAS de Namur a proposé d’autoriser le port du foulard pour les travailleuses détachées sous article 60 chez un employeur privé.
(4)- Publié par le SPF Emploi et le Centre pour l’Egalité des Chances.
Pour signer cet appel, rejoindre le groupe Facebook : https://www.facebook.com/groups/571916652868773/permalink/571920109535094/