Tiré du site de l’IRIS.
Rappelons que le nouveau premier ministre albertain s’est fait élire sur plusieurs promesses phares dont celle de stopper la livraison de pétrole et de gaz naturel à son voisin, la Colombie-Britannique, si celui-ci maintenait son opposition à l’agrandissement du pipeline Trans Mountain et à la tenue d’un référendum pour forcer le gouvernement fédéral à modifier le programme de péréquation. M. Kenney souhaite en effet, comme beaucoup de ses concitoyens, que les paiements de l’Alberta aux autres provinces diminuent. Or, cette mesure vise principalement le Québec, qui bénéficie de la péréquation.
Que l’on soit en accord ou non avec la position albertaine, il faut essayer de comprendre l’étau dans lequel s’est placée l’Alberta, qui traverse une période économique difficile depuis la baisse des prix du pétrole en 2012. À titre indicatif, depuis 4 ans, près de 125 000 emplois ont été perdus dans le secteur de l’énergie, fer de lance de l’économie de la province. De plus, l’industrie du gaz naturel étatsunienne continue de créer une forte pression à la baisse sur les prix, menottant ainsi les possibilités d’exportations de pétrole vers nos voisins du Sud. Pas étonnant que dans ces circonstances les géants de l’industrie aient abandonné l’Ouest canadien depuis quelques années déjà. Cela s’explique par des coûts de production trop élevés par rapport au marché. Finalement, les perspectives d’une industrie qui deviendrait progressivement plus écologique sont extrêmement limitées. Bref, ça va mal pour l’Alberta, qui se vantait de sa vivacité économique dans les années 2000.
Est-ce que cela veut dire que l’on doit subventionner l’industrie des sables bitumineux ou construire des pipelines à qui mieux mieux ? Certainement pas.
Rappelons que l’industrie des sables bitumineux albertaine est excessivement polluante. Pour vous donner une idée : en 2017, elle générait 77,9 mégatonnes équivalent Co2 (mteqco2) soit 9,2 % de l’ensemble des émissions du Canada (annexe 3 p. 52). C’est à peu près l’équivalent de l’ensemble des émissions de GES produites au Québec (p. 48), une province qui compte pourtant près du double de la population albertaine. Cette situation est inquiétante, alors qu’en 2017, le Canada émettait 716 mteqco2 soit 114 mteqco2 de plus qu’en 1990 et 205 mteqco2 de plus que les objectifs pour 2030. Pire, l’industrie des sables bitumineux annule les efforts faits par les autres industries canadiennes.
De plus, alors que les préoccupations environnementales gagnent du terrain partout sur la planète, il y a peu de chance que le pétrole des sables bitumineux, considéré comme un des plus sales au monde par plusieurs, puisse trouver de nombreux acheteurs sur le long terme.
À l’heure où la quasi-totalité du pays fait des efforts pour réduire l’émission de GES, M. Kenney considère que l’exploitation pétrolière fait partie de la culture albertaine et se place déjà comme un des acteurs importants dans la contestation de la taxe carbone au Canada, principal outil de la politique canadienne de lutte contre les changements climatiques.
Par ailleurs, bien que l’on puisse contester les choix historiques de l’Alberta de diminuer les redevances des pétrolières lors de l’âge d’or de l’extraction des sables bitumineux et souligner l’incapacité de la province à diversifier son économie, un problème demeure : doit-on attendre que le marché laisse tomber brutalement les gens qui vivent de cette industrie ? Sinon, comment favoriser une transition énergétique qui permettrait d’atteindre les cibles de diminution des GES ?
Attaquer l’Alberta à propos de ses pratiques économiques n’aboutira à rien, et laisser M. Kenney se faire du capital politique à travers le « Québec bashing » ne fera qu’augmenter les tensions entre les provinces et leurs citoyennes et citoyens respectifs. Il serait plus avisé de commencer à rechercher des solutions concrètes pour sortir l’Alberta du bourbier.
À ce propos, il serait préférable que les gouvernements fédéral et albertain agissent de manière conjointe et proactive pour organiser une sortie progressive des sables bitumineux. Pour ce faire, il faudra assurer un coussin aux employé·e·s de cette industrie de sorte à favoriser leur reconversion vers des secteurs efficaces énergétiquement. Le gouvernement fédéral pourrait utiliser des fonds afin de diversifier l’économie albertaine. Si les propositions fédérales viennent avec un financement intéressant, on peut croire que les discussions entre les deux juridictions seront plus harmonieuses. Cela pourrait peut-être passer par la péréquation, si on y ajoute des intrants environnementaux. Une chose est sûre, les dérèglements climatiques ont des effets sur l’économie et sur la qualité de vie de tout un chacun. Or, il est impossible de réfléchir à la transition écologique sans faire des investissements majeurs pour transformer les politiques industrielles du Canada, car on ne peut compter sur l’industrie privée pour le faire. En somme, mieux vaut chercher des solutions plutôt que de se lancer éperdument dans des guerres de clocher qui ne rapportent rien à personne.
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