21 octobre 2017 | Tiré de mediapart.fr
Le clash télévisuel entre Christine Angot et Sandrine Rousseau, le procès de Pontoise où un homme était jugé pour « atteinte sexuelle », et non pour viol, envers une enfant de 11 ans parce que le parquet l’avait jugée consentante ou les hashtags #metoo ou #balancetonporc tournent tous autour de la notion de consentement.
Delphine Dhilly, documentariste, à la fois pour la radio et la télévision, travaille sur ce sujet depuis maintenant deux ans. Cela a donné lieu à plusieurs émissions diffusées dans « Les pieds sur terre », sur France Culture (à écouter ici et là), et à un film intitulé Le Sexe sans consentement, qui sera diffusé prochainement sur France 2. Entretien et extraits du film.
Peut-on définir avec précision ce qu’est le consentement ?
Dephine Dhilly : L’absence de consentement est définie par la loi comme ce qui permet de caractériser le viol ou l’agression sexuelle. Le viol est défini par le code pénal comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise. Les agressions sexuelles sont des atteintes sexuelles commises avec violence, contrainte, menace ou surprise qui se distinguent du viol par l’absence de pénétration.
Mais, dans mon film, je me suis intéressée à la « zone grise », où il n’y a ni consentement, ni pourtant violence, contrainte, menace ou surprise : ce que j’ai appelé le « sexe sans consentement », mais qui n’est pourtant pas nécessairement le fruit d’une agression ou d’un harcèlement tombant sous le coup de la loi. Le consentement demeure, en effet, une notion aux contours flous. Le consentement, lorsqu’il est le produit d’un rapport de force explicite ou implicite, devient, en effet, un « consentement vicié » qui s’écarte significativement de ce que l’on entend communément par ce terme.
Il demeure un trou juridique par rapport à tous les cas que j’ai rencontrés, de ces filles qu’aucun avocat ne voudrait défendre, du moins en France, parce que l’accusation de viol ou d’agression ne tiendrait sans doute pas. Ce serait probablement différent en Suède, par exemple, comme l’a montré le cas Assange, accusé d’avoir abusé d’une femme avec laquelle il se trouvait au lit et avait déjà, auparavant, eu un rapport sexuel. C’est un film qui porte donc sur cette zone d’ombre, pour laquelle on manque de mots pour décrire des situations où des filles cèdent, sans pour autant avoir consenti.
Quels sont alors les mots employés ?
Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, je n’ai au départ obtenu que des euphémismes : le moment « pas cool » ou « dégoûtant », celui où « je me suis forcée », celui où « je n’ai pas osé dire non ». Il s’agit du moment où, dans un processus de rencontre ou de séduction, tu as souvent trop honte de passer pour une « allumeuse » si tu recules. « Too ashamed to say no », pour reprendre les termes de la romancière Esther Freud…
Quand je demandais aux filles d’approfondir, la plupart me parlaient alors « d’agression sexuelle » plutôt que de viol, non pas pour distinguer, comme le fait la loi, les actes avec et sans pénétration, mais parce que la plupart n’osent pas dire qu’elles ont eu le sentiment d’être violées. Elles font en effet une différence entre ce qui est leur est arrivé et ce qu’elles appellent par comparaison le « vrai viol », c’est-à-dire le viol par un inconnu dans la rue.
Le viol n’est en effet pas seulement défini par la loi, mais aussi par un imaginaire mental et médiatique qui considère parfois, à l’instar de certaines brigades de police, comme un « petit viol », ou un « miol », c’est-à-dire un « viol, mouais », la relation imposée par quelqu’un avec lequel vous étiez impliquée, soit en lui envoyant des photos, soit même en ayant eu, auparavant, des relations sexuelles avec lui. Certaines filles aimeraient qu’il existe un autre terme, même si la plupart des féministes préfèrent une extension du terme de viol à toute relation non désirée, y compris dans un cadre conjugal. Ce qui est certain, c’est qu’il y a comme une faille juridique qui ne permet pas de définir et donc, à certaines filles pour lesquelles les conséquences sont parfois graves, de se sentir entendues.
Le consentement est une notion qui se trouve aujourd’hui au carrefour de maints débats médiatiques, politiques, judiciaires… Comment s’est répandu ce terme qui paraît bien davantage utilisé aujourd’hui qu’hier ?
C’est vrai que l’usage extensif de cette notion, en France, ne date que de quelques années. Aux États-Unis, cela remonte à plus loin. Des affaires très médiatisées, à l’instar de celle de Julian Assange, ont contribué à populariser la notion et les questions qu’elle soulève. Dans l’éducation sexuelle, on commence à l’enseigner, alors que pour ma génération – j’ai 38 ans –, l’éducation dite sexuelle ne parlait que des MST, des risques de grossesse et de tout ce qui est physique, et pas du consentement, qui relève davantage du domaine psychologique.
À partir des paroles que vous avez recueillies, peut-on repérer des frontières nettes entre ce qui relève du consentement et ce qui n’en relève pas ?
À partir du moment où il y a eu un non, ce n’est pas du consentement, même si beaucoup d’hommes considèrent encore que cela peut vouloir dire oui. Ce n’est pas parce qu’une fille a dragué quelqu’un, ou même qu’elle a couché avec lui auparavant, que toute relation sexuelle serait, ensuite, voulue.
Le problème le plus souvent soulevé par les associations qui s’occupent de ces sujets porte sur le fait que le consentement doit être éclairé. Quelqu’un qui est hébété, qui ne répond pas, qui ne bouge pas, n’est pas consentant. Il faut vouloir et pouvoir manifester un désir clair, même si je ne pense pas qu’il faille signer un contrat à chaque étape de la relation de séduction.
Aux États-Unis, on évoque parfois la nécessité d’un « consentement affirmatif ». Est-ce vers cela qu’il faut se diriger ? La nécessité d’un consentement « affirmatif » ne risque-t-elle pas d’entraîner une trop grande formalisation des rapports sexuels ?
Aux États-Unis, il faut avoir dit oui pour qu’il puisse se passer quelque chose entre deux personnes. Sur certains campus, on a même créé des applications ad hoc. Je ne suis pas sûr que de tels procédés puissent s’appliquer en France. Je pense qu’un travail d’éducation et d’apprentissage du désir est plus approprié et important. Si les filles étaient davantage éduquées à assumer leurs désirs, à savoir dire oui, elles sauraient aussi sans doute mieux dire non. Autant les hommes doivent apprendre à écouter ce que disent les femmes, autant les filles doivent apprendre à exprimer leur désir, et leur non-désir.
La notion de consentement dépasse ce que recouvre strictement ce terme : cela engage tout un rapport à l’éducation et à l’éveil sexuels. Quand on est une petite fille, dans une grande majorité de milieux sociaux, on ne nous apprend pas à vivre nos désirs sexuels, à suivre nos intuitions, on ne nous dit pas que nous ne sommes obligées à rien.
J’ai aussi fait ce film parce que je sais que la première fois où cela m’est arrivé, je n’ai pas réussi à dire non, parce que j’avais peur, parce que je ne savais pas me comporter, parce que je ne savais pas quoi faire avec mon corps. Si j’avais réussi à parler, si je n’avais pas eu peur de dire ce que j’avais envie, et ce que je ne voulais pas, cela ne se serait peut-être pas aussi mal passé. La notion du consentement permet d’interroger tout le reste de la relation.
Aux États-Unis, la manière dont doit être exprimé le consentement me paraît sans doute excessive. Mais si cela, en attendant, permet aux mentalités d’avancer et de prendre conscience de la gravité et de l’étendue du phénomène, il faut tout de même passer par des règles sur les campus pour protéger les jeunes femmes.
J’aimerais qu’il soit possible d’affronter le problème, bien réel, du non-consentement, sans pour autant agiter le spectre de devoir signer une décharge à chaque fois qu’on va baiser. Il doit être possible de changer la culture résumée par l’expression courante « qui ne dit mot consent », sans pour autant signer un contrat dès qu’on commence à échanger des regards.
La nécessité du consentement signifie-t-elle de repenser tout ce que recouvrent à la fois le terme et les pratiques de la séduction ?
Bien sûr. Mais redéfinir les choses ne veut pas dire que la séduction disparaîtra ! La prise en compte du consentement est simplement un élément permettant qu’il y ait moins de moments « pas cool ». Et cela peut aussi être sexy et intéressant d’intégrer cette dimension. Dire qu’on peut redéfinir les codes ne veut pas dire que tout va être normé, simplement que les codes peuvent évoluer et être plus variés que l’homme viril qui séduit la fille, même quand elle ne veut pas vraiment.
Il me semble que cette transformation est déjà à l’œuvre et qu’il y a notamment un switch générationnel. Des journaux à la fois féministes et girly, comme Mademoizelle notamment, ont mis l’importance du consentement à l’agenda. Alors que certaines copines de mon âge ou plus âgées jugent, quand elles évoquent des cas où des filles ont cédé sans consentir, qu’il ne faut pas nécessairement en faire « toute une histoire », les jeunes filles d’aujourd’hui me semblent beaucoup plus conscientes de ce qui peut se nommer comme un abus, voire un viol.
Dans une émission de France Culture, vous racontez le cas d’une jeune femme qui a entretenu une liaison longue avec un homme plus âgé, qui était son supérieur hiérarchique. Le non-consentement peut-il durer plusieurs mois, voire plusieurs années ?
Oui, bien sûr. On peut le considérer comme une sorte de viol conjugal entre personnes non mariées… Mais il est évident que le consentement est un sujet qui ne se pose pas de la même manière dans le cas de relations entre adultes et mineurs, ou dans le cas de relations de pouvoir au travail, et entre adultes, ou même entre adolescents, qui n’ont pas de relations de subordination. Ce ne sont pas les mêmes enjeux, ni les mêmes manières d’aborder les problèmes que cela pose.
En matière de sexualité, et donc de consentement, il n’existe pas une seule zone grise, mais une multitude de zones d’ombre, qui sont particulièrement sensibles à l’âge où l’on découvre le désir et la sexualité, où l’on a envie de découvrir, mais où cette envie peut pousser à accepter des choses qu’on regrettera ensuite. Il n’est pas question de nier cette part d’exploration, mais de dire que cette zone grise devrait, pour les filles aussi, être un espace de liberté, de communication, de découverte. Or, la domination masculine étant ce qu’elle est, cet espace d’exploration peut très difficilement être un espace de tâtonnement. Cela ne veut pas dire qu’on va cesser de tâtonner, de jouer, de repousser certaines limites, mais qu’il est utile pour cela d’avoir en tête la nécessité du consentement. Quitte à l’intégrer à la manière dont on joue et on explore.
Comment les garçons que vous avez rencontrés pour votre travail définissent-ils le consentement ?
Une grande majorité des garçons que j’ai rencontrés affirment l’égalité entre hommes et femmes et donc la nécessité du consentement mutuel mais, quand on creuse, les stéréotypes reviennent vite. Une fille qui embrasse, mais ne veut pas coucher, est nécessairement une allumeuse. Les garçons ont souvent du mal à accepter les revirements de situation. Beaucoup d’entre eux revendiquent une séduction « à la française », où il faut batailler pour obtenir ce qu’ils désirent. Ils revendiquent l’idée du jeu et jugent souvent que le consentement explicite casse le jeu. Comme si on leur retirait la poésie de l’amour avec ce gros mot de consentement. Mais rien n’est simple, et j’ai aussi rencontré des filles qui jugeaient que le mec n’avait pas été assez viril, masculin, entreprenant…
Il existe de vrais prédateurs sexuels, des agresseurs à répétition. Mon travail porte sur un autre sujet. Avec cette notion de consentement, il s’agit pour moi d’élargir l’espace de communication pour éviter des agressions. C’est intéressant de voir que, lorsque j’ai montré le film à des hommes, beaucoup, qui m’avaient dit avant que « jamais ils ne forceraient une fille », en sont ressortis en disant « ah, peut-être que j’ai parfois été trop loin ».
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