Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Adieu, maître chez soi !

Avant 2010, à l’époque où la vaste majorité des Québécois ne connaissaient pas l’importance de la Loi sur les mines, les gazières ont claimé le sous-sol sous nos pieds, c’est-à-dire acheté les concessions au prix ridicule de 0,10 $ l’hectare. Puis, en septembre 2010, dans une série de trois conférences, elles usurpaient le rôle d’un gouvernement élu et légitime pour présenter leur projet de conquête de notre sous-sol à seule fin d’assurer leur avantage financier. Mais cette attitude de conquistadors s’est heurtée à l’indignation de la populationi ; le 28 septembre, à Saint-Hyacinthe, une soirée houleuseii a fait dire à des observateurs aguerris que, dans les HEC (écoles des hautes études commerciales), l’approche arrogante des gazières en 2009-2010 sera donnée comme l’exemple à ne pas imiter.

Lorsque Questerre Energy a radié des actifs du Québec, certains ont cru que l’épisode des gaz de schiste était terminé.iii Mais selon Michael Binnion, président de l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), cette annonce du départ de Questerre était une nette exagération.iv Il est évident que les gazières ont appris leur leçon ; le lobby des énergies fossiles a « ordonné » à son vassal, le gouvernement du Québec, de faire, en douce, la « conquête » de nos ressources à sa place. Lorsque le ministre Pierre Arcand l’a déposé le 7 juin dernier, il savait que son projet de loi 106 passerait sous le radar médiatique en ce début des vacances. Certes, ce projet de loi présente quelques points intéressants au chapitre de la transition énergétique. Mais le projet de Loi sur les hydrocarbures qu’il contient aussi reprend l’essentiel des dispositions inacceptables de l’antique Loi sur les mines, dont la première version date de 1880.

La propriété de la surface et du sous-sol sont deux choses très différentes. Mon droit de propriété pour ma maison, pour laquelle je paie des taxes et une hypothèque, s’arrête à quelques mètres sous la surface. Tout le sous-sol appartient à l’État qui à son tour peut le louer à celui qui le claime ou demande un permis d’exploration. À l’article 55 du projet de loi sur les hydrocarbures, on peut lire :« Le titulaire d’une licence de production ou de stockage a droit d’accès au territoire qui en fait l’objet... À défaut d’entente, le titulaire peut, pour l’exécution de ces travaux, acquérir ces droits réels ou ces biens par expropriation... ».v

En langage clair, cela veut dire que le titulaire du droit au sous-sol qui veut faire des travaux gaziers ou pétroliers a le droit légal de dire au propriétaire de surface de se « tasser ». Sinon, il va l’exproprier. Désormais, il serait donc illusoire de signer la pétition « Vous n’entrerez pas chez nous ». M. Arcand, inféodé aux lobbyistes gaziers, proclame la suprématie des locataires gaziers du sous-sol sur les Québécois qui sont propriétaires du sol et qui habitent le territoire. Malgré que près de 66 000 personnes aient signé cette déclaration et que ces signatures aient été déposées à l’Assemblée Nationale, désormais, le gouvernement confirme que les gazières ont le droit légal d’entrer chez nous malgré notre refus. Adieu, maître chez soi !

N’oublions pas que ce droit d’expropriation prévu par l’article 55 va ici à l’encontre du bien commun. Par exemple, le ministère des Transports a exproprié certaines propriétés pour rebâtir l’échangeur Turcot, ce qui a causé quelques grincements de dents ; mais cette action légale voulait le mieux-être de l’ensemble des automobilistes de la région métropolitaine. Ce n’est pas le cas du droit d’expropriation du projet de loi 106 ; une compagnie privée étrangère aurait le droit d’exproprier les citoyens pour pouvoir exécuter des travaux dans le sous-sol qu’elle loue et ce, pour le seul bénéfice de ses actionnaires ! Imaginons qu’une gazière déciderait d’exproprier la place Ville-Marie pour extraire le gaz de schiste du sous-sol de Montréal !!! Pourtant, l’absurdité du projet de loi 106 le permettrait !

Lorsque la Loi générale des mines a été adoptée en 1880, elle était déjà désuète car elle reposait sur la philosophie de la ruée vers l’or de la Californie en 1848 ; c’est-à-dire la loi du plus fort et du plus rusé. C’est l’image du cowboy, les deux pieds sur son claim, se proclamant « propriétaire » en mettant ses compétiteurs au défi de le déloger au cours d’un duel au pistolet. Cela fait de belles images dans un film vieillot, mais est-ce digne d’un État de droit ?

Pourtant, à quelques virgules près, le projet de loi 106 du gouvernement Couillard inclut un clone de la Loi sur les mines et des privilèges inacceptables qu’elle accordait aux détenteurs des claims. M. Couillard, nous sommes en 2016, pas en 1880 ! Est-ce que votre gouvernement est au service du peuple ou simplement au service d’une poignée de lobbyistes ?

Gérard Montpetit
Membre du CCCPEM (comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain)
Le 4 août 2016

Gérard Montpetit

Membre du comité Non au schiste La Présentation

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...