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Cette crise s’est invitée dans la présidentielle taïwanaise de janvier pour laquelle Tsai Ing-wen du Parti démocrate progressiste (PDP) est candidate à sa réélection.
Au moment où Pékin s’apprête à célébrer le 1er octobre, le 70e anniversaire de la création par Mao de la République populaire de Chine, le professeur Gunter Schubert de l’université de Tübingen en Allemagne revient sur les événements de Hongkong et la relation de Taïwan (où s’étaient réfugiés les nationalistes de Tchang Kai-chek après leur défaite face aux communistes en 1949) avec la Chine.
Chercheur de terrain et titulaire de la chaire des études sur la grande Chine, Gunter Schubert liste les points de tension dans le monde chinois.
La crise à Hongkong dure depuis plus de trois mois avec des mobilisations hebdomadaires. Quels sont les scénarios possibles ?
C’est très difficile de prédire l’évolution. Quelle sera la réaction des Hongkongais si les Chinois décident d’être plus présents et offensifs avec des militaires dans la rue ?
Pour l’instant, une partie des militants, une minorité radicale, cherchent à internationaliser cette lutte : Joshua Wong et cinq autres activistes du mouvement des Parapluies (en 2014) ont entrepris une tournée en Europe et aux Etats-Unis.
Wong est venu en Allemagne où il a rencontré des élus, des responsables du ministère des Affaires étrangères, s’est adressé au Parlement. Cela a créé un scandale avec, pour la première fois, une conférence de presse de l’ambassadeur chinois à Berlin qui a critiqué l’accueil réservé au jeune Hongkongais. Tout cela montre la nervosité des autorités en Chine.
Dans cette situation volatile, les militants prodémocratie semblent plus déterminés…
Oui, ils disent qu’ils lutteront jusqu’au bout. On entre alors dans un cycle très dangereux. Ils sont à un tournant avec un risque d’escalade.
Les manifestants cherchent aussi à mobiliser au sein de la majorité de la population. On verra si cette stratégie fonctionne.
Il est probable aussi que la mobilisation se ritualise avec des manifestations à chaque fin de semaine. Le but est de tenir, de durer. Comment réagiront les Chinois face à des bagarres de rue, à cette instabilité régulière qui ébranle la réputation chinoise. Pour l’instant, le pouvoir est ferme, calme en apparence, malgré la nervosité.
Les Chinois se retrouvent dans une impasse et c’est dans dangereux. Voilà pourquoi je suis très soucieux de la situation qui se tend.
Ce sont deux camps qui se font dangereusement face…
Les Chinois ne comprennent pas les Hongkongais. Pour eux, l’intégration de Hongkong est un long et lent processus connu et décidé dans le cadre de la rétrocession en 1997.
Quand les Hongkongais évoquent la longue érosion de leurs droits, les Chinois répondent qu’ils doivent s’adapter lentement au système de la République populaire.
Ainsi, en matière d’éducation, il est normal pour les Chinois que les élèves apprennent le patriotisme. Hongkong n’est pas un pays indépendant, c’est une partie de la Chine. Le territoire jouit de libertés, ce qui ne veut pas dire, aux yeux des Chinois, qu’elles sont éternelles. Ce processus d’ajustement va durer jusqu’en 2047.
En fait, deux rationalités complètement différentes se font face en ce moment et je ne vois pas l’espace pour un compromis entre les deux camps.
Le débat politique verrouillé, les violences de la police et des gangs empêchent-ils toute négociation ?
Les manifestants ont des demandes très concrètes. Ils exigent une enquête indépendante sur les violences commises par les forces de l’ordre, l’instauration du suffrage universel (pour élire leurs représentants au conseil législatif, le Parlement de Hongkong).
Et au-delà, c’est le plus important à leurs yeux, ils entendent créer une mobilisation internationale sur l’érosion de leurs droits, sur la démocratie. C’est plus général et aussi plus abstrait pour les Chinois qui savent que les Hongkongais disposent de droits que les Chinois du continent n’ont pas. C’est la formule « un seul pays, mais deux systèmes ».
Pékin ne veut pas d’une démocratie à l’occidentale, mais à la chinoise. Une stratégie intelligente c’est d’avoir des demandes très concrètes : une enquête indépendante, des nouveaux programmes pour l’université et l’école comme en 2012.
La lutte contre la loi sur les extraditions a été un succès, le texte a été retiré. La démocratie, les droits de l’homme c’est dangereux pour les Chinois. Ce serait plus clairvoyant de rester au niveau concret et d’avoir une lutte qui dure tant que le résultat n’est pas atteint.
Il s’agit d’une résistance à long terme. La seule réponse avec la Chine, c’est négocier, négocier, négocier, faire des petits pas, des petites bagarres. Mais pas lutter, ni casser.
Le 70e anniversaire de la création de la République populaire de Chine, le 1er octobre, est-elle une date importante ?
C’est un rendez-vous capital pour Pékin. Des violences sont d’ailleurs à craindre ce jour très symbolique ou dans les jours qui précèdent (des rassemblements en soutien aux manifestants de Hongkong sont prévus le 29 septembre dans le monde).
Il y a une phrase qui revient en ce moment : « Hongkong aujourd’hui, Taïwan, demain » pour expliquer que le même sort réservé au territoire en ce moment attend l’île dont Pékin entend prendre le contrôle depuis 1949. Qu’en pensez-vous ?
La situation est très différente. Pour l’instant, Taïwan est calme. Depuis que Tsai Ing-wen est élue, la relation entre la Chine et Taiwan est stable. Certes, il n’y a plus de communication, mais il n’y a pas de bagarre. Taïwan est prudent pour ne pas provoquer la Chine.
Les positions sont divergentes (Tsai Ing-wen est opposée à la formule un pays, deux systèmes).
Les Chinois acceptent la tenue des élections à Taïwan. Ils savent que les différends avec Taipei n’ont pas de solution dans l’immédiat. Ils sont dans une stratégie de très long terme.
Maintenant, la question de Hongkong est très dangereuse pour les Taïwanais qui peuvent être embarqués dans cette crise. C’est pourquoi le gouvernement reste très prudent dans ses prises de position, dans le soutien au mouvement.
Symboliquement, que représente Taïwan pour la Chine ?
C’est une partie de la grande nation chinoise. Et cette grande nation a toujours eu un Etat. Comme les Taïwanais font partie de la nation chinoise, ils doivent aussi dépendre de l’Etat.
Les Chinois du continent incarnent la République et ils estiment même qu’ils sont les seuls à pouvoir le revendiquer. Pour eux, la République de Chine [l’autre nom de Taïwan, ndlr] n’existe pas, seul compte la République populaire de Chine. Et le parti communiste représente cette nation.
On pourrait imaginer une représentation de la nation chinoise avec deux entités politiques différentes. Mais cela contredit complètement la vision et l’histoire du nationalisme chinois. Surtout, avec le parti communiste, ce n’est pas envisageable.
Maintenant, les Chinois comprennent malgré tout qu’à Taïwan, la séparation est bien ancrée, qu’il y a une histoire dont le cours est difficile à changer, qu’il est difficile d’imposer des choses comme ils le font à Hongkong. Ils n’acceptent pas, mais tolèrent.
Comment analysez-vous les déclarations du président chinois Xi Jinping, appelant à une réunification de la Chine avec Taïwan ?
Mais ça fait des décennies que les Chinois disent ça. Ça fait partie des objectifs chinois.
Depuis le début de l’année, il le dit d’une manière ferme, sinon martiale…
Oui, bien sûr. Il est dans les symboles. Sa vision politique est celle d’une Chine ferme et forte dont Taiwan doit faire partie.
Il n’entend pas changer de position et veut atteindre ce but. Il est convaincu de pouvoir faire ce qu’il veut sans que personne ne s’y oppose.
Il faut distinguer le niveau officiel des discours, de la réalité et du terrain. Les relations se sont détériorées depuis 2016 sur le plan diplomatique et économique.
La crise se situe au niveau des équipes dirigeantes. Elle a une influence au niveau civil et administratif, mais cela reste mesuré. Il y a des difficultés, des personnes qui sont harcelées voire arrêtées, mais tout n’est pas coupé. Il y a encore des échanges entre des municipalités, des élus locaux, des entrepreneurs, des Taïwanais qui continuent à travailler en Chine. Il y a toujours les bureaux des affaires taïwanaises et ça continue de fonctionner d’une manière régulière avec une certaine stabilité.
Les relations entre Tsai Ing-wen et Xi Jinping n’ont jamais été aussi mauvaises que depuis le début de l’année…
En effet, il n’y a eu aucune rencontre officielle, aucun échange entre les deux dirigeants. Ils ne s’entendent pas.
Je ne veux pas relativiser les dangers politiques d’une relation qui n’existe pas, mais je constate que les deux pays continuent néanmoins à travailler. Le gouvernement de Tsai Ing-wen a travaillé pendant quatre ans.
Certes, Taïwan a perdu sept alliés diplomatiques (dont deux cette dernière semaine, les îles Salomon et Kiribati qui ont choisi de reconnaître la République populaire de Chine) depuis l’élection de Tsai Ing-wen, c’est symboliquement ennuyeux. Mais cela n’empêche pas le pays de tourner. La démocratie taïwanaise est très forte, avec des institutions qui fonctionnent bien.
La relation avec la Chine va à nouveau s’inviter dans la campagne présidentielle de janvier ?
Face à cette situation, le Kuomintang [ou KMT, parti-Etat nationaliste fondé par Sun Yat-sen en 1912, ndlr], qui est dans l’opposition, n’a pas de projet politique clair face à la Chine. C’est un parti détruit sans ligne idéologique qui peut survivre seulement grâce aux fautes du gouvernement.
Or Tsai Ing-wen fait peu de fautes. Elle peut être réélue, mais il n’est pas dit que le Parti démocrate progressiste qu’elle a dirigé, gagne les législatives qui seront organisées en même temps que la présidentielle.
Longtemps, la vie politique taïwanaise a balancé entre le PDP et le KMT. Cette fois, les Taïwanais vont peut-être voter pour d’autres partis et amener la classe politique à négocier des compromis entre plusieurs forces. Ce qui peut être profitable à la relation avec la Chine.
Arnaud Vaulerin Envoyé spécial à Taipei (Taïwan)
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