Contexte
Les femmes sont plus durement touchées par la pandémie de la COVID-19 et la crise économique et sociale qui en découlent. Par exemple :
– Les femmes sont plus touchées par l’augmentation du chômage des dernières semaines, qui touchent particulièrement les emplois à temps partiel et les emplois dans le secteur des services tels l’hébergement et la restauration.
– Les femmes sont plus nombreuses dans les emplois de première ligne du système de santé, où les risques de contamination sont les plus élevés. De manière globale, 80 % des emplois dans le domaine de la santé sont occupés par des femmes.
– Ce sont aussi les femmes qui occupent les emplois où les interactions avec le public sont les plus importantes au sein des commerces essentiels. Ce sont les caissières, par exemple, dans les épiceries et les pharmacies.
– Il y a encore un écart de salaire moyen important entre les hommes et les femmes au Québec et au Canada, et la pauvreté est encore largement une réalité féminine. En situation de crise économique, les femmes sont donc surreprésentées parmi les populations les plus vulnérables.
– Toutes les problématiques ci-haut sont encore accentuées pour les femmes racisées. Elles sont encore plus surreprésentées que leurs pairs dans les emplois sous-payés des services essentiels et les emplois à statut précaire, particulièrement en ce qui a trait au soin des aînés en milieu hospitalier ou à domicile ; leur taux de chômage est plus élevé, et même en temps normal, et elles sont plus nombreuses à vivre sous le seuil de la pauvreté.
– Les mesures de confinement amplifient par ailleurs les risques de violence envers les femmes et les enfants. Celles qui sont prises à la maison avec un conjoint violent ont aussi moins d’occasions de s’éloigner pour demander de l’aide, même si les ressources sont disponibles.
– Plusieurs communautés autochtones sont particulièrement vulnérables à la pandémie, notamment à cause de la pénurie de logements qui force tant de familles à vivre dans des espaces trop restreints où la distanciation sociale est impossible. Les risques de violence envers les femmes et les enfants autochtones occasionnés par les mesures de confinement sont donc donc plus importants dans ces milieux.
– Les femmes sont plus nombreuses à la tête des familles monoparentales. Par ailleurs, la charge des enfants et des tâches domestiques leur revient encore disproportionnellement au sein des familles. La fermeture des écoles a donc un impact démesuré sur les mères québécoises, leur santé mentale et physique. La pandémie affecte plus la capacité des femmes à concilier travail et famille.
Les réalités sociales qui rendent les femmes plus vulnérables à la crise actuelle ne sont pas nouvelles. La pandémie de COVID-19 ne fait que les accentuer. Des mesures ciblées, à court terme, peuvent faire une différence concrète dans la vie de plusieurs femmes. Toutefois, pour contrer les problèmes de fond ancrés dans des inégalités normalisées au fil des décennies, il est aussi impératif de mettre de l’avant des idées ambitieuses. Il faut que la société d’après-crise réponde mieux à ses promesses entre les hommes et les femmes, et entre toutes les femmes.
Tout comme les problèmes, les pistes de solution les plus évidentes ne sont pas nouvelles non plus. Le mouvement féministe québécois, la FFQ et un grand nombre d’organismes en défense des droits portent ces combats et cherche à faire évoluer les politiques publiques depuis des décennies. Il semble toutefois qu’en ces temps troubles, l’importance revendications amenées par tant de personnes depuis si longtemps est peut-être plus saillante que jamais aux yeux du grand public. Il est plus que temps d’agir.
10 idées pour sortir les femmes de la crise
Dans ce contexte, la Fédération des femmes du Québec souhaite donc (re)mettre de l’avant 10 idées pour sortir les femmes de la crise.
1. Améliorer les conditions de travail des « anges gardiennes », de manière durable
Cela passe notamment par une augmentation substantielle des salaires et une amélioration drastique des conditions de travail. Nous sommes conscientes que cela requiert un grand chantier. Il devrait s’agir là d’une priorité nationale.
Si les inégalités de rémunération et de conditions de travail dans le système de santé québécois ont fait couler beaucoup d’encre dans les dernières semaines. Or, elles ne sont pas nouvelles.
Traditionnellement, les médecins étaient des hommes et les infirmières des femmes. Si la valorisation des professions aussi inégales, les vieux relents du patriarcat sont en grande partie à blâmer.
Les femmes racisées occupent aussi les rôles de care et de travail dans nos sociétés depuis très longtemps. Encore aujourd’hui, elles sont très nombreuses parmi les préposées aux bénéficiaires et le personnel d’aide à domicile pour nos aînés — dans la grande région de Montréal, certes, mais pas seulement. Si ces rôles sont aussi mal rémunérés, c’est aussi à cause d’inégalités sociales profondes qui ne datent pas d’hier. Nos sociétés rémunèrent encore différemment le travail en fonction de qui, en bonne partie, occupe un rôle ou un autre.
On voit bien aujourd’hui comment ces iniquités ne servent personne : ni les travailleuses ni les bénéficiaires. La sous-valorisation du travail traditionnellement féminin amplifie de facto la capacité du gouvernement à agir efficacement en période de crise de santé publique.
Remercier les « anges gardiennes » ne suffit pas. Il faut aussi cesser de les exploiter et revaloriser leur travail par des mesures concrètes.
2. Instaurer un revenu minimum d’urgence
Trop de personnes sont encore inadmissibles aux mesures d’aide d’urgence annoncées par les gouvernements provincial et fédéral. Par exemple, certaines femmes qui étaient en congé de maternité ne sont pas admissibles à l’assurance-chômage. Plusieurs femmes actives dans l’industrie du sexe, femmes sans statut et femmes impliquées dans les économies informelles passent sous le radar des catégories gouvernementales. De manière générale, les femmes sont plus nombreuses à vivre de sources de revenus précaires, qui entrent mal dans les définitions classiques.
Toutes ont droit à un revenu décent, en tout temps. Un revenu minimum garanti imposable permettrait de mieux aider toutes celles qui en ont le besoin que les programmes à la pièce où il y a toujours des exclues.
3. Augmenter le salaire minimum à 15 $
On qualifie d’essentielles toutes celles qui maintiennent les services dans les pharmacies et les épiceries, qui maintiennent les lieux publics propres, qui offrent des soins aux aînés, qui tiennent le filet social dans les organismes communautaires. Pouvons-nous désormais les rémunérer justement ?
4. Donner des suites sérieuses aux revendications des femmes autochtones
Cela fait des années que l’on nomme les solutions aux multiples problématiques qui fragilisent les communautés autochtones, et en particulier les femmes, les filles et les personnes bispirituelles. Les rapports de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, de la Commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées, et de la Commission de vérité et réconciliation existent. On ne devrait pas attendre une pandémie avant d’accélérer l’action politique. Mais il n’est pas trop tard pour s’y mettre.
5. Mieux connaître l’impact différencié de la pandémie et des mesures d’urgence, pour mieux intervenir
L’élaboration et l’évaluation des politiques publiques doivent s’ancrer dans une connaissance des faits. Quel est l’impact des mesures d’urgence sur les hommes et les femmes ? Quelles communautés sont le plus affectées par la pandémie, et pourquoi ? Quelles interventions faut-il planifier en conséquence ?
Depuis longtemps, des chercheurs dénoncent le manque de données détaillées pour mieux comprendre l’état de la santé publique au Québec et au Canada. Pourtant, aucun centre d’expertise et de référence en matière de santé publique au Québec, n’a encore diffusé d’information statistique ventilée selon l’appartenance ethnoculturelle, le sexe, le genre, la classe sociale et ; la situation d’handicap, en lien avec le virus. Il faut mieux connaître le portrait de la situation pour les femmes, et mieux comprendre quelles femmes sont les plus touchées par le virus ou encore oubliées par les mesures d’urgence.
L’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle (ADS+) permettrait aussi de répondre à ce besoin crucial d’informations et donc de prendre des décisions plus éclairées pour le bien collectif.
6. Sensibiliser la population à l’épidémie de violence genrée
L’an dernier, une femme ou une fille était tuée au Canada à chaque trois jours, en moyenne. Et bien sûr, les statistiques sur les meurtres ne constituent que la pointe de l’iceberg de la violence envers les femmes. Avec les mesures de confinement, le portrait macabre dressé par les chiffres est sûrement appelé à s’assombrir.
Par ailleurs, on sait que les personnes LGBTQIA2+ et les personnes en situation de handicap, par exemple, font partie des groupes les plus vulnérables à la violence familiale.
En cette période de crise, il est important de répondre aux besoins des maisons d’hébergement et des autres organismes qui viennent en aide à toutes les personnes qui vivent de la violence.
Il est aussi nécessaire d’opérer un changement de culture et de mettre fin à la normalisation de la violence genrée qui mène encore tant de médias à caractériser ces situations de « conflit familial » ou de « blessures amoureuses ». Les besoins en sensibilisation et en éducation populaire du grand public sont criants.
Il faut continuer de travailler à mieux soutenir les victimes tout en prenant les mesures nécessaires pour stopper la violence avant qu’elle n’affecte encore une autre génération.
7. Respecter les droits humains des femmes incarcérées
Au 18 avril, plus de la moitié des détenues de l’Établissement Joliette, dans Lanaudière, ont été déclarées positives au coronavirus. Là-bas, des unités d’isolement sont utilisées pour tenir les détenues malades à part, une mesure punitive, inhumaine et inefficace pour contenir le virus. Au Centre de surveillance de l’immigration de Laval (CSI), une quinzaine de personnes sont toujours détenues alors qu’un gardien y a été déclaré positif.
Il est urgent de se pencher sur la situation de toutes les personnes qui pourrait avoir accès à la libération conditionnelle sans que la sécurité publique en soit affectée. On parle notamment des demandeurs d’asile, des personnes dont la peine arrivait à terme sous peu, celles qui se qualifieront bientôt à la libération conditionnelle et celles qui ont été incarcérées pour des crimes non violents.
8. Bonifier le financement à la mission des organismes communautaires
Les mesures d’austérité des dernières années les avaient déjà particulièrement fragilisés. Pourtant, on prend maintenant conscience plus que jamais de l’importance cruciale des services que ces organismes rendent à la population.
Il faut par ailleurs noter que la crise du sous-financement est encore plus aigüe au sein des organismes qui desservent les femmes racisées et les femmes autochtones, lesquelles sont particulièrement vulnérables en situation de crise pour les raisons déjà nommées.
Vraisemblablement, la pression sur ces organismes restera élevée bien après le déconfinement progressif de la société. Une solution durable passe par un retour à un niveau viable de financement à la mission de ces organismes.
9. Veiller sur la santé des femmes en situation de crise
La pression sur le système de santé, les limites imposées aux personnes accompagnatrices lors des examens de grossesse et les accouchements et la suspension des accouchements à domicile : tous ces facteurs peuvent augmenter les risques de violences obstétricales et gynécologiques (VOG) et compliquer la santé maternelle. Par ailleurs, la fermeture temporaire de certaines cliniques a compliqué l’accès à l’avortement dans plusieurs régions au Québec. Dans ces circonstances, il est important de travailler de concert avec les expertes et les organismes pertinents pour évaluer l’impact des mesures d’urgence sur la santé gynécologique et obstétricale.
Par ailleurs, dans une situation incertaine où le stress augmente, l’anxiété, la dépression et plusieurs autres enjeux de santé mentale peuvent aussi devenir un enjeu de santé publique encore plus critique. Les femmes qui doivent concilier le soin des enfants avec les exigences du travail, par exemple, sont à risque d’épuisement. Or, les services en santé mentale publics, gratuits et accessibles à toutes sont encore loin d’être une réalité. Le prix onéreux des psychothérapies aux privés est dénoncé depuis longtemps.
Il est important d’améliorer l’accessibilité de ces services, maintenant, et de manière pérenne.
10. Offrir des services adéquats aux femmes en situation d’itinérance
Bien que la Ville de Montréal ait temporairement réquisitionné des espaces pour créer des centres d’hébergement pour les personnes itinérantes, il arrive souvent que ceux-ci soient pleins. Un très grand nombre d’organismes ont par ailleurs dû cesser de servir des repas aux personnes itinérantes. Les toilettes publiques des centres commerciaux et des restaurants ne sont plus accessibles. Les installations sanitaires manquent cruellement. La fermeture des banques complique l’accès à l’aide sociale. Et les rues étant désertes, les femmes ne peuvent plus compter sur les dons de la population.
Dans ces conditions, la situation des femmes en situation d’itinérance à Montréal s’est grandement précarisée dans les dernières semaines. Tout porte à croire que la réalité est aussi grave un peu partout au Québec. Il est impératif d’améliorer le service à ces populations pour qu’elles passent à travers de la crise, au-delà des seules mesures de contrôle de la contagion. Ce n’est pas que le coronavirus, mais aussi les mesures de confinements elles-mêmes qui mettent grandement leurs vies en danger à l’heure actuelle.
Pour le bien des femmes, le retour à la « normale » n’est pas une option
Nous savons aussi que les problématiques susnommées touchent plus les femmes, certes, mais pas seulement les femmes. Nous savons aussi que les solutions mises de l’avant peuvent aussi améliorer les conditions de vie d’un grand nombre d’hommes. C’est normal : le combat féministe se fait toujours dans l’objectif de plus d’équité et de justice pour toutes les collectivités.
Pour bien des femmes au Québec, la crise a commencé bien avant l’arrivée de la pandémie de la COVID-19. Nous ne souhaitons donc pas de retour à la « normale », car cette norme laissait tellement d’entre nous derrière. Nous souhaitons avancer. Et lorsque les femmes avancent, c’est toute la société qui s’en porte mieux.
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