Retour sur les formes prises par ce sexisme médiatique
« Un simple troussage de domestique » (Jean-François Kahn), « il n’y a pas mort d’homme » (Jack Lang), accusation « absurde » (BHL), etc. On s’en souvient : l’ « affaire DSK » a suscité un déferlement de sexisme parmi les élites politico-médiatiques, ravivant spontanément parmi elles des solidarités de genre mais aussi de classe [1].
Heureusement, cette « affaire » a eu le mérite de révéler – à celles et ceux qui auraient voulu l’oublier – l’actualité du combat féministe, contre le mythe d’une émancipation déjà conquise. Mais elle semble avoir aussi eu pour effet une libération de la parole sexiste, notamment dans les grands médias. Deux exemples illustrent cette tendance : celui des propos tenus le lundi 3 octobre par plusieurs chroniqueurs dans une émission diffusée par la radio RMC, et celui d’Ivan Levaï, journaliste interviewé jeudi 6 octobre par Pascal Clark sur France Inter. Deux profils bien distincts mais une même banalisation du sexisme [2].
Premier acte
L’émission de RMC s’est distinguée d’abord, en réaction à la défaite de l’équipe de France face aux Tonga, par l’appel viriliste à « se faire pousser des couilles ». Sébastien Chabal, rugbyman et chroniqueur à ses heures perdues, énonce même l’étrange « règle des 3C » : « des couilles, des couilles et encore des couilles ».
Évoquant l’équipe d’Angleterre, l’animateur de l’émission (et ancien rugbyman) Vincent Moscato conclut cet échange en faisant l’éloge de l’impérialisme anglais au nom… des « couilles » évidemment : « Je crois que sincèrement ils ont envahi le monde, pas parce qu’ils étaient des couilles molles. Tu vois c’étaient les rois sur les mers, sur les airs, partout, parce que c’étaient des mecs qui avaient des couilles, c’est tout, simplement ».
Mais le pire est malheureusement à venir. Amenés à commenter le cas de trois joueurs anglais qui auraient harcelé sexuellement une femme de chambre, Moscato et l’ancien joueur de football Éric Di Méco ne vont pas seulement justifier le harcèlement mais en faire l’apologie. Moscato donne le ton en faisant mine de s’inquiéter : « Moi ce que je trouve c’est que ça va tuer le métier des femmes de chambre. Ils vont mettre dans tous les hôtels du monde des gros barbus, des Maoris, des machins, elles se tuent le boulot elles-mêmes ! »
Puis il avoue s’être lui-même livré à de tels comportements : « tout le monde l’a fait. T’es là t’es en petite tenue : la femme de chambre elle rentre, t’as le chichi sur le côté, ça c’est ta spécialité ». Di Méco confirme, appelant à souder les hommes sur la base du mépris des femmes : « on a fait des horreurs, tous, c’est pour ça qu’on est un peu emmerdé quand on parle de ça, mais on a tous fait des horreurs. […] La vie de groupe c’est d’aller sortir le chichi à la femme de ménage. On est trois, on rigole ».
Deuxième acte
Ivan Levaï n’est pas un nouveau venu dans le journalisme puisqu’il est passé depuis les années 1960 par de nombreux médias écrits ou audiovisuels. Récent auteur d’un livre sur « l’affaire DSK », il revient sur ce qu’il a choisi de présenter comme la « chronique d’une exécution ». Commençant par réduire les actes reprochés à Strauss-Kahn à un simple « incident », il écarte d’emblée la possibilité du viol en se demandant gravement pourquoi Nafissatou Diallo n’est pas sortie instantanément de la chambre en voyant un homme nu sortir de sa douche. De même reproche-t-il à Claire Chazal, dans son interview de DSK, de ne pas avoir demandé « qui a fait des avances à qui ».
Car si Levaï a tant de mal à prendre au sérieux ce dont on accuse Strauss-Kahn, ce n’est pas seulement qu’il est un ami de longue date (et ex-mari d’Anne Sinclair), mais parce qu’il a sa petite idée sur le viol : « Parce que pour un viol il faut un couteau, un pistolet, etc., je ne crois pas au viol ».
Contredit par Pascale Clark, Levaï prend prétexte de la « taille » de Nafissatou Diallo pour rejeter en bloc l’accusation. Mais cela ne suffit pas : afin d’ôter une bonne fois toute crédibilité au témoignage de cette dernière, notre enquêteur de haut vol invente un chiffre : parmi les 75 000 viols recensés en France chaque année, « 10 % sont des fantasmes et des faux ».
Le combat pour l’éradication des violences faites aux femmes doit passer aussi par une critique de l’ensemble des discours qui justifient ces violences ou nient la parole des victimes. Bénéficiant d’une autorité médiatique, ces discours contribuent en effet fortement au fait que 90 % des viols ne donnent pas lieu à plainte et que 98 % n’entraînent aucune condamnation.
Notes
1. Lire Un troussage de domestique, coordonné par Christine Delphy, Paris, Syllepse, 2011 (chroniqué dans Tout est à nous ! n° 117) [Reproduit ci-dessous].
2. Pour une analyse plus approfondie de ces deux cas, voir les articles que leur a consacrés Acrimed sur son site : www.acrimed.org