Après le président Salvador Allende, il est la victime la plus célèbre de l’infâme dictature chilienne. Auteur-compositeur interprété dans toute l’Amérique latine, et au-delà, sa mort est peut-être aussi mythique que celle du Che. Comme ce dernier, le passage de trois décennies aura été nécessaire pour que son peuple puisse lui rendre un hommage digne de sa mémoire.
Entre le 3 et le 5 décembre, le cercueil de Victor Jara a été exposé à la Fondation portant son nom. Des milliers de Chiliens, de tous âges, ont défilé pour lui rendre hommage. À l’extérieur de la « salle de spectacle ardente » un spectacle en continu animait la foule, lors duquel sont apparus des centaines de musiciens, chansonniers, poètes et danseurs, des plus connus aux moins connus. Le dernier jour, 5000 marcheurs ont suivi le cortège funèbre jusqu’au Cimetière général de Santiago (où sont également enterrés Salvador Allende et le dirigeant révolutionnaire Miguel Enriquez). Aux portes du cimetière, où 5000 autres personnes attendaient le cortège drapeaux rouges au poing, on a présenté une cérémonie hommage.
Victor Jara Martinez était issu d’un milieu pauvre, élevé par une mère seule qui avait fui, comme des milliers de Chiliens de cette époque, la misère de la campagne pour s’installer à Santiago. Commençant sa carrière artistique au théâtre, il s’intéresse à la culture populaire. Il travaille notamment avec la folkloriste Violeta Para. Sa voix mélodieuse et ses compositions émouvantes le consacrent comme l’un des chanteurs les plus populaires du pays au tournant des années 1970.
Ses chansons parlent du monde populaire, de villes et de campagnes, luttant nuit et jour contre la pauvreté, le désarroi et l’exploitation. Militant du Parti communiste chilien, il est l’une des figures culturelles les plus connues du gouvernement de l’Unité populaire, entre 1970 et 1973. Victor Jara par ses chansons et son théâtre, a accompagné les espoirs d’un peuple en voie d’émancipation. Dans une chanson prophétique considérée comme son testament, Jara chante :
Je ne chante pas pour chanter, ni pour avoir une belle voix
Je chante parce que la guitare a raison et fait sens
…
Le chant a du sens lorsqu’il palpite dans les veines
de celui qui mourra en chantant les vérités véritables.
Brutalement assassiné quelques jours après le coup d’État du 11 septembre 1973, son meurtre reste toujours impuni. Le lendemain de sa mort, grâce à un employé de de la morgue, la veuve de Jara retrouve en secret le corps de son mari criblé de balles. Selon la légende, les militaires avaient coupé les doigts du musiciens. Trente-six ans après le crime, les autorités judiciaires ont découverts l’arme qui selon les sources a servi à fusiller l’artiste. L’autopsie réalisée sur son corps exhumé a confirmé cette version des faits. Alors que l’on connaît le nom du conscrit à qui appartenait l’arme, les officiels ayant donné l’ordre de torturer et assassiner Victor Jara restent toujours dans l’ombre des secrets de l’armée chilienne et de la Loi d’amnistie prononcée par le dictateur.
Dans un grand événement populaire dans les rues de Santiago, Victor Jara a vibré à nouveau dans le cœur de l’Amérique latine. Les 10 000 personnes massées pour la cérémonie hommage ont fait revivre les paroles de Julios Beaucarne :
Levant ses mains vides des doigts
qui pinçaient hier la guitare
Jara se releva doucement,
faisant plaisir au commandant
Il entonna l’hymne de lutte
de l’Unité populaire
repris par les 6000 voix
des prisonniers de cet enfer.