Selon ce projet de loi, une personne comme moi pourrait-elle être considérée comme un terroriste ? Après tout, je m’oppose aux gaz de schiste et à l’oléoduc Énergie Est de TransCanada… Et je fais par ailleurs la promotion des énergies vertes pour contrer les changements climatiques, ce qui peut avoir une incidence négative sur les profits des pétrolières !
Prenons un cas précis. Le 27 novembre 2010, le Regroupement interrégional sur le gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent a organisé une manifestation pacifique sur l’accotement de la route 137 devant le puits gazier de Saint-Denis-sur-Richelieu, à 2 km de ma cuisine. Craignant un débordement, la compagnie Forest Oil a décidé de suspendre ses activités pendant une demi-journée.
De façon plus globale en Amérique du Nord, le manque à gagner des pétrolières causé par l’opposition à leurs projets d’énergies fossiles engendre des pertes énormes. L’opposition des citoyens – et des Premières Nations – à l’exploitation des gaz de schiste et des sables bitumineux, aux projets d’oléoducs Keystone XL de Kinder-Morgan, Northern Gateway et Énergie Est de TransCanada, et à l’inversion de la canalisation 9B d’Enbridge, paralyse partiellement cette industrie. Cette formidable opposition à la pétroéconomie est-elle une forme de liberté d’expression ; est-ce une « guerre » économique » comparable à une grève légale ; est-ce du terrorisme ?
La question est pertinente. Le 14 janvier 2013, un article du journal La Presse signalait qu’on exerçait une surveillance des groupes qui s’opposent aux pipelines. D’autres articles font état d’une collaboration étroite entre les pétrolières et les services de renseignements (SCRS au Canada ou FBI aux États-Unis). Y a-t-il là un danger d’amalgame entre une personne qui s’oppose aux pétrolières et un imam radical qui affirme que l’Islam et la démocratie sont incompatibles ? Pourrait-on considérer qu’un site internet qui s’oppose aux hydrocarbures (comme « regroupementgazdeschiste.com ») fait de la « propagande haineuse » ? Pourrait-on le fermer ?
Je crois que nous devons nous diriger vers les énergies vertes du 21e siècle et vers le « smart grid » prôné dans la « Troisième Révolution Industrielle ». À défaut de toute définition claire et limpide des mots « terrorisme » et « site de propagande haineuse » dans ce projet de loi, je risque de me retrouver dans la mire du SCRS comme terroriste. On se souviendra que la firme de relations publiques Edelman avait suggéré des « dirty tricks » à utiliser contre les opposants au projet de TransCanada.
Et des dérapages plus graves sont possibles ! Souvenons-nous du maccarthisme aux États-Unis dans les années cinquante, ou de la crise d’octobre 1970, pendant laquelle quelque 460 citoyens ont été emprisonnés à cause de leurs opinions sans aucun recours devant les tribunaux. À l’époque, le gouvernement a vite fait l’amalgame entre terrorisme, FLQ et PQ. Pourtant, le PQ a toujours été contre la violence(3) !
Alors, ma question au gouvernement très pro-pétrole de M. Harper est toujours valide. Selon ce projet de loi, suis-je visé ? Les « dirty tricks » d’une pétroéconomie, les poursuites-baillons et la menace plus subtile de placer les opposants sous surveillance policière peuvent tuer la liberté d’expression presque aussi efficacement qu’une rafale de Kalachnikov dans les bureaux de Charlie Hebdo !
Gérard Montpetit
La Présentation, Qc.
Le 2 février, 2015
membre du RVHQ
(3) RCMP bombed oil site in ’dirty tricks’ campaign
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