Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Solidarité internationale

Mort de Pinochet

Souvenirs et perspectives

Novembre 1975. Nous étions plusieurs jeunes militants à l’UQAM, très actifs, depuis septembre 1973 dans le mouvement de solidarité avec le Chili à organiser une FRANCOFÊTE pour souligner la mort de Francisco Franco. Nous souhaitions alors que, contrairement au bourreau des peuples d’Espagne, le dictateur chilien ne meure pas paisiblement dans son lit. Croyant au pouvoir édifiant de la justice, nous espérions qu’un jour il rende compte de ses crimes.

Nous étions jeunes et très en colère contre ces poussières d’humanité
d’autant plus que, tant en Espagne qu’au Chili, la répression se
poursuivait, plus brutale que jamais. Quelques mois plus tôt, nous avions organisé une vigile devant les bureaux d’Ibéria à Montréal, pour protester contre l’exécution, par Franco, de Salvador Puig-Antich, militant basque garrotté avec ses compagnons. (mars 1974)

Notre Francofête fut un succès de participation. Cependant, plusieurs de nos amis-es nous ont laissé savoir que nos objectifs de pédagogie politique et de solidarité internationale auraient pu être atteint sans pour autant devoir nous réjouir publiquement de la mort de quelqu’un, que nous étions inutilement provocateurs, qu’il y a des normes non écrites à ne pas transgresser, etc. Bref, il y avait comme un malaise...

Faut croire que le malaise a été suffisamment important pour que nous
hésitions, 20 ans plus tard, a nous réjouir publiquement de la mort ( dans son lit aussi...) du génocidaire stalinien Pol Pot (avril 1996). Pourtant, il y aurait eu tant à dire sur ce peuple martyr en partie détruit dans des conditions horribles. La petite gauche politique d’ici a fait silence. Serait-ce parce qu’une partie d’entre elle ne voulait pas se souvenir de son appui à ce régime quelques années plus tôt, leur stalinisme, leur suivisme aveugle de la politique extérieure chinoise les ayant conduits à une telle aberration ? Depuis, le dossier est tabou. Un jour, il faudra bien écrire l’histoire de cette période. Toute l’histoire.

Et maintenant, c’est Pinochet. Sa disparition coïncide avec la certitude que les espoirs de changement social, qu’il a tant voulu écraser, fleurissent maintenant presque partout en Amérique Latine. Les gauches latino-américaines, turbulentes au Vénézuela et en Bolivie, plus sages pour l’instant au Brésil et au Chili, sont maintenant au pouvoir. C’est Salvador Allende et ses idées qui l’ont emporté. Des écoles portent son nom. Celui de Pinochet est déjà dans la poubelle de l’histoire. Dommage tout de même qu’il soit mort dans son lit, ce salaud. Un clin d’oeil de l’histoire : il est mort la Journée internationale des droits de la personne.

Le peuple bolivien qui se réapproprie maintenant ses ressources naturelles, celui du Vénézuela qui fait de même, et pourquoi pas bientôt celui du Mexique, ne peuvent oublier que l’un des premiers gestes de Pinochet fut de redonner les mines de cuivre aux multinationales. Ils ne peuvent oublier aussi que le Chili de Pinochet fut le premier laboratoire d’une politique néolibérale dure qui a aussi ruiné une partie de la classe moyenne.

Septembre 1973 est donc une date jalon marquant la montée du néolibéralisme triomphant. À voir les succès de la gauche en Amérique Latine, nous pourrions peut-être espérer que sa mort marque la fin de cette période si difficile pour les classes populaires.

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