Avant la tenue des rencontres, Singapour a refusé l’entrée à 28 membres de la société civile - qui avaient pourtant été autorisés par le FMI et la Banque mondiale à participer à l’évènement - et n’aura réservé qu’un espace limité pour la tenue de manifestations. Les conditions imposées aux manifestants ont été qualifiées de « ridicules » par plusieurs groupes, notamment la coalition Global call to Action against Poverty qui a envoyé des délégués sur place.
On dénonce aussi les mesures de sécurité employées autour du site réservé pour les manifestations, situé à l’intérieur du Centre des congrès, où se déroulaient aussi les rencontres des cadres. Étant situés dans le périmètre de sécurité défini pour la tenue de l’événement, les manifestants devaient d’abord recevoir une accréditation accompagnée d’une carte d’identité spéciale et passer à travers des détecteurs de métal et des vérificateurs à rayons X avant d’accéder à la zone de 64 mètres carrés.
« C’est hilarant. Il faut passer nos cartes sous un « scanner » pour entrer (dans le périmètre). C’est comme dans 1984. (...) On ne peut pas apporter de pancartes, ni de pôles. On ne peut pas apporter des objets qui ne passent pas dans les détecteurs. »
Les règles précisaient qu’il était interdit d’apporter porte-voix et haut-parleurs. Certains groupes ont néanmoins tenu des manifestations dans le périmètre au cours de la semaine. « Ceci n’est même pas un échantillon représentatif de nos groupes, a déclaré une participante à ces rassemblements, car certaines personnes ayant été accréditées ne peuvent pas même entrer dans le pays. Alors (pour manifester) il faut d’abord réussir à entrer dans le pays, et ensuite il faut entrer dans le périmètre. »
La situation a poussé plusieurs organisations de la société civile à boycotter les rencontres prévues avec les cadres du FMI et de la Banque mondiale, notamment Christian Aid, Action Aid, Oxfam et Jubilee.
Les restrictions imposées par Singapour auront aussi attiré de fortes critiques de la part du Président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, qui a qualifié la situation d’ « inacceptable ». « Il est vraiment dommage de constater que le gouvernement de Singapour ne semble pas honorer les principes de notre entente et d’admettre les délégués ayant été accrédités ». Lors d’une plénière avec certains membres de la société civile, il a ajouté qu’« un dommage énorme a été subi (...). Et je crois que (l’État de) Singapour s’est infligé la majorité de ce dommage lui-même. »
Le ministre des Finances du Canada, James Flaherty, a refusé de s’exprimer directement sur la question en conférence de presse. « Je ne ferai pas de commentaire sur notre hôte. Je dirais qu’en tant que Canadiens, nous supportons la liberté d’expression et nous tendons à être en accord avec les propos tenus par la Banque mondiale et le FMI concernant l’importance d’allouer la liberté d’expression pacifique à ce genre de forum. » Au cours de la semaine, le gouvernement de Singapour a annoncé avoir alloué 22 des 28 participants retenus à la frontière.
À l’extérieur des clôtures
L’image du gouvernement de Lee Hsien Loong, Premier ministre de Singapour, aura aussi été touchée par un tête-à-tête qualifié d’ « historique » entre ce dernier et le chef d’un parti d’opposition, Chee Soon Juan. Chee, chef du Parti Démocratique de Singapour, a profité de la présence des médias internationaux aux conférences FMI-Banque mondiale pour mettre au grand jour le « despotisme » du pays.
Accompagné de sa sœur Chee Siok Chin et de six autres manifestants, Chee a défié les autorités locales en organisant le samedi 16 septembre une marche, « pour exercer notre droit de liberté d’expression, notre droit d’association pacifique ». Cette dernière, non allouée par l’État, devait se faire en direction du Parlement puis du périmètre de sécurité mis sur place pour les rencontres.
Après avoir prononcé un discours dans un parc, devant une majorité de journalistes et sous les regards de plusieurs curieux, le leader politique a été empêché de commencer sa marche par les forces policières, qui lui ont bloqué le chemin sans pour autant le mettre en état d’arrestation.
M. Chee et sa sœur, considérés comme les deux principaux personnages de la marche, ont été chacun isolés et entourés par des dizaines de policiers leur empêchant d’avancer. La foule de sympathisants, de passants curieux et de journalistes ont été filmés par plus d’une dizaine de policiers, dont certains en civil.
M. Chee et ses sept autres sympathisants, n’étant pas autorisés à avancer et toujours encerclés et filmés par les forces de l’ordre, ont décidé de rester sur place et entendent y rester jusqu’au mardi 19 septembre, moment du discours de clôture qui sera prononcé par le Premier ministre Lee. Au moment de mettre sous presse, les policiers n’ont pas apporté de précisions quant à l’état officiel de M. Chee et de ses collègues : « Lui et son groupe ont été bloqués par les forces policières et ont été avisés qu’ils ne devaient pas briser la loi. »
Certains passants ayant demandé l’anonymat ont commenté que « Cet événement est représentatif de notre démocratie. » D’autres ont exprimé des sentiments de crainte, mais que « c’est un pas dans la bonne direction. » Au moment de mettre sous presse, aucun groupe de la société civile internationale n’avait déclaré un soutien officiel au groupe.
Au-delà des frontières
Les problèmes des activistes ont aussi eu des répercussions au-delà des frontières de Singapour. Le sommet alternatif aux rencontres FMI-Banque mondiale, organisé à Batam en Indonésie, aura été durement affecté par les démarches prises en marge de ces rencontres. Ce dernier, organisé sur une île indonésienne à 45 minutes par bateau de Singapour, attendait quelque 900 participants.
Toutefois, plusieurs personnes souhaitant s’y rendre en ont été empêchées lorsqu’elles ont cherché à transiter par la ville-État. On rapporte des incidents où des gens ont été arrêtés à la frontière de Singapour, pris en photo et identifiés avant d’être renvoyés à leur pays de départ. Selon les estimations du New York Times, seulement 500 des 950 personnes attendues au sommet parallèle se seraient présentées, les autres ayant été incapables de s’y rendre ou ayant annulé leur voyage par peur de subir un sort similaire.