Notons d’abord que la vaste campagne d’opposition au Sommet des Amériques s’est déroulée dans un contexte d’approfondissement des politiques néolibérales doublé d’une croissance des luttes sociales. Cette mobilisation était une suite directe des manifestations de Seattle qui ont permis de faire dérailler les négociations de l’OMC. C’était aussi la suite de la Marche mondiale des femmes, événement unique qui a fait le tour de la planète et dont l’origine est québécoise.
Mobilisation et prise de conscience
Loin de se résumer à une fin de semaine, certaines des mobilisations autour du Sommet des Amériques ont pris plutôt la forme de dizaines de milliers de journaux, de milliers de conférences et de réunions d’organisation de même que de nombreux groupes d’affinité, coalitions et organisations. Le Québec prenait alors conscience des enjeux liés à la mondialisation des marchés. Les sondages suivant l’événement ont démontré une modification significative de l’opinion publique. La négociation anti-démocratique de la ZLÉA, aux textes de laquelle les députés eux-mêmes ne pouvaient avoir accès, en a marqué plusieurs. C’est surtout la pression sur les programmes sociaux et les réglementations sociales et environnementales qu’impliquait le libre-échange qui a offusqué les manifestants et manifestantes. Qui dit libre-échange dit éliminer tout ce qui nuit au commerce.
Le Sommet a aussi pris la forme de la Marche des peuples, qui a rassemblé plus de 60 000 personnes. Cette Marche a été précédée d’un Sommet des peuples des Amériques qui a adopté l’idée que la ZLÉA est un projet « néolibéral, raciste, sexiste et destructeur de l’environnement ». Ce rejet clair de l’accord de libre-échange contrastait avec la position ambiguë de certaines centrales syndicales du Québec.
La mobilisation contre le Sommet a aussi permis une radicalisation de milliers de personnes qui a pris souvent la forme d’une opposition au capitalisme et aux inégalités qu’il engendre. Plusieurs garderont en tête les 15 000 personnes qui se sont rendues, en deux manifestations, jusqu’au mur de la honte pour le faire tomber. Plus que ce symbole, ce qui a eu lieu, c’est la politisation d’une nouvelle génération que l’on a retrouvé plus tard dans les groupes du mouvement étudiant, populaire et écologiste.
Cette politisation à vitesse variable (depuis l’anti-capitalisme principiel jusqu’à l’acceptation d’une mondialisation à visage humain), s’est manifestée par la création de plusieurs niveaux de coalitions (trois dans la ville de Québec) coordonnant une partie de leurs efforts, mais utilisant aussi des tactiques différentes. La question des moyens d’action fut d’ailleurs le principal sujet traité par les médias, plus intéressés à savoir la quantité de matraques et de masques à gaz utilisés durant le Sommet qu’à chercher à comprendre les enjeux du libre-échange.
Le Sommet a enfin été un des rares moments où les mouvements sociaux du Québec, du Canada et du Nord-Est des États-Unis ont travaillé ensemble. Ce réseautage, au niveau international, se consolide depuis grâce aux forums sociaux qui se tiennent un peu partout sur la planète. Un premier forum social québécois se tiendra d’ailleurs à Trois-Rivières en juin prochain. Dans la région de Québec, le forum social qui s’est tenu en 2002 a débouché sur la création d’une coalition permanente des mouvements sociaux de la région : le Réseau du Forum social de Québec.
Sur le plan politique, à l’heure du Sommet, l’unanimité néolibérale règnait, de l’ADQ au PQ en passant par le PLQ. En effet, Bernard Landry, alors premier ministre, aurait été bien mal vu de critiquer le libre-échange, lui qui a été avec son parti un acteur clé pour faire élire les conservateurs de Mulroney justement pour établir l’accord de libre-échange avec les É.U. La position du PQ était particulièrement pitoyable, se limitant à brailler pour avoir droit à une chaise autour de la table, sans jamais être capable d’analyser les dangers de ces accords. À l’opposé, l’Union des Forces progressistes a obtenu un résultat de 24 % dans les élections partielles de Mercier, un mois avant le Sommet.
Les suites du Sommet
Alors que les manifestations de Seattle avaient été suivies d’une série de mobilisations mondiales contre les grands sommets des dirigeants de la planète, les attentats du 11 septembre, cinq mois après le Sommet des Amériques de Québec, ont eu un effet démobilisateur particulièrement puissant en Amérique du Nord. Au Canada, une vaste campagne de mobilisation et de perturbations économiques contre l’OMC (Organisation mondiale du commerce) est tombée du jour au lendemain.
C’est paradoxalement le rejet de l’invasion de l’Irak pour son pétrole, elle-même justifiée par l’attentat du 11 septembre et les pseudo armes de destruction massive, qui ont remobilisé massivement la planète. En effet, les 20 000 personnes qui, à Québec, se sont mobilisées de même que les 200 000 à Montréal et les 5000 à Alma, Gatineau, Trois-Rivières et ailleurs au Québec et, dans une moindre mesure, au Canada, sont les héritières du Sommet des Amériques et de sa conscience internationaliste.
La construction du nouveau parti Québec solidaire est aussi un héritage de l’incapacité du Parti québécois à répondre aux attentes soulevées par les mobilisations du Sommet, mais aussi à celles de la Marche mondiale des femmes.
Au niveau des Amériques, trois facteurs expliquent l’incapacité actuelle d’adopter cet accord de libre-échange. À côté des mobilisations populaires des Amériques et de l’arrivée au gouvernement de la gauche politique dans un grand nombre de pays latinoaméricains, les crises engendrées par les politiques néolibérales en Amérique latine ont exacerbé les difficultés autour de la ZLÉA.
Le Sommet des Amériques de Québec fut tout d’abord un moment historique qui permit une prise de conscience politique des enjeux liés à la mondialisation capitaliste. Le Sommet fut aussi, tout comme les mobilisations contre la guerre ou pour l’écologie, la preuve que ce ne sont pas les intérêts individualistes qui poussent les gens à se mettre massivement en action, mais plutôt la volonté de construire un monde meilleur.
Sébastien Bouchard, ex-coordonnateur de OQP-2001, la coalition de Québec contre la ZLÉA.