Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Série Soudan (3/4), ce pays pris en otage par deux clans militaires

Le conflit opposant les Forces armées soudanaises, dirigées par le général Al-Burhan aux Forces d’appui rapide (FAR) du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », a éclaté à Khartoum le 15 avril 2023, aux premières heures du jour. Khartoum, la capitale du Soudan, a été le théâtre de nombreux affrontements depuis le début du conflit.

Tiré de MondAfrique.

Personne ne sait d’où est vraiment originaire le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemedti », qui a migré au Soudan probablement à partir du sud du Tchad. Il serait en tout cas simpliste de présenter l’embrasement actuel comme un combat fratricide entre le général Al-Burhan, le chef de l’armée et son ancien bras droit, le général Hemedti, à la tête des Special Rapid Forces, une force de mercenaires privés dont la seule raison sociale est la captation des richesses du Soudan.

Le général Mohammed Hamdan Daglo est une créature fabriquée par l’ancien dictateur soudanais, Omar El Béchir. En scindant les forces de défense et de sécurité en trois groupes avant d’être chassé du pouvoir en 2019, ce dernier a cru pouvoir s’adosser sur les Rapid Support Forces, qui ne sont ni vraiment une milice, ni tout à fait un groupe paramilitaire, mais un contrepoids à l’armée conventionnelle. Les officiers conservateurs qui la commandent sont proches du modèle égyptien d’un capitalisme d’État au service des militaires.

Dans un premier temps, Mohammed Hamdan Daglo qui porte l’uniforme régulier de son corps, ne se pose pas en dissident, loin de là. Ce général coupable des pires exactions au Darfour s’oppose, toute honte bue, à la répression par l’armée conventionnelle de la mobilisation populaire qui dure de 2019 à 2021. C’est la dégradation de la situation économique (1) qui convainc ce général félon de se concentrer à sa grande entreprise de pillage de l’ensemble de la zone en prentn les armes contre le chef de l’armée soudanaise.

2023, la guerre civile

Le 15 avril 2023, la guerre civile s’installe à Khartoum. Elle oppose les troupes de l’armée régulière du général Al-Burhan, au pouvoir depuis son coup d’État du 25 octobre 2021, et les Forces de soutien rapide (SFR) du général Mohammed Hamdan Daglo. Les troupes de ce dernier sont plus aguerries que les soldats de l’armée régulière. Hemedti a réprimé avec férocité la population du Darfour en s’appuyant sur « les Janjawid »auxquels il a agrégé des mercenaires venus du Tchad, de RCA, de Libye et du Niger. De 2017 à 2019, les miliciens d’Hemedti ont massacré les populations civiles au Yémen comme ils l’avaient fait auparavant au Darfour. Les 40000 hommes du corps expéditionnaire soudanais au Yémen, fiancés par les Émirats Arabes Unis et armés au départ par la France, sont mobilisés désormais pour conquérir le pouvoir à Khartoum.

Le patron Hemedti est riche des millions d’US $ que ses bailleurs lui donnent, de l’or qu’il exploite avec sa famille et des trafics qu’il entretient avec un de ses homologues, le maréchal Haftar. De nombreux combattants d’Haftar rejoignent d’ailleurs l’offensive actuelle des RSF dans l’Ouest du Soudan. Haftar et Hemedti sont liés par le monde des trafics, du Captagon àl’or, en passant par le bétail, les femmes, les migrants et les voitures volées. Pour Haftar, la victoire des RSF est un gage de la reconduction de l’économie criminelle dans le triangle Libye, Tchad et Soudan. L’accès à Port Soudan serait pour Haftar une alternative à la perte de la côte libyenne de mieux en en mieux surveillée par l’aviation militaire gouvernementale de Tripoli. La LNA, l’armée d’Haftar a contribué au renforcement et à la formation des RSF en vue des batailles actuelles. C’est un juste retour des choses car 1000 soldats d’Hemedti, payés par les Émirats, ont aidé Haftar dans sa piteuse tentative de prendre Tripoli. Un des fils d’Haftar, Sadiq Haftar, est le président honoraire d’une grande équipe de football du Soudan et son père a emprisonné un chef de milice soudanaise Moussa Hilal, ennemi d’Hemedti et vainqueur de Wagner dans certains affrontements en RCA. Haftar et Hemedti combinent avec habileté et duplicité les soutiens russes et émiratis et ont établi une logistique d’approvisionnement militaire et en carburants s’appuyant sur plusieurs pays et s’étirant sur des milliers de kilomètres. Il y a quelques jours à Benghazi l’équipe de football soudanaise de Sadiq Haftar venait disputer un match amical face à une équipe libyenne.

L’appui des Émiratis à Hemedti

Sur le terrain soudanais, Hemedti a bénéficié des appuis de ses voisins du Tchad et d’Éthiopie. Les Émirats Arabes Unis ont ainsi, avec les partenaire éthiopien et tchadien, libéré Hemedti de toutes entraves dans son entreprise de contrôle du Darfour et de l’Ouest du pays. Une bonne partie des forces spéciales des services de renseignements soudanais se sont ralliées aux SFR et dans l’entourage du général Hemedti, les Islamistes, proches jadis d’Omar El Béchir, font leur apparition. Le choc du 7 novembre 2023 en Israel fait paraitre en Occident bien lointain les crimes de guerre et les violations des droits de l’homme enregistrés depuis plusieurs décennies au Soudan. Comme le bourreau du Tigré, Hemedti a les mains libres pour les exactions de très grande envergure contre les populations de souche africaine du Soudan.

En faisant la jonction entre la frontière tchadienne, où Abu Dhabi a joué récemment un rôle politique et militaire déterminant, et Port Soudan, les RSF ouvriraient une route inédite à la pénétration physique du Golfe en Afrique de l’Est et scelleraient la marginalisation de l’Égypte. Hemedti est un nomade indépendant de la matrice soudanaise qui participe à l’édification d’une géopolitique inédite de l’Afrique au-dessus de l’Équateur.

C’est le dernier quart d’heure pour le régime de Khartoum. Seul l’Iran, maitre de la Mer rouge avec le levier des Houthis, pourrait sauver Burhan de la défaite totale. Le général Burhan est un assez bon stratège diplomatique à défaut d’être un tacticien militaire. Il a ainsi rétabli des relations diplomatiques avec l’Iran le jour de l’attaque du Hamas en Israël. Un acte qui ne lui vaut pas la sympathie des Etats-Unis qui le rendent responsable de la crise humanitaire soudanaise que les Nations-Unies déplorent comme d’habitude.

La communauté internationale impuissante

Mais que fait la communauté internationale face aux souffrances d’au moins la moitié des 50 millions de Soudanais ? Le conseil de sécurité n’a pas engagé de mise en garde à l’adresse d’Hemedti. Une fois de plus, le système des Nations-Unies, révèle son inefficacité à enrayer les massacres et à secourir les victimes.

Les canaux humanitaires ne sont ouverts qu’avec parcimonie et après des chantages en particulier d’Hemedti. Les forces régulières de l’armée soudanaise sont craintives devant les SFR. Seule leur aviation décolle mais pour bombarder les zones civiles. Cela ne plait pas aux Américains qui, via leurs ambassadeurs au Kenya et à Addis Abeba, le font savoir. Le seul contributeur majeur effectif qui vient à en aide aux populations pour l’instant apparait l’Arabie Saoudite, généreuse en vivre, abris, et médicaments. Mais les ONG saoudiennes n’ont que peu d’accès aux régions où les SFD dominent et elles sont nombreuses.

Riyad se positionne en apparence sur le plan humanitaire lors des discussions en cours à Genève. Pour l’instant ce sont les SFR qui sont louées comme le « good guy » de l’affaire car des vivres et des médicaments ont pu arriver au Kordofan et au Darfour. Deux régions où les SFR rencontrent de fortes résistances, non pas du fait des forces armées soudanaises, mais de milices soutenues par le Tchad d’un côté, et l’Érythrée de l’autre. Ali Burhan est mal vu par les médiateurs extérieurs car il refuse de participer à des négociations dont il sait qu’il sera le perdant. Chez les bonnes fées de la médiation, à côté de l’Arabie saoudite, on compte les Etats-Unis, la Suisse, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis et des figurants, les Nations-Unies et l’Union africaine. L’ennemi déclaré reste la famine alors que le mal est d’abord dans une guerre qui frappe les civils essentiellement.

Le Soudan pourrait devenir, demain, un État en faillite comme la Somalie ou une nation fragmentée comme la Libye. Ou les deux à la fois !

Notes

(1) Le Soudan ne survit que grâce à des soutiens extérieurs. Les créanciers occidentaux ont annulé la dette soudanaise lors du gouvernement civil (2019-2021). Presque 50 % du blé consommé au Soudan provient de Russie.

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Nicolas Beau

Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l’Institut Maghreb (Paris 8) et l’auteur de plusieurs livres : "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

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