Édition du 19 novembre 2024

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Débats : quel soutien à la lutte du peuple ukrainien ?

Russie, Ukraine, OTAN : cessez-le-feu et négociez !

Après une année de guerre dévastatrice, la plupart des analystes considèrent que ni la Russie, ni l’Ukraine – même avec l’énorme soutien de l’OTAN – n’ont la capacité de réaliser une victoire militaire dans un avenir prévisible. Pour éviter un enlisement sur plusieurs années, avec son cortège de morts et de destructions, sans parler du risque croissant d’une troisième guerre mondiale qui pourrait nous emporter toutes et tous, une alternative s’impose : un cessez-le-feu et des négociations sérieuses dès maintenant pour mettre fin à la guerre.

24 février 2023

La poursuite de l’escalade et ses risques planétaires

Plusieurs pays membres de l’OTAN, dont le Canada, n’ont d’abord fourni à l’Ukraine – ouvertement en tout cas –que des armes non létales, pour ensuite lui fournir artillerie et munitions, puis armes anti-char et antiaériennes, chars lourds Léopard 2 et, peut-être bientôt, des missiles de plus longue portée et des avions de combat.

À chaque étape, on disait ne pas vouloir traverser la « fine ligne » d’une trop grande implication dans la guerre, la transformant ouvertement en affrontement OTAN-Russie. Puis, on traversait la ligne et on la repoussait un peu plus loin. Fin janvier, alors que l’Allemagne était soumise à d’intenses critiques pour son hésitation à autoriser le transfert de ses chars, sa ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a laissé échapper au Parlement européen «  Nous menons une guerre contre la Russie et non les uns contre les autres ».

Le 13 février dernier, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, déclarait que l’Ukraine utilise plus de munitions que l’OTAN n’en produit. Deux semaines plus tôt, le président du Comité militaire de l’OTAN, le lieutenant-amiral Rob Bauer, en entrevue à la télé portugaise, avait invité les membres de l’OTAN à passer à une économie de guerre pour accroître leur production militaire.

Au cours de la même entrevue, Rob Bauer disait aussi que l’OTAN était « prête à un affrontement direct » avec la Russie. Ce qui est encore plus troublant que la déclaration elle-même, c’est le peu d’émoi qu’elle a suscité dans les grands médias. Personne n’a souligné l’inconscience de tels propos, la pure folie d’envisager sérieusement un tel scénario entre des pays détenant ensemble près de 94 % de l’arsenal nucléaire mondial. Car peut-on sérieusement penser qu’un « affrontement direct » entre l’OTAN et la Russie se limiterait à un concours d’armes conventionnelles pour voir lequel des deux l’emporterait dans cette catégorie ?
Dans les années 1960, les plans nucléaires secrets des États-Unis prévoyaient une riposte nucléaire TOTALE dès lors que se produirait un affrontement direct – même seulement conventionnel – entre eux et l’URSS. Qui sait ce qui est prévu ces années-ci, à cet égard. Chose certaine, dans nos grandes « démocraties », nous n’avons jamais été consultés sur l’existence de tels plans suicidaires pour l’humanité et nous ne le serons pas non plus au moment fatidique de leur mise à exécution, si jamais…

La propagande et la réalité

On nous dit que l’Ukraine se bat pour l’Europe et le monde entier, dans une lutte à finir opposant les démocraties à l’autocratie. La Russie n’aurait pas de préoccupations sécuritaires légitimes liées à l’expansion de l’OTAN jusqu’à ses frontières. Tout se résumerait aux ambitions du dictateur Poutine de recréer l’URSS ou la Russie impériale l’ayant précédé. C’est ce qui l’a conduit à son agression « non provoquée » de l’Ukraine, violant l’ordre international « basé sur des règles » et commettant les pires crimes de guerre.

Soyons clairs. L’invasion de la Russie en Ukraine est illégale et indéfendable ; mais elle a été précédée de nombreuses provocations. Des crimes de guerres sont commis en Ukraine des deux côtés. Les accusateurs occidentaux vertueux d’aujourd’hui ont été responsables des mêmes violations, ou pires, dans leurs guerres au Kosovo, en Irak, en Afghanistan, en Libye et ailleurs. Et bien avant la Russie en Ukraine, ils ont invoqué des motifs humanitaires pour justifier leurs agressions et leurs guerres d’expansion.

On nous dit aussi que la Russie se trouverait de plus en plus isolée face à l’unité de la « communauté internationale » (lire ici l’Occident, que politiciens et médias gonflent constamment à la dimension du monde entier). Or la vaste majorité des pays du monde refuse d’appliquer des sanctions contre la Russie et encore plus de livrer des armes à l’Ukraine. Et cela inclut plusieurs grands pays du « camp de la démocratie » tels l’Inde, le Mexique, le Brésil, l’Argentine et l’Afrique du Sud pour ne nommer que ceux-là. Bien plus, la vaste majorité des populations du monde ne souscrit aucunement au récit occidental concernant cette guerre.

L’agenda des États-Unis : prolonger la guerre

Dans cette guerre, les États-Unis n’ont pas pour objectif la victoire de l’Ukraine mais bien plutôt d’affaiblir la Russie au maximum. En le disant publiquement en avril 2022, le secrétaire à la Défense Lloyd Austin a ajouté que c’était pour les empêcher de répéter une guerre comme en Ukraine. Mais cet objectif d’affaiblir la Russie, en tant que puissance rivale aux plans économique, stratégique et militaire, est au cœur de la politique étasunienne face à ce pays depuis des années. C’est ce qui explique son encerclement graduel par l’OTAN, les bases de missiles antimissiles en Roumanie et en Pologne, les sanctions imposées sous la présidence Trump contre le projet de construction du pipeline Nord Stream 2, etc.

Le 8 février dernier, le journaliste d’enquête Seymour Hersh, célèbre notamment pour avoir révélé le massacre de My Lai perpétré par les États-Unis au Vietnam en 1968 et la torture qu’ils ont pratiquée à la prison d’Abou Ghraib en Irak en 2003-2004, a publié les résultats d’une autre enquête imputant aux États-Unis la responsabilité de l’opération de sabotage du pipeline Nord Stream 2 (assistés de la Norvège, exportateur de gaz naturel dont les revenus ont triplé depuis le début de la guerre). Ce véritable acte de guerre, dont la préparation sur les ordres directs du président Biden avait commencé avant l’invasion de l’Ukraine, montre jusqu’où les États-Unis sont prêts à aller pour écarter la Russie du marché européen du gaz et du pétrole et de la position de partenaire stratégique de l’Europe qui en découle.

Il faut se rappeler qu’au cours des mois qui ont précédé son invasion, la Russie avait insisté pour négocier de nouveaux traités de sécurité mutuelle avec l’OTAN et avec les États-Unis. Il faut se rappeler aussi que dès le début de la guerre, en mars 2022, des négociations se sont ouvertes par l’entremise de l’ex-Premier ministre israélien, Naftali Bennett, et du ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlut Cavusoglu. Malgré les difficultés, il semble que des progrès étaient réalisés vers un accord.

Dans le premier cas, les États-Unis ont affiché une fin de non-recevoir aux propositions de négociations de la Russie. Or il arrive que tout récemment, le 4 février 2023, Naftali Bennett a révélé que ce sont aussi les États-Unis qui ont bloqué le processus de négociation dans lequel il s’était engagé, alors qu’il avait l’impression que Zelensky et Poutine voulaient tous les deux un cessez-le-feu.

Le discours politique manichéen d’une lutte à finir entre le Bien et le Mal est celui d’une guerre qu’on veut longue. Et c’est précisément l’objectif des États-Unis qui, pour le moment en tout cas, engrangent de nombreux bénéfices stratégiques et économiques de cette guerre : revigoration de l’OTAN et de leur leadership incontesté, bénéfices actuels et à venir pour le complexe militaro-industriel étasunien, exportations accrues de gaz naturel, etc. Jusqu’où iront-ils dans cette voie et jusqu’où leurs alliés de l’OTAN les suivront-ils ? Jusqu’à sacrifier l’Ukraine ?

La militarisation croissante au Canada

Depuis plusieurs années, le Canada est probablement, avec le Royaume-Uni, le pays de l’OTAN dont le discours sur l’Ukraine est le plus similaire à celui des États-Unis. C’est aussi un des pays où l’unité des partis politiques au Parlement est la plus grande sur la perspective de soutenir l’Ukraine « jusqu’au bout ». Un sondage IPSOS réalisé dans 28 pays, du 25 novembre au 9 décembre 2022, indiquait que 36 % des Canadien.ne.s soutenaient même l’idée d’envoyer des troupes combattre directement en Ukraine, un des taux les plus élevés au monde.

La participation du Canada à l’OTAN et son soutien à l’Ukraine ont aussi entraîné une militarisation croissante du pays. Ainsi, le Canada a annoncé une augmentation de ses dépenses militaires qui passeront de 36,3 milliards $ pour l’année 2022-2023 à 51 milliards en 2026-2027. Le 9 janvier 2023, il annonçait avoir finalisé l’acquisition de 88 avions de combat F-35 pour un coût total estimé de 70 milliards.
Selon une compilation du Devoir, depuis le 24 janvier 2022, le Canada a fourni à l’Ukraine une aide financière de 2,57 milliards de dollars, une aide militaire de 2,26 milliards et une aide humanitaire de 369 millions, pour un total de 5,2 milliards. Cela inclut la décision récente de transférer quatre de ses chars Léopard 2 en Ukraine.
L’urgence d’une solution négociée
En novembre dernier, le chef d’État-major étasunien, Mark Milley, considérant les gains territoriaux réalisés par l’Ukraine grâce à sa contre-offensive et l’improbabilité de nouveaux gains dans un avenir prévisible, affirmait que l’Ukraine devrait en profiter pour s’engager dans des négociations avec la Russie. Le 20 janvier 2023, il réitérait qu’il estimait que la guerre se conclurait par des négociations plutôt que par une victoire décisive d’un côté ou de l’autre.
Poursuivre la guerre en Ukraine, pendant encore des mois, voire des années, c’est amplifier l’horreur, la destruction et la haine, pour risquer de n’aboutir qu’à la partition du pays. Poursuivre et accroître la participation de l’OTAN à cette guerre, c’est s’enfoncer dans la voie de la militarisation de nos sociétés, nous détournant de la lutte contre le réchauffement climatique, les injustices et l’exclusion croissantes ici et dans le monde.
Nous appelons donc à un cessez-le-feu et à des négociations immédiates visant une réponse mutuellement acceptable aux enjeux sécuritaires de l’Ukraine et de la Russie, et une voie de résolution à la guerre civile qui oppose, depuis 2014, le gouvernement de Kiev aux deux républiques autoproclamées du Donbass. Des négociations doivent aussi s’engager entre les États-Unis et la Russie pour établir de nouveaux traités de désarmement nucléaire.
Certains nous servent encore le dicton « quand on veut la paix, on prépare la guerre ». Nous leur répondons que depuis la création et la prolifération des armes nucléaires, c’est maintenant notre disparition que nous préparons ainsi. L’humanité ne peut se permettre une troisième guerre mondiale. C’est le temps de négocier et c’est encore possible.
Pour le Collectif Échec à la guerre
Jean Baillargeon
Judith Berlyn
Martine Eloy
Mouloud Idir-Djerroud
Raymond Legault
Suzanne Loiselle

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